La diplomatie commerciale du Canada nuit à nos entreprises

Publié le 13/02/2016 à 09:04

La diplomatie commerciale du Canada nuit à nos entreprises

Publié le 13/02/2016 à 09:04

Source photo: Shutterstock

ANALYSE DU RISQUE - Les États-Unis et les puissances européennes manipulent avec finesse l'arme de la diplomatie commerciale pour aider leurs entreprises à conquérir de nouveaux marchés. Or, Ottawa utilise très peu cet arsenal, ce qui nuit aux sociétés canadiennes dans des secteurs stratégiques comme l'aérospatiale, le transport et l'énergie.

Car, selon plusieurs analystes, il ne suffit pas d'avoir de bons produits ou de profiter d’un taux de change favorable pour vendre à l’étranger. Il faut aussi parfois des réseaux d'influence - et on ne parle pas ici de corruption - pour faciliter le commerce, au premier chef avec des pays où les contacts politiques sont cruciaux comme en Chine ou au Moyen-Orient.

Dans une récente analyse publiée dans le Globe and Mail à ce sujet, le chroniqueur économique Eric Reguly déplorait la «naïveté diplomatique du Canada». Et pour illustrer son propos, il donnait l'exemple de l'Iran qui est en train de renouer ses relations commerciales avec l'Occident.

Alors que des pays comme la France et l'Italie ont maintenu leurs relations diplomatiques avec ce pays au plus fort de la crise sur le programme nucléaire iranien, le Canada a décidé de rompre complètement ses relations avec l'Iran en 2012.

Et aujourd’hui, nos entreprises risquent d'en payer le prix, estiment certains analystes, dont Eric Reguly.

Depuis un mois, l'Iran a signé de lucratifs contrats avec l'avionneur Airbus (EPA; AIR) pour l'acquisition de 114 appareils. Le gouvernement iranien a aussi choisi Ferrovie dello Stato, la compagnie des chemins de fer italiens, pour réaliser deux lignes pour un train à grande vitesse.

Pendant ce temps, Ottawa essaie de rétablir tant bien que mal ses relations diplomatiques – et commerciales - avec Téhéran, un processus compliqué parce qu'Ottawa a notamment inscrit l'Iran sur la liste des États commanditant le terrorisme.

Or, quand ce processus sera terminé, il sera peut-être trop tard pour les Bombardier (Tor.; BBD) et SNC-Lavalin (Tor.; SNC) de ce monde, sans parler des sociétés énergétiques de l'Ouest canadien qui peuvent aider l'Iran à moderniser son industrie pétrolière et gazière.

Car, pendant ce temps, les Européens, les Chinois et, en partie, les Américains s’activent sur le marché iranien dans l'aérospatiale, le transport, l'énergie, de même que dans les infrastructures publiques.

Un risque géopolitique qui tombe bien mal pour Bombardier qui a de la difficulté à trouver des clients pour acheter les appareils de la CSeries.

La stratégie des Américains et des Européens

En fait, même dans un contexte plus normal, Washington, Paris, Londres, Berlin ou Rome sont beaucoup plus proactifs pour aider leurs entreprises à brasser des affaires à l'étranger, au premier chef dans l'aérospatiale.

Par exemple, en octobre 2015, la Chine a acheté 130 Airbus pour une valeur totalisant 15,5 milliards d'euros (24,2 G$). L'annonce a été faite après un entretien, à Pékin, entre la chancelière allemande Angela Merkel et le premier ministre chinois Li Keqiang.

Autre exemple: en novembre 2010, lors d'une tournée de pays asiatiques, le président Barack Obama a annoncé la signature de contrats totalisant 10 G$US avec l'Inde, incluant l'achat de 33 appareils 737 de Boeing (NY; BA), sans parler de l'engagement de l'armée indienne d'acquérir des moteurs d'avions du manufacturier General Electric (NY; GE).

Cela dit, la diplomatique commerciale des Américains et des Européens va beaucoup plus loin que des visites diplomatiques de chefs d'État et de gouvernement, révèlent des centaines de notes diplomatiques publiées par Wikileaks en 2010.

On y apprend que les diplomates américains jouent un rôle prépondérant dans la force de ventes de Boeing à l'étranger contre son concurrent Airbus, selon le New York Times.

Les présidents américains mettent aussi la main à la pâte.

Par exemple, en 2006, Israel Hernandez, un haut fonctionnaire du département américain du Commerce, a donné à un représentant du cabinet du roi Abdallah d'Arabie saoudite une lettre écrite par le président George W. Bush à l’attention du souverain saoudien.

Dans cette lettre, le président Bush enjoignait le roi Abdallah d'acheter 43 Boeing pour moderniser Saudi Arabian Airlines ainsi que 13 jets pour la flotte de la famille royale.

Le roi saoudien a accepté à la condition que son avion personnel soit équipée de la même technologie qu'Air Force One, le célèbre appareil de fonction des présidents américains, selon Wikileaks.

Le département d'État à Washington a confirmé au New York Times que l'appareil du roi avait été modifié, mais sans donner de détails.

Le gouvernement canadien absent du Paris-Le Bourget...

Un fait rapporté par Les Affaires illustre bien comment la diplomatie commerciale du Canada est à des années lumières de celle des Américains et des Européens.

En juin 2015, lors du Salon de l'aéronautique et de l'espace Paris-Le Bouget, aucun ministre du gouvernement canadien ne s'est présenté à l'événement - les gouvernements du Québec et de l'Ontario y avaient dépêché leur ministre de l'Économie (Jacques Daoust) et du Développement économique (Brad Doguid).

Rappelons que la planète aérospatiale est concentrée dans ce salon durant quelques jours.

Sans surprise, le président français François Hollande s'est présenté au salon, puisque l’événement se tient en France.

Pour leur part, les États-Unis y avaient envoyé la secrétaire de l'Armée de l'air, Deborah Lee James, sans parler de la présence l'ambassadrice américaine en France, Jane Hartley.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

À propos de ce blogue

Dans son analyse Zoom sur le monde, François Normand traite des enjeux géopolitiques qui sont trop souvent sous-estimés par les investisseurs et les exportateurs. Journaliste au journal Les Affaires depuis 2000 (il était au Devoir auparavant), François est spécialisé en commerce international, en entrepreneuriat, en énergie & ressources naturelles, de même qu'en analyse géopolitique. François est historien de formation, en plus de détenir un certificat en journalisme de l’Université Laval. Il a réussi le Cours sur le commerce des valeurs mobilières au Canada (CCVM) de l’Institut canadien des valeurs mobilières et il a fait des études de 2e cycle en gestion des risques financiers à l’Université de Sherbrooke durant 15 mois. Il détient aussi un MBA de l'Université de Sherbrooke. François a réalisé plusieurs stages de formation à l’étranger: à l’École supérieure de journalisme de Lille, en France (1996); auprès des institutions de l'Union européenne, à Bruxelles (2002); auprès des institutions de Hong Kong (2008); participation à l'International Visitor Leadership Program du State Department, aux États-Unis (2009). En 2007, il a remporté le 2e prix d'excellence Caisse de dépôt et placement du Québec - Merrill Lynch en journalisme économique et financier pour sa série « Exporter aux États-Unis ». En 2020, il a été finaliste au prix Judith-Jasmin (catégorie opinion) pour son analyse « Voulons-nous vraiment vivre dans ce monde? ».

François Normand