La montée des inégalités est un (mauvais) choix de société

Publié le 15/07/2017 à 09:32

La montée des inégalités est un (mauvais) choix de société

Publié le 15/07/2017 à 09:32

Altercations avec la police en marge du dernier G20 à Hambourg. (Getty)

ANALYSE GÉOPOLITIQUE. La montée des inégalités nuit à la démocratie, à la croissance économique, à la santé et au bien-être d’une société. Or, cette tendance n’est pas le fruit du hasard: c’est en grande partie un choix de société, un mauvais choix de société qui déstabilise le monde.

C’est l’une des conclusions de l’essai Le 1% le plus riche (l’exception québécoise) publié récemment par Nicolas Zorn, analyste de politiques à l’Institut du nouveau monde (INM) à Montréal et spécialiste des inégalités économiques.

Publié ce printemps aux Presses de l’Université de Montréal, cet ouvrage est incontournable, car il donne une perspective historique et mondiale sur les causes de la montée des inégalités, sans oublier le Québec.

À la lumière de la littérature, Nicolas Zorn propose aussi plusieurs pistes de solutions pour tenter de réduire les inégalités.

Pourquoi les inégalités progressent-elles?

Mais avant d’en parler, voyons pourquoi nous assistons à une montée des inégalités dans les pays développés depuis le dernier quart du 20e siècle.

Dès les premières pages, l’auteur déboulonne un mythe persistant à propos de l’accroissement plus rapide du revenu national capté par le pourcentage le plus riche de la société.

Contrairement à une croyance répandue, la montée des inégalités n’est pas le simple résultat du libre marché, du progrès technologique et de la mondialisation des marchés.

Bien entendu, ces trois facteurs pèsent dans la balance, mais ils n’expliquent qu’une partie de ce phénomène, souligne Nicolas Zorn.

Tous les pays développés sont en fait confrontés à ces facteurs depuis une quarantaine d’années.

Or, les inégalités ont explosé dans les pays anglo-saxons comme les États-Unis, le Royaume-Uni et le Canada, alors qu’elles ont progressé modestement dans les pays d’Europe du Nord et continentale de même qu’au Japon.

Ce sont surtout les institutions politiques, les programmes sociaux, la fiscalité progressive et une certaine culture de solidarité nationale qui font la différence entre un pays comme les États-Unis et le Danemark.

Les inégalités ont progressé le plus vite dans les pays où les gouvernements ont réduit massivement les impôts des riches et coupé drastiquement le financement des programmes sociaux, dont profitent essentiellement les pauvres.

Les pays anglo-saxons, le Canada, ont eu cette approche.

Le Québec a pu limiter la montée des inégalités, car son modèle de société (impôts plus élevés et progressifs) ressemble en plusieurs points à ceux d’Europe continentale.

Pourquoi les inégalités sont-elles si nocives?

La montée des inégalités est devenue un enjeu de société depuis la récession de 2008-2009. La création du mouvement Occupy Wall Street, en 2011, et son fameux slogan, «Nous sommes les 99%», ont aussi frappé les esprits.

Mais sommes-nous vraiment conscients de l’impact négatif des inégalités?

Dans une étude récente du Fonds monétaire international (FMI) citée par Nicolas Zorn, cinq économistes concluent que plus les riches sont riches, plus la croissance économique est faible.

C’est en fait quand les pauvres et la classe moyenne s’enrichissent que la croissance économique est la plus dynamique.

L’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) arrivait à la même conclusion il y a quelques années: l'accroissement du fossé entre les riches et les pauvres mine la croissance économique.

Selon l'OCDE, la montée des inégalités de 1985 à 2005 a retranché en moyenne 4,7 points de pourcentage de croissance cumulative entre 1990 et 2010 dans plusieurs pays industrialisés.

Pourquoi? Parce que la montée des inégalités fait en sorte que les ménages pauvres peinent à faire accéder leurs enfants à une éducation de qualité. Un phénomène qui se traduit par une perte importante de talents et une plus faible mobilité sociale.

L’explosion des salaires de plusieurs dirigeants d’entreprises inscrites en Bourse a aussi contribué à la montée des inégalités.

