La Chine veut détrôner le dollar américain avec le pétroyuan

Publié le 18/11/2017 à 11:24

La Chine veut détrôner le dollar américain avec le pétroyuan

Publié le 18/11/2017 à 11:24

Source photo: 123rf.com

ANALYSE GÉOPOLITIQUE – Personne ne parle de cet enjeu ou presque au Canada. Pourtant, il pourrait avoir des répercussions sur la valeur du dollar américain et, par la bande, du huard. La Chine veut lancer des contrats pétroliers à terme libellés en yuans et convertibles en or sur les Bourses de Hong Kong et de Shanghai.

Des pays comme la Russie, l’Iran, l’Angola, le Brésil et le Venezuela ont déjà accepté que la Chine paie leur pétrole en yuans, souligne le quotidien La Libre Belgique. Par contre, Pékin va beaucoup plus loin avec ce contrat pétrolier à terme.

Selon des spécialistes, Pékin veut concurrencer le dollar américain, voire le détrôner, comme devise de référence pour les échanges pétroliers, alors que la Chine est devenue le plus important importateur de pétrole.

En plus de favoriser la montée en puissance de la Chine, la stratégie du gouvernement chinois permettrait aussi aux pays qui ont des tensions avec les États-Unis, comme la Russie ou l’Iran, de s’affranchir d’éventuelles sanctions économiques américaines.

Caroline Galactéros, politologue et directrice du cabinet français de conseil en intelligence stratégique Planeting, affirme que ce projet de la Chine pourrait être le début d’un long processus de «dédollarisation» de l’économie mondiale.

Et il risque d’y avoir un impact sur les taux de change entre les principales devises dans le monde, selon le périodique français d’économie DAF Magazine.

Comme la valeur du dollar américain est déterminée par le jeu de l’offre et de la demande, la dédollarisation de l’économie mondiale pourrait à terme réduire la demande pour le billet vert et faire diminuer sa valeur.

Toutes choses égales par ailleurs, le dollar canadien pourrait aussi s’apprécier par rapport à la devise américaine.

Or, quand le taux de change canado-américain varie, cela peut avoir un impact sur la dynamique des échanges commerciaux des deux côtés de la frontière (un huard fort défavorise les exportations canadiennes), sans parler des fusions et acquisitions (un huard fort favorise l’acquisition d’entreprises américaines).

La création d’un pétroyuan est clairement un enjeu économique. Mais il représente aussi un enjeu de domination politique de l’Eurasie (la masse continentale englobant l’Europe et l’Asie) et des circuits mondiaux de l’énergie, disent les spécialistes.

Or, quand une puissance domine l’Eurasie, celle-ci exerce une influence majeure dans le monde, soulignent les historiens.

Les États-Unis ne se laisseront pas faire

Les Américains n’assisteront pas les bras croisés au déclin de leur monnaie, car ils demeurent encore la première économie. C’est pourquoi, à leurs yeux, les États-Unis doivent conserver une devise dominante pour le commerce du pétrole.

Il faut remonter aux années 1970 pour mieux comprendre cette situation.

En 1974, les Américains ont signé un accord avec l’Arabie saoudite. L’objectif était de stopper l’affaiblissement du dollar à la suite de l’abandon de l’étalon-or par l’administration républicaine de Richard Nixon en 1971.

Le royaume saoudien a accepté alors de vendre son pétrole uniquement en dollars américains. En contrepartie, Washington s’est engagé à protéger l’Arabie saoudite, tandis que cette dernière devait recycler ses dollars dans l’économie américaine.

C’est cet accord qui a donné naissance au pétrodollar, qui a contraint le monde entier à acheter l’énergie en dollars américains.

Selon certains analystes, l’attitude intransigeante de l’administration Trump à l’égard de l’Iran -l’ennemi juré de l’Arabie saoudite- depuis quelques temps pourrait faire partie d’une stratégie pour rappeler à Riyad qui sont ses vrais alliés.

Et garder du coup le royaume saoudien dans le giron américain.

Pourquoi la Chine pourrait échouer

Même si la Chine veut détrôner le billet vert avec le pétroyuan, il est loin d’être acquis qu’elle puisse y arriver. À vrai dire, Pékin fait face à plusieurs obstacles, affirment des spécialistes en finance interviewés par le réseau américain CNBC.

Premièrement, les marchés mondiaux de l’énergie estiment que la Chine exerce trop de contrôle sur l’économie. Dans ce contexte, il pourrait être difficile pour un pétroyuan de vraiment concurrencer avec des «benchmarks» pétroliers comme le West Texas Intermediate (WTI), dont les prix sont vraiment déterminés par le libre marché.

Deuxièmement, pour être viables, les contrats à terme doivent être très liquides afin qu’il y ait toujours assez de vendeurs et d’acheteurs. Les marchés pétroliers du Brent de la mer du Nord ou du WTI sont très liquides. Pékin pourra-t-il changer cette situation au profit de son contrat à terme? Des spécialistes en doutent.

Troisièmement, contrairement au dollar américain, le yuan chinois n’est pas encore une devise entièrement convertible, sans parler du fait que le gouvernement chinois exerce un contrôle sur les mouvements de capitaux. Ce sont «deux prises» pour la Chine.

Quatrièmement, puisqu’il est déjà très interventionniste dans l’économie, le gouvernement chinois pourrait favoriser les sociétés d’État énergétiques de la Chine dans ce nouveau marché du pétroyuan. Les marchés pétroliers craignent ce favoritisme potentiel.

Le projet de la Chine de créer des contrats pétroliers à terme libellés en yuans et convertibles en or est probablement l’un des mouvements de plaques tectoniques financiers les plus importants dans le monde depuis la fin de la Deuxième Guerre mondiale.

Si la Chine réussit à détrôner le dollar américain avec son pétroyuan ou seulement le marginaliser, cela aurait bien entendu des impacts financiers, économiques et politiques majeurs.

La gestion des risques de devises deviendrait plus complexe. Il y aurait bien entendu aussi de nouvelles occasions d’affaires et d'investissements.

Le grand jeu de la Chine fonctionnera-t-il? Personne ne peut le dire avec certitude.

Chose certaine, cet enjeu doit être sur l’écran radar des décideurs politiques et économiques au Canada.

 

À propos de ce blogue

Dans son analyse Zoom sur le monde, François Normand traite des enjeux géopolitiques qui sont trop souvent sous-estimés par les investisseurs et les exportateurs. Journaliste au journal Les Affaires depuis 2000 (il était au Devoir auparavant), François est spécialisé en commerce international, en entrepreneuriat, en énergie & ressources naturelles, de même qu'en analyse géopolitique. François est historien de formation, en plus de détenir un certificat en journalisme de l’Université Laval. Il a réussi le Cours sur le commerce des valeurs mobilières au Canada (CCVM) de l’Institut canadien des valeurs mobilières et il a fait des études de 2e cycle en gestion des risques financiers à l’Université de Sherbrooke durant 15 mois. Il détient aussi un MBA de l'Université de Sherbrooke. François a réalisé plusieurs stages de formation à l’étranger: à l’École supérieure de journalisme de Lille, en France (1996); auprès des institutions de l'Union européenne, à Bruxelles (2002); auprès des institutions de Hong Kong (2008); participation à l'International Visitor Leadership Program du State Department, aux États-Unis (2009). En 2007, il a remporté le 2e prix d'excellence Caisse de dépôt et placement du Québec - Merrill Lynch en journalisme économique et financier pour sa série « Exporter aux États-Unis ». En 2020, il a été finaliste au prix Judith-Jasmin (catégorie opinion) pour son analyse « Voulons-nous vraiment vivre dans ce monde? ».

François Normand