Il faut sauver le soldat multilatéralisme

Publié le 16/09/2017 à 09:01

Il faut sauver le soldat multilatéralisme

Publié le 16/09/2017 à 09:01

ANALYSE GÉOPOLITIQUE – La libéralisation globale du commerce international (le multilatéralisme) est malade. Certains parlent même d’une mort clinique, alors que l’on assiste à la multiplication des accords de libre-échange régionaux. Or, cette tendance représente une menace pour le Canada et ses entreprises exportatrices.

Les économistes sont formels : mieux vaut abaisser en même temps les barrières au commerce international, comme l'a fait le GATT (Accord général sur les tarifs et le commerce) durant des décennies, que de le faire à la pièce. Pourquoi?

Parce cette approche de libéralisation régionale est faite de manière très inégale et qu’elle officialise en plus la loi du plus fort.

Plus un pays est puissant, plus il peut obtenir des concessions de ses partenaires régionaux avec lesquels il négocie. Les Canadiens en savent quelque chose avec la renégociation de l’Accord de libre-échange nord-américain (ALÉNA) exigée par l’administration Trump.

Or, ce système du « au plus fort la poche » est en train de devenir la norme dans le monde, même si l’Organisation mondiale du Commerce (OMC), qui a succédé au GATT en 1995, est toujours en place.

Ce graphique produit par l’OMC illustre bien de ce phénomène. On y voit une explosion des accords de libre-échange régionaux depuis le début des années 1990.

De son côté, le Canada a dix traités actuellement en vigueur (onze si l’on tient compte de l’accord de libre-échange avec l’Union européenne qui sera appliqué provisoirement à compter du 21 septembre).

Les États-Unis en ont 20.

Une tendance qui nie l’esprit du GATT

Cette tendance va à l’encontre de l’esprit du GATT (entré en vigueur en 1948, au lendemain de la Deuxième Guerre mondiale), selon Bernard Colas, avocat spécialisé en droit du commerce international et cofondateur du cabinet CMKZ.

Lors d’une récente conférence organisée par le Carrefour d’alliance d’affaires diversité-Québec, il a rappelé que la GATT a été créé afin d’abaisser les barrières au commerce international érigées durant la Dépression des années 1930.

Par exemple, durant cette décennie, la Loi Hawley-Smoot aux États-Unis a fait passer le tarif moyen sur les importations protégées de 39% à 53%.

Or, la crise économique et le protectionnisme des années 1930 -qui a favorisé la montée en puissance des Nazis en Allemagne- est en grande partie responsable du déclenchement de la Deuxième Guerre mondiale, affirment la plupart des historiens.

C’est pourquoi les chefs d’État et de gouvernement des pays développés ont voulu réduire ces barrières après la guerre. Ils avaient alors une vision commune et, surtout, un outil commun, le GATT.

À l’origine, 23 pays développés, dont le Canada et les États-Unis, ont signé l’accord.

Le GATT visait à libéraliser le commerce des biens entre ces pays. Il imposait plusieurs règles du jeu précises, dont la fameuse clause de la nation la plus favorisée.

Ainsi, un pays s’engageait à appliquer à l’ensemble des membres du GATT les modalités d’accès à son marché intérieur les plus favorables parmi celles qui étaient proposées.

Par exemple, si le Japon décidait abolir les tarifs douaniers pour le blé importé de l’Argentine, il devait également les abolir pour le blé importé du Canada ou de la France.

Aujourd’hui, l’OMC fonctionne sensiblement de la même manière que le GATT, sauf qu’il y a beaucoup plus de joueurs autour de la table, en l’occurrence 164 pays.

Une situation qui complique la libéralisation des échanges internationaux.

Pendant les belles années du GATT, les Américains et les Européens ont mené le jeu. Or, ce n’est plus possible aujourd’hui en raison la montée en puissance des économies émergentes comme la Chine.

Les rapports de force ont donc changé.

De plus, les barrières au commerce international les plus problématiques ont été abolies depuis des décennies. C’est comme un régime : les premiers kilos excédentaires sont toujours les plus faciles à perdre.

Aujourd’hui, les négociations touchent à des enjeux très sensibles, au premier chef la libéralisation du secteur agricole, qui incluent des notions telles que la souveraineté alimentaire ou l’occupation du territoire.

C’est pourquoi la ronde de négociation de Doha à l’OMC, lancée en 2001, a été un échec.

Les élites n'ont plus de vision commune

Non seulement les pays autour de la table n’ont plus de vision commune, mais ils utilisent un autre outil pour ouvrir des marchés à leurs entreprises, soient les accords de libre-échange régionaux.

Et cela a un impact concret sur les entreprises exportatrices.

Au lieu de créer un environnement d’affaires mondial uniforme et prévisible pour elles comme le faisait le GATT, ce système en est train de créer une mosaïque d’environnements d’affaires, souligne Bernard Colas.

Bien entendu, de nouvelles occasions d’affaires sont créées. Par contre, gérer la réglementation de chacun de ces accords régionaux, comme les règles d’origine, devient de plus en plus compliqué pour les exportateurs.

Malgré tout, Bernard Colas ne croit pas que l’on assiste à la mort clinique du multilatéralisme. La majorité des différends commerciaux dans le monde continue d’ailleurs à se régler dans le cadre de l’OMC.

Selon lui, on pourrait même assister à un « retour du balancier » dans une dizaine d’années et à une renaissance de l’esprit du GATT.

Et ce sont les entreprises qui exerceront des pressions sur leurs gouvernements afin de revenir à une approche plus multilatérale, dont la vertu a été oubliée ces dernières décennies.

 

À propos de ce blogue

Dans son analyse Zoom sur le monde, François Normand traite des enjeux géopolitiques qui sont trop souvent sous-estimés par les investisseurs et les exportateurs. Journaliste au journal Les Affaires depuis 2000 (il était au Devoir auparavant), François est spécialisé en commerce international, en entrepreneuriat, en énergie & ressources naturelles, de même qu'en analyse géopolitique. François est historien de formation, en plus de détenir un certificat en journalisme de l’Université Laval. Il a réussi le Cours sur le commerce des valeurs mobilières au Canada (CCVM) de l’Institut canadien des valeurs mobilières et il a fait des études de 2e cycle en gestion des risques financiers à l’Université de Sherbrooke durant 15 mois. Il détient aussi un MBA de l'Université de Sherbrooke. François a réalisé plusieurs stages de formation à l’étranger: à l’École supérieure de journalisme de Lille, en France (1996); auprès des institutions de l'Union européenne, à Bruxelles (2002); auprès des institutions de Hong Kong (2008); participation à l'International Visitor Leadership Program du State Department, aux États-Unis (2009). En 2007, il a remporté le 2e prix d'excellence Caisse de dépôt et placement du Québec - Merrill Lynch en journalisme économique et financier pour sa série « Exporter aux États-Unis ». En 2020, il a été finaliste au prix Judith-Jasmin (catégorie opinion) pour son analyse « Voulons-nous vraiment vivre dans ce monde? ».

François Normand