Bienvenue à l'ère de la mondialisation de l'indignation

Publié le 09/04/2016 à 07:24

Bienvenue à l'ère de la mondialisation de l'indignation

Publié le 09/04/2016 à 07:24

Les comportements moralement contestables pourront de moins en moins demeurer secrets. Photo: Shutterstock

ANALYSE DU RISQUE– Le phénomène est déjà enclenché depuis quelque temps, mais les fameux «Panama Papers» l'ont révélé au grand jour: tranquillement, mais sûrement, nous assistons à la naissance d'une opinion publique mondiale. Une tendance qui aura un impact majeur sur les entreprises et les investisseurs.

Le dimanche 3 avril, 109 médias aux quatre coins de la planète –Radio-Canada et le Toronto Star au Canada– ont publié simultanément des reportages qui ont mis à jour des avoirs de responsables politiques, financiers et sportifs dans les paradis fiscaux.

Ces médias sont tous membres de l'International Consortium of Investigate Journalists (ICIJ), qui regroupe plus de 190 journalistes travaillant dans plus de 65 pays.

Pendant un an, le consortium a travaillé sur une base de données inédite (issue du cabinet panaméen Mossack Fonseca) remise par un lanceur d’alerte anonyme au journal allemand Süddeutsche Zeitung.

Selon Radio-Canada (qui a consulté les documents), la fuite contient «plusieurs centaines» de passeports canadiens, «mais pas de personnalités de premier plan». On y trouve des avocats, des dirigeants de sociétés minières et pétrolières, de même que des entrepreneurs.

L'onde de choc planétaire a été immédiate: une vraie traînée de poudre propulsée à la vitesse grand V par les réseaux sociaux.

Du Canada au Pakistan à l'Islande, les citoyens et les médias ont dénoncé cette situation.

En Islande, le premier ministre Sigmundur David Gunnlaugsson– qui avait des avoirs placés dans un paradis fiscal par le biais d'une société écran– a dû démissionner après des révélations sur ses placements offshore qui ont jeté dans la rue des milliers de manifestants en colère.

Le premier ministre du Royaume-Uni David Cameron a aussi été éclaboussé.

Et ce n'est que le début.

Dans les prochaines semaines, les médias du consortium continueront à publier des reportages sur les paradis fiscaux, sans parler d'enquêtes sur d'autres sujets d'intérêt public.

À ce jour, le consortium a notamment publié des reportages sur les multinationales du tabac, le crime organisé, les cartels militaires, l'industrie de l'amiante, ainsi que sur le lobby des changements climatiques.

L'actif le plus à risque

Cela signifie que les pratiques illégales, dangereuses, controversées ou moralement contestables pourront de moins en moins demeurer secrètes, loin du regard inquisiteur des citoyens. Et surtout, ces pratiques seront étalées au grand jour simultanément dans plus de 65 pays.

L'impact sur l'opinion publique sera rapide et global, comme on l'a vu dans le cas des «Panama Papers».

L'enjeu est de taille pour les entreprises et les investisseurs, car la réputation est l'un des principaux actifs des organisations.

Une étude publiée en 2012 par le CIRANO (La réputation de votre entreprise: est-ce que votre actif le plus stratégique est en danger?) montre à quel point la réputation est importante et que sa perte ou son effritement peut être catastrophique.

Voici deux constats tirés de cette étude qui font réfléchir:

-la réputation stabilise les résultats financiers d’une entreprise et prévient la perte de valeur lors des fléchissements du marché et des turbulences économiques.

-une baisse d’un point de la réputation est associée à une perte moyenne sur le marché d’environ 5 milliards de dollars si la méthodologie est appliquée aux 50 plus importantes entreprises cotées en Bourse aux États-Unis.

Ainsi, le moindre faux pas d'une entreprise ou d'un investisseur institutionnel risque de faire le tour du monde, si son industrie ou le secteur dans lequel il investit est scruté à la loupe par le consortium des médias internationaux.

Dans le cas des «Panama Papers», n'oublions pas que c'est un simple lanceur d'alerte qui a provoqué une onde de choc planétaire à propos des paradis fiscaux.

Bienvenue à l'ère de la mondialisation de l'indignation.

 

À propos de ce blogue

Dans son analyse Zoom sur le monde, François Normand traite des enjeux géopolitiques qui sont trop souvent sous-estimés par les investisseurs et les exportateurs. Journaliste au journal Les Affaires depuis 2000 (il était au Devoir auparavant), François est spécialisé en commerce international, en entrepreneuriat, en énergie & ressources naturelles, de même qu'en analyse géopolitique. François est historien de formation, en plus de détenir un certificat en journalisme de l’Université Laval. Il a réussi le Cours sur le commerce des valeurs mobilières au Canada (CCVM) de l’Institut canadien des valeurs mobilières et il a fait des études de 2e cycle en gestion des risques financiers à l’Université de Sherbrooke durant 15 mois. Il détient aussi un MBA de l'Université de Sherbrooke. François a réalisé plusieurs stages de formation à l’étranger: à l’École supérieure de journalisme de Lille, en France (1996); auprès des institutions de l'Union européenne, à Bruxelles (2002); auprès des institutions de Hong Kong (2008); participation à l'International Visitor Leadership Program du State Department, aux États-Unis (2009). En 2007, il a remporté le 2e prix d'excellence Caisse de dépôt et placement du Québec - Merrill Lynch en journalisme économique et financier pour sa série « Exporter aux États-Unis ». En 2020, il a été finaliste au prix Judith-Jasmin (catégorie opinion) pour son analyse « Voulons-nous vraiment vivre dans ce monde? ».

François Normand