Or, cette rémunération abusive est non seulement un enjeu éthique, mais elle est aussi inutile, selon l’économiste français Thomas Piketty, l’auteur du best-seller mondial Le Capital au XXIe siècle.

Des économistes et lui ont analysé la rémunération des dirigeants et la performance de leurs sociétés en Amérique du Nord et en Europe.

Ils se sont attardés aux entreprises qui payaient des salaires très élevés à leurs dirigeants, dépassant les 2 millions de dollars américains par année.

Leur conclusion? Il ne se passe rien; il n’y a aucun impact sur les revenus et la rentabilité des organisations, expliquait Thomas Piketty en entretien à Les Affaires en mai 2014.

«Nous avons analysé les résultats des entreprises qui paient les dirigeants 5 et 10 M$. Et nous n'avons rien trouvé en matière de performance économique.»

Par conséquent, une entreprise qui paie son PDG 10 M$ n'enregistrera pas de meilleurs résultats qu'une autre qui paie le sien uniquement 1 M$. «Au-delà d'un certain niveau de rémunération, ça ne sert à rien», concluait Thomas Piketty.

Comment peut-on réduire les inégalités ?

Réduire les inégalités est possible, car les pays développés y sont arrivés durant les Trente Glorieuses, la période de l’après-guerre qui s’est étalée de 1946 et 1975.

Durant cette période, l’Occident a connu un baby-boom, une forte croissance économique et la construction de l’État-providence.

Le contexte est fort différent aujourd’hui.

Nicolas Zorn souligne qu’il n’y a pas de solution unique pour réduire les inégalités tel qu’un impôt plus progressif. «L’impôt ne réglera pas tout et ne doit pas être vu comme une panacée, car l’accroissement des inégalités a plusieurs sources», écrit-il.

À la lumière de ses travaux, l’analyste propose quelques pistes de solution:

-la mise en place de programmes sociaux plus généreux

-l’offre de meilleurs services publics

-la régulation plus stricte de la finance

-la lutte aux paradis fiscaux

-la rémunération plus équitable des hauts dirigeants

-la création d’un revenu universel

Plusieurs de ces pistes de solution sont déjà débattues sur la place publique.

Reste à voir si les gouvernements et les milieux économiques auront la sagesse de prendre les bonnes décisions afin de lutter contre la montée des inégalités, qui n’apporte aucun bénéfice à la société, bien au contraire.

Ces inégalités nourrissent notamment le populisme en Occident.

Car, rappelons-le, l’accroissement du fossé entre les riches et les pauvres n’est pas une fatalité, mais bel et bien un choix de société, au premier chef des élites politiques et économiques.

Mais feront-elles de meilleurs choix à l’avenir ?

 

À propos de ce blogue

Dans son analyse Zoom sur le monde, François Normand traite des enjeux géopolitiques qui sont trop souvent sous-estimés par les investisseurs et les exportateurs. Journaliste au journal Les Affaires depuis 2000 (il était au Devoir auparavant), François est spécialisé en commerce international, en entrepreneuriat, en énergie & ressources naturelles, de même qu'en analyse géopolitique. François est historien de formation, en plus de détenir un certificat en journalisme de l’Université Laval. Il a réussi le Cours sur le commerce des valeurs mobilières au Canada (CCVM) de l’Institut canadien des valeurs mobilières et il a fait des études de 2e cycle en gestion des risques financiers à l’Université de Sherbrooke durant 15 mois. Il détient aussi un MBA de l'Université de Sherbrooke. François a réalisé plusieurs stages de formation à l’étranger: à l’École supérieure de journalisme de Lille, en France (1996); auprès des institutions de l'Union européenne, à Bruxelles (2002); auprès des institutions de Hong Kong (2008); participation à l'International Visitor Leadership Program du State Department, aux États-Unis (2009). En 2007, il a remporté le 2e prix d'excellence Caisse de dépôt et placement du Québec - Merrill Lynch en journalisme économique et financier pour sa série « Exporter aux États-Unis ». En 2020, il a été finaliste au prix Judith-Jasmin (catégorie opinion) pour son analyse « Voulons-nous vraiment vivre dans ce monde? ».

François Normand