La fin du libre-échange avec l'Europe, vraiment?

Publié le 22/10/2016 à 09:30

La fin du libre-échange avec l'Europe, vraiment?

Publié le 22/10/2016 à 09:30

ANALYSE DU RISQUE - L'onde de choc s'est propagée comme une traînée de poudre. Ottawa a mis fin ce vendredi aux négociations de libre-échange entre le Canada et l'Union européenne, incapable de convaincre les Wallons de ratifier l'accord. Mais est-ce pour autant la fin du libre-échange avec l'Europe? Pas nécessairement.

La situation est surréaliste. La Wallonie est l'un des États fédérés de la Belgique. Elle compte 3,6 millions d'habitants. Or, comme le prévoit la constitution belge, le parlement wallon a un droit de veto sur les accords de libre-échange conclus par l'Union européenne.

Comme l'unanimité est la règle dans l'Union, l'opposition des Wallons à ratifier l'entente vient de faire dérailler les pourparlers.

La ministre canadienne du Commerce international, Chrystia Freeland, qui a quitté la table des négociations, s'est dite très déçue par la tournure des événements.

«Le Canada a travaillé, et moi personnellement, j'ai travaillé très fort, mais maintenant il semble évident pour moi, pour le Canada, que l'Union européenne n'est pas capable d'atteindre un accord international, même avec un pays qui a des valeurs européennes comme le Canada, même avec un pays si gentil et avec beaucoup de patience comme le Canada», a-t-elle fait savoir par voie de communiqué.

Pour l'essentiel, les négociations achoppent encore sur la question des services publics et de l'agriculture. Dans un entretien au quotidien Le Monde, le ministre-président de la Wallonie, Paul Magnette, a indiqué qu'il souhaitait que l'accord protège davantage les agriculteurs wallons.

«Une clause de sauvegarde pour les agriculteurs canadiens est prévue, et c’est très bien. Je ne comprends pas pourquoi il n’en va pas de même pour les Européens. Notre partenaire est, c’est vrai, plus petit que l’UE, mais un produit canadien dont les quotas d’exportation se concentreraient sur un pays ou une région pourrait déstabiliser toute une filière.»

Le parlement wallon est souverain pour ratifier les accords de libre-échange. Il s'oppose au contenu actuel du présent traité avec le Canada? Eh bien, c'est son stricte de droit. Mais on peut comprendre l'exaspération du Canada et de l'ensemble des pays Européens.

Malgré tout, le geste posé vendredi par la ministre Freeland en Belgique ne signifie pas nécessairement la fin de l'entente.

Pourquoi? Parce que les enjeux économiques en cause sont tellement importants - surtout pour le Canada - qu'on voit mal comment les négociations ne pourraient pas reprendre à terme.

Rappelons que les 28 pays de l'Union européenne - le Royaume-Uni en fait toujours partie pour l'instant, malgré le vote en faveur du Brexit - est le plus grand marché au monde, comme on peut le voir sur ce graphique.

Bref, le geste du Canada s'apparente beaucoup à une stratégie pour forcer le jeu afin de conclure un compromis qui pourraient satisfaire toutes les parties, incluant les Wallons.

Les Canadiens et les Européens ont tout simplement trop fait d'efforts depuis des années pour tout laisser tomber si près du but. C'est comme si on arrêtait d'escalader l'Everest tout près du sommet en raison d'une difficulté majeure, mais pas insurmontable.

Il faut aussi se rappeler pourquoi le Canada a voulu conclure cet accord de libre-échange avec la plus grande économie de la planète: il voulait diversifier ses marchés.

En 2015, le Canada expédiait 77% de ses exportations aux États-Unis, selon Statistique Canada. Une proportion qui est trop grande, disent les économistes.

À titre d'exemple, l'Union européenne ne reçoit que 7% des exportations canadiennes à l'étranger.

Le libre-échange avec l'Europe permettrait au Canada d'accroître ses échanges avec les pays européens, sans pour autant tourner le dos au marché américain qui est -et qui demeurera- notre principale source de croissance économique.

L'Union européenne a des marchés très diversifiés.

Le dynamisme économique varie aussi d'une région à l'autre, comme on peut le voir sur cette carte qui montre les taux de croissance du PIB réel dans les différents pays de l'UE.


Par exemple, les pays d'Europe orientale affichent un taux de croissance plus élevé que dans les grandes économies comme l'Allemagne et la France. L'Espagne et la Suède se démarquent également par leur dynamisme économique.

Enfin, on l'oublie souvent, l’Union européenne est un marché de 510 millions d'habitants avec l'un des niveaux de vie le plus élevé dans le monde. L'UE abrite aussi des démocraties libérales, dotées d'un État de droit prévisible et d'une culture d'affaires similaire à celle du Canada.

Et Ottawa voudrait vraiment renoncer à tout cela, malgré l'opposition des Wallons à la forme actuelle de l'accord de libre-échange?

Peu d'analystes y croient. Voilà pourquoi il est fort possible que l'on assiste bientôt à une reprise des pourparlers avec les Wallons et les Européens.

À propos de ce blogue

Dans son analyse Zoom sur le monde, François Normand traite des enjeux géopolitiques qui sont trop souvent sous-estimés par les investisseurs et les exportateurs. Journaliste au journal Les Affaires depuis 2000 (il était au Devoir auparavant), François est spécialisé en commerce international, en entrepreneuriat, en énergie & ressources naturelles, de même qu'en analyse géopolitique. François est historien de formation, en plus de détenir un certificat en journalisme de l’Université Laval. Il a réussi le Cours sur le commerce des valeurs mobilières au Canada (CCVM) de l’Institut canadien des valeurs mobilières et il a fait des études de 2e cycle en gestion des risques financiers à l’Université de Sherbrooke durant 15 mois. Il détient aussi un MBA de l'Université de Sherbrooke. François a réalisé plusieurs stages de formation à l’étranger: à l’École supérieure de journalisme de Lille, en France (1996); auprès des institutions de l'Union européenne, à Bruxelles (2002); auprès des institutions de Hong Kong (2008); participation à l'International Visitor Leadership Program du State Department, aux États-Unis (2009). En 2007, il a remporté le 2e prix d'excellence Caisse de dépôt et placement du Québec - Merrill Lynch en journalisme économique et financier pour sa série « Exporter aux États-Unis ». En 2020, il a été finaliste au prix Judith-Jasmin (catégorie opinion) pour son analyse « Voulons-nous vraiment vivre dans ce monde? ».

François Normand