La menace terroriste en Europe est là pour rester

Publié le 25/03/2016 à 11:05

La menace terroriste en Europe est là pour rester

Publié le 25/03/2016 à 11:05

Des citoyens belges à Bruxelles (source photo: Bloomberg)

ANALYSE DU RISQUE - Les attentats de Paris et Bruxelles changent la donne en Europe. Le vieux continent entre dans une longue période d'incertitude sécuritaire, où les attaques terroristes pourraient se multiplier et être de plus plus meurtrières, disent les spécialistes. Les investisseurs doivent donc se préparer à gérer ce risque.

«On est à mon avis sur une pente ascendante», nous explique Fabrice de Pierrebourg, spécialiste en sécurité nationale au 98,5 FM à Montréal, qui a récemment publié Djihad.ca, en collaboration avec le journaliste Vincent Larouche de La Presse.

Auteur de trois autres essais sur les filières islamistes, cet ancien journaliste partage l'avis de l'ex-juge français antiterroriste, Marc Trévidic, qui estime que le pire est devant nous.

«Le terrorisme est une surenchère; il faut toujours aller plus loin, frapper plus fort. Et puis, il reste «le prix Goncourt du terrorisme» à atteindre, et je fais là référence aux attentats du 11 septembre 2001 contre les tours du World Trade Center», a déclaré Marc Trévidic dans un entretien accordé à Paris-Match le 30 septembre 2015.

C'était six semaines avant les terribles attentats de Paris, du 14 novembre, qui ont fait 130 morts.

Angelo Katsoras, analyste en risque géopolitique à la Banque Nationale Marchés Financiers, croit aussi que le menace terroriste s'accentue en Europe. «C'est un autre problème qui s'ajoute aux problèmes auxquels l'Europe fait déjà face tels que le Brexit ou l'endettement public», dit-il.

Les impacts du terrorisme

La menace terroriste a bien entendu un impact sur l'économie européenne.

Par exemple, les gens sortent moins dans les restaurants. Les touristes évitent certaines villes (Paris a vécu cette situation après les attentats du 14 novembre). La fluidité aux frontières est aussi ralentie en raison des contrôles accrus.

Mais surtout, la menace terroriste crée un climat de peur et d'instabilité, justement recherché par les terroristes. Il peut s'estomper, momentanément. Mais il revient à grands pas dès lors que les terroristes frappent à nouveau.

Cette situation constitue un risque géopolitique pour les investisseurs. Investir dans les titres des secteurs non cycliques, comme l'alimentation et les produits de base (détergents, savon, etc.), peut être une stratégie pour réduire ce risque.

Car peu importe le climat sécuritaire en Europe, les citoyens continueront de s'alimenter et d'entretenir leur résidence.

Mais la grande question, c'est combien de temps durera ce climat d'incertitude?

Dans Djihad.ca, Fabrice de Pierrebourg écrit que «la plupart de nos interlocuteurs sont pessimistes en raison de la nature même de ce terrorisme des années 2010 qui ne ressemble à rien à celui des années 1980».

À cette époque, les services secrets occidentaux affrontaient des États qui commanditaient le terrorisme, comme la Libye ou la Syrie. Ces derniers commettaient des attentats en Europe directement ou par le biais d'organisations terroristes.

Pour éradiquer la menace, les capitales européennes sanctionnaient ces États. Ceux-ci pouvaient aussi cesser de supporter ces groupes terroristes, provoquant la disparition de ce terrorisme.

Terrorisme: ce qui a changé avec l'État islamique

Aujourd'hui, l'Europe - et l'Occident - n'a plus d'interlocuteur en face d'elle, affirment les spécialistes. Par exemple, l'État islamique ne veut pas négocier: il s'attaque aux valeurs et aux fondements de la démocratie occidentale.

Un retour en arrière s'impose pour comprendre sa logique politique.

Créé en 2006, l'État islamique a proclamé le 29 juin 2014 le rétablissement d'un califat - un territoire reconnaissant l'autorité d'un calife successeur de Mahomet dans l'exercice du pouvoir - sur les territoires qu'il contrôle en Irak et en Syrie.

L'historien français Pierre-Jean Luizard explique très bien cette situation dans son essai Le Piège Daech: l'État islamique et le retour de l'Histoire.

Aujourd'hui, l'EI contrôle une bonne partie du territoire syrien et de l'Irak. Et il ressemble de plus en plus à un vrai État.

L'État islamique est aussi bien plus organisé qu'on ne le croit.

Il sa propre monnaie, son armée, sa police, et ses services secrets. Pour certains spécialistes, il dispose même d'un contingent étranger, puisque des terroristes qui ont combattu en Syrie s'infiltrent en Europe pour commettre des attentats.

Et ses dirigeants ne sont pas des amateurs. Une bonne partie d'entre eux est issue du parti Baas de Saddam Hussein, rappelle Pierre-Jean Luizard.

L'État islamique peut-il être vaincu militairement?

Probablement, si les pays occidentaux décident d'envoyer des troupes au sol, disent les analystes militaires. Mais c'est ce que désire l'EI, selon l'historien français. Pourquoi? Parce que cela pourrait permettre à Daech de rallier encore plus de personnes à sa cause, notamment auprès de la jeunesse occidentale.

De plus, une intervention terrestre - de concert avec des pays de la région - pourrait être vouée à l'échec si elle ne s'accompagne pas d'une alternative politique aux populations locales. Ce qui est le cas actuellement, écrit Pierre-Jean Luizard.

«La coalition anti-Daech n'a strictement aucune perspective politique à offrir aux populations qui se sont ralliées à l'État islamique, ou bien qui se sont résignées à sa domination comme un moindre mal par rapport aux régimes oppressifs sous lesquels elles ont souffert en Irak et en Syrie.»

Du reste, les opinions publiques en Occident seraient-elles favorables à une intervention au sol? On peut sérieusement en douter.

Voilà pourquoi l'EI, même affaibli par les bombardements incessants depuis l'été 2014 et l'effritement de son territoire, pourrait bien être là pour rester, du moins dans un avenir prévisible.

Ce qui n'augure rien de bon pour l'Europe - et le reste de l'Occident.

 

 

À propos de ce blogue

Dans son analyse Zoom sur le monde, François Normand traite des enjeux géopolitiques qui sont trop souvent sous-estimés par les investisseurs et les exportateurs. Journaliste au journal Les Affaires depuis 2000 (il était au Devoir auparavant), François est spécialisé en commerce international, en entrepreneuriat, en énergie & ressources naturelles, de même qu'en analyse géopolitique. François est historien de formation, en plus de détenir un certificat en journalisme de l’Université Laval. Il a réussi le Cours sur le commerce des valeurs mobilières au Canada (CCVM) de l’Institut canadien des valeurs mobilières et il a fait des études de 2e cycle en gestion des risques financiers à l’Université de Sherbrooke durant 15 mois. Il détient aussi un MBA de l'Université de Sherbrooke. François a réalisé plusieurs stages de formation à l’étranger: à l’École supérieure de journalisme de Lille, en France (1996); auprès des institutions de l'Union européenne, à Bruxelles (2002); auprès des institutions de Hong Kong (2008); participation à l'International Visitor Leadership Program du State Department, aux États-Unis (2009). En 2007, il a remporté le 2e prix d'excellence Caisse de dépôt et placement du Québec - Merrill Lynch en journalisme économique et financier pour sa série « Exporter aux États-Unis ». En 2020, il a été finaliste au prix Judith-Jasmin (catégorie opinion) pour son analyse « Voulons-nous vraiment vivre dans ce monde? ».

François Normand