Et si l'Europe redevenait une superpuissance grâce à Trump?

Publié le 03/06/2017 à 09:41

Et si l'Europe redevenait une superpuissance grâce à Trump?

Publié le 03/06/2017 à 09:41

Un avion Mirage français. (Photo: 123rf.com)

ANALYSE GÉOPOLITIQUE – Depuis la fin de la Deuxième Guerre mondiale, les Américains et les Européens ont souvent eu des différends. Mais rien de comparable au fossé qui se creuse entre les États-Unis et l’Europe depuis l’élection de Donald Trump. Or, cette tension pourrait avoir un effet bénéfique inattendu: la renaissance de l’Europe comme superpuissance politique.

On l’oublie trop souvent, mais la domination mondiale des Américains est récente dans l’histoire. Elle date de 1945, alors que les États-Unis sont devenus une superpuissance mondiale aux côtés l’ex-Union des républiques socialistes soviétiques (URSS).

Les Américains étaient les leaders du monde libre et capitaliste, principalement en Europe occidentale. Les Russes dominaient quant à eux le camp socialiste en Europe orientale et en Asie (jusqu’à la rupture avec la Chine communiste, dans les années 1960).

Depuis la chute du communisme et la désintégration de l’ex-URSS en 1989 et 1990, les États-Unis dominent l’ordre international qu’ils ont largement contribué à créer après la Deuxième Guerre mondiale.

Cet ordre libéral comprend des institutions comme l’Organisation des Nations Unies à New York, ainsi que le Fonds monétaire international et la Banque mondiale, situés à Washington.

Même la mondialisation des marchés est largement une création des Américains sous l’impulsion du GATT (l’Accord général sur les tarifs et le commerce), entré en vigueur en 1948, qui a été remplacé en 1995 par l’Organisation mondiale du commerce.

Quand l’Europe dominait le monde

C’était un tout autre portrait en 1914, à la veille de la Première Guerre mondiale (1914-1918). L’Europe était alors le centre du monde, même si les États-Unis étaient déjà la plus importante économie de la planète, mais une puissance politique moyenne.

Au début du 20e siècle, les grandes puissances européennes -le Royaume-Uni, la France, l’Allemagne- avaient des empires mondiaux, sans parler de la présence de l’empire austro-hongrois au cœur de l’Europe, lui-même adossé à l’immense empire russe.

Tout ce système s’est en grande partie écroulé lors de la Première Guerre mondiale, qui a consacré la défaite des empires européens (allemand, austro-hongrois et russe) et l’affaiblissement de l’Europe en tant que superpuissance politique.

Une vingtaine d’années plus tard, la Deuxième Guerre mondiale devait sceller le déclin de l’Europe. En 1945, le vieux continent était en ruine. L’Europe de l’Est était occupée par l’armée russe. Et les pays d’Europe de l’Ouest craignaient la contagion communiste.

Aussi, durant la Guerre froide (1945-1990), ces États ont vécu sous la protection des troupes américaines stationnées en Europe et de l’OTAN (l’Organisation du traité de l’Atlantique Nord dominée) par les États-Unis.

Et les Européens bénéficient toujours de la protection des Américains.

L’Europe doit prendre son destin en main

Or, depuis l’élection de Donald Trump, la donne commence à changer. La défense du continent européen est devenue moins importante.

Les États-Unis sont tentés par l’isolationnisme, et ce, du climat à l’économie en passant par leur rôle de «gendarme» du monde, devenu plus instable et imprévisible.

Cette situation inquiète les Européens. Mais dans le même temps, elle les force aussi à réfléchir à leur avenir.

La chancelière allemande