L'État islamique ne sera pas vaincu en 2016

Publié le 19/12/2015 à 09:15

L'État islamique ne sera pas vaincu en 2016

Publié le 19/12/2015 à 09:15

Un chasseur Rafale de l'Armée française

ANALYSE DU RISQUE–Malgré les bombardements et la perte d'une partie de son territoire en Syrie et en Irak, l'État islamique continue de représenter une menace importante. Et l'organisation terroriste pourrait même devenir encore plus dangereuse à l'avenir, affirment certains analystes.

Aussi, les investisseurs qui espéraient une stabilisation du Proche-Orient en 2016 pourraient déchanter: l'intensification des frappes aériennes contre Daech (nom arabe pour État islamique) à la suite des attentats de Paris ne permettra pas de détruire l'organisation à court terme.

Et à long terme, rien ne garantit non plus que cette stratégie donnera les résultats escomptés.

Pourquoi?

L'État islamique avait prévu et souhaité ce qui se passe actuellement, soit l'intensification des bombardements contre son califat (un territoire reconnaissant l'autorité d'un calife successeur de Mahomet dans l'exercice du pouvoir) qu'il a créé à cheval sur la Syrie et l'Irak, en 2014, de la taille du Royaume-Uni.

L'historien français Pierre-Jean Luizard explique très bien les intentions de Daech dans un récent essai intitulé Le Piège Daech: l'État islamique et le retour de l'Histoire, un livre que devraient lire tous les chefs d'État et de gouvernement - et les investisseurs.

L'État islamique nous a tendu un piège. Aussi surprenant que cela puisse paraître, Daech a besoin qu'on les bombarde pour s'implanter durablement au Proche-Orient et prendre de l'expansion.

La logique de l'EI est la suivante: plus on bombarde le califat, plus il lui est facile de rallier encore davantage de personnes à sa cause, notamment en Occident.

Et en commettant l'attentat à Paris le 13 novembre, Daech savait fort bien que la France et ses alliés accentueraient leurs frappes contre le califat.

Et ceux qui croient que les bombardements massifs détruiront finalement l'EI se trompent, car ces frappes ne permettront pas de renverser Daech, affirment les experts militaires.

Il est vrai que, depuis l'été 2014, les bombardements incessants contre l'EI (infrastructures, télécommunications, convois, équipements militaires, sites de production d'énergie, etc.) l'affaiblissent et lui font perdre des revenus.

Mais est-ce que ces frappes réduiront vraiment le nombre de combattants et de sympathisants de Daech au Proche-Orient - et en Occident?

La réponse est non, affirme Stephen M. Walt, spécialiste en relations internationales à l'Université Harvard.

Dans une analyse publiée dans Foreign Policy, il souligne que malgré les guerres (Irak, Afghanistan), les bombardements et les attaques ciblées avec des drones, on compte plus de terroristes affiliés à Al-Qaida aujourd'hui qu'avant le 11 septembre 2001.

Bref, il faudrait une intervention militaire au sol, avec des centaines de milliers soldats, pour espérer reprendre les villes occupées par Daech en Syrie et en Irak.

Après le traumatisme des guerres en Irak et en Afghanistan, on voit mal comment les États-Unis pourraient impliquer son armée de terre dans une autre aventure militaire dans cette région du monde.

Or, sans les Américains, les autres puissances occidentales - au premier chef la France - ne bougeront pas. Il serait aussi surprenant que la Russie y déploie son armée de terre.

Reste donc la possibilité que des pays de la région (avec le soutien des Occidentaux, et en incluant sans doute l'armée syrienne du régime de Bachar Al-Assad) interviennent sur le terrain pour appuyer l'armée irakienne et les combattants kurdes qui se battent déjà contre l'État islamique.

Cela dit, sans alternative politique crédible et acceptable pour les populations locales, une intervention terrestre risque d'être un coup d'épée dans l'eau, affirme Pierre-Jean Luizard dans on essai.

«La coalition anti-Daech n'a strictement aucune perspective politique à offrir aux populations qui se sont ralliées à l'État islamique, ou bien qui se sont résignées à sa domination comme un moindre mal par rapport aux régimes oppressifs sous lesquels elles ont souffert en Irak et en Syrie.»

Or, pour l'instant, cette alternative politique n'existe pas.

On le voit bien, cette guerre est beaucoup plus complexe que ne laissent croire les politiciens et les médias. Car il ne s'agit pas d'un conflit classique entre des États, mais plutôt entre des États et une organisation terroriste qui aspire à en créer un nouveau au Proche-Orient, en profitant de la guerre civile en Syrie et de l'éclatement de l'Irak.

Cela dit, la lutte contre l'EI n'est perdue pour autant, dans la mesure où la coalition menée par les États-Unis s'y prend de la bonne manière pour le combattre, affirment plusieurs spécialistes.

Et quels sont ces outils?

La police: historiquement, les autorités ont surtout combattu le terrorisme avec des enquêtes et des interventions policières, comme ce fût le cas en Europe dans les années 1960, 1970 et 1980 pour combattre les groupuscules d'extrême gauche qui commettaient des attentats.

La finance: l'argent est le nerf de la guerre, dit l'adage. Eh bien, la coalition contre l'État islamique semble l'avoir compris, avec la récente décision du Conseil de sécurité de l'ONU de tarir les sources de financement de Daech.

La connaissance: «Connais ton ennemi», a écrit le stratège chinois Sun Tzu dans L'Art de la guerre. Savons-nous vraiment qui est Daech? Quelle est son origine? Quel est son projet de société? Les médias nous donnent des informations, mais c'est nettement insuffisant. Une meilleure information nous permettrait notamment de comprendre pourquoi des jeunes (souvent des adolescents) en Amérique du Nord et Europe laissent tout tomber pour joindre les combattants l'État islamique en Syrie.

Une meilleure connaissance nous permettrait aussi de comprendre que la naissance de Daech tient en grande partie au renversement de Saddam Hussein en Irak, en 2003, par les États-Unis. Ce qui permet de mieux jauger tous les risques associés aux interventions militaires à l'étranger.

La guerre des idées: pendant la Guerre froide, les États-Unis n'ont pas seulement contenu l'ex-URSS avec leur armée; ils ont aussi combattu le communisme sur le terrain des idées, notamment avec Radio Free Europe, fondée en 1949.

Plusieurs analystes estiment que la coalition doit faire la même chose pour combattre les idées de l'EI, en Occident comme au Proche-Orient. Pourquoi? Afin que les populations du califat contestent davantage la légitimité des dirigeants de l'EI ou que de gens soient incités à quitter le califat.

Pendant la Guerre froide, les populations d'Europe de l'Est passaient à l'Ouest. Rares étaient les citoyens d'Europe occidentale qui passaient à l'Est...

 

 

 

 

 

 

À propos de ce blogue

Dans son analyse Zoom sur le monde, François Normand traite des enjeux géopolitiques qui sont trop souvent sous-estimés par les investisseurs et les exportateurs. Journaliste au journal Les Affaires depuis 2000 (il était au Devoir auparavant), François est spécialisé en commerce international, en entrepreneuriat, en énergie & ressources naturelles, de même qu'en analyse géopolitique. François est historien de formation, en plus de détenir un certificat en journalisme de l’Université Laval. Il a réussi le Cours sur le commerce des valeurs mobilières au Canada (CCVM) de l’Institut canadien des valeurs mobilières et il a fait des études de 2e cycle en gestion des risques financiers à l’Université de Sherbrooke durant 15 mois. Il détient aussi un MBA de l'Université de Sherbrooke. François a réalisé plusieurs stages de formation à l’étranger: à l’École supérieure de journalisme de Lille, en France (1996); auprès des institutions de l'Union européenne, à Bruxelles (2002); auprès des institutions de Hong Kong (2008); participation à l'International Visitor Leadership Program du State Department, aux États-Unis (2009). En 2007, il a remporté le 2e prix d'excellence Caisse de dépôt et placement du Québec - Merrill Lynch en journalisme économique et financier pour sa série « Exporter aux États-Unis ». En 2020, il a été finaliste au prix Judith-Jasmin (catégorie opinion) pour son analyse « Voulons-nous vraiment vivre dans ce monde? ».

François Normand