État islamique: il faut gagner la paix, pas la guerre

Publié le 11/06/2016 à 08:56

État islamique: il faut gagner la paix, pas la guerre

Publié le 11/06/2016 à 08:56

ANALYSE DU RISQUE - L'étau se resserre contre les combattants de l'État islamique (EI). De l'Irak à la Syrie en passant par la Libye, les forces locales reprennent des territoires à l'EI. Mais ne crions pas victoire trop vite, car pour venir à bout de l'État islamique, il faudra avant tout gagner la paix, pas uniquement la guerre, disent des analystes.

Le groupe armé a été créé en 2006. Le 29 juin 2014, il a proclamé le rétablissement d'un califat - un territoire reconnaissant l'autorité d'un calife successeur de Mahomet dans l'exercice du pouvoir - sur les territoires qu'il contrôlait en Irak et en Syrie.

Ces territoires faisaient partie jadis du califat ottoman aboli en 1924 par Mustafa Kemal Atatürk, le père de la Turquie moderne. Ils ont été remplacés par de nouveaux États créés par les Français et les Britanniques, après la Première Guerre mondiale.

En proclamant le rétablissement du califat, l'État islamique conteste justement cet ordre géopolitique.

Aujourd'hui, une victoire militaire contre l'EI semble possible, affirment certains militaires. Or, une telle victoire n'apporterait pas nécessairement beaucoup plus de stabilité au Moyen-Orient.

C'est pourquoi les investisseurs qui ont des placements dans la région où qui comptent en faire doivent demeurer prudents.

L'historien français Pierre-Jean Luizard explique très bien pourquoi dans un essai Le Piège Daech: l'État islamique et le retour de l'Histoire, qu'il a publié en 2015.

Selon lui, une intervention militaire victorieuse - des forces locales sur terre, appuyée par les bombardements de la coalition dirigée par les États-Unis - risque d'être un coup d'épée dans l'eau si elle ne s'accompagne pas d'une alternative politique aux populations locales.

«La coalition anti-Daech n'a strictement aucune perspective politique à offrir aux populations qui se sont ralliées à l'État islamique, ou bien qui se sont résignées à sa domination comme un moindre mal par rapport aux régimes oppressifs sous lesquels elles ont souffert en Irak et en Syrie.»

L'État islamique est une organisation sunnite. Et les populations qui se sont ralliées ou résignées à la domination de l'EI sont également sunnites. En Irak, par exemple, depuis la chute du régime sunnite Saddam Hussein en 2003, la minorité sunnite est exclue du pouvoir par la majorité chiite qui gouverne désormais le pays.

Il faut garder cela en tête pour comprendre la géopolitique dans cette région du monde.

Bien entendu, depuis l'été 2014, les bombardements incessants contre l'EI (infrastructures, télécommunications, convois, équipements militaires, sites de production d'énergie, etc.) l'affaiblissent et lui font perdre du terrain et des revenus.

Il faut toutefois se demander si ces frappes et les combats au sol réduiront vraiment le nombre de combattants et de sympathisants de Daech.

Stephen M. Walt, spécialiste en relations internationales à l'Université Harvard, affirme que non. Et il donne l'exemple d'Al-Qaida.

Dans une récente analyse publiée dans Foreign Policy, il souligne que malgré les guerres (Irak, Afghanistan), les bombardements et les attaques ciblées avec des drones, on compte plus de terroristes affiliés à Al-Qaida aujourd'hui qu'avant le 11 septembre 2001.

Bien entendu, une alternative politique aux populations vivant dans les territoires contrôlés par l'EI - qui leur proposerait par exemple une meilleure participation dans les institutions contrôlées par les chiites - ne serait pas nécessairement une panacée.

Mais elle contribuerait certainement à réduire le ralliement à l'État islamique et à stabiliser la région.

Selon plusieurs spécialistes, la lutte contre l'EI doit aussi se transposer au niveau des idées, car l'État islamique propose avant tout un projet politique.

Pendant la Guerre froide, les États-Unis n'ont pas seulement contenu l'Ex-URSS avec leur armée, ils ont aussi combattu le communisme sur le terrain des idées, notamment avec Radio Free Europe, fondée en 1949.

Plusieurs analystes estiment que la coalition doit faire la même chose pour combattre les idées de l'EI au Moyen-Orient et en Occident.

Pourquoi? Afin que les populations du califat contestent davantage la légitimité des dirigeants de l'EI ou que de gens soient incités à quitter le califat. Cette stratégie pourrait aussi empêcher des jeunes occidentaux de quitter leur pays pour aller joindre les rangs de l'État islamique.

Pendant la Guerre froide, les populations d'Europe de l'Est passaient à l'Ouest. Par contre, les citoyens d'Europe occidentale qui passaient à l'Est étaient plutôt rares. Car ils savaient ce qu'il y avait vraiment derrière le rideau de fer.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

À propos de ce blogue

Dans son analyse Zoom sur le monde, François Normand traite des enjeux géopolitiques qui sont trop souvent sous-estimés par les investisseurs et les exportateurs. Journaliste au journal Les Affaires depuis 2000 (il était au Devoir auparavant), François est spécialisé en commerce international, en entrepreneuriat, en énergie & ressources naturelles, de même qu'en analyse géopolitique. François est historien de formation, en plus de détenir un certificat en journalisme de l’Université Laval. Il a réussi le Cours sur le commerce des valeurs mobilières au Canada (CCVM) de l’Institut canadien des valeurs mobilières et il a fait des études de 2e cycle en gestion des risques financiers à l’Université de Sherbrooke durant 15 mois. Il détient aussi un MBA de l'Université de Sherbrooke. François a réalisé plusieurs stages de formation à l’étranger: à l’École supérieure de journalisme de Lille, en France (1996); auprès des institutions de l'Union européenne, à Bruxelles (2002); auprès des institutions de Hong Kong (2008); participation à l'International Visitor Leadership Program du State Department, aux États-Unis (2009). En 2007, il a remporté le 2e prix d'excellence Caisse de dépôt et placement du Québec - Merrill Lynch en journalisme économique et financier pour sa série « Exporter aux États-Unis ». En 2020, il a été finaliste au prix Judith-Jasmin (catégorie opinion) pour son analyse « Voulons-nous vraiment vivre dans ce monde? ».

François Normand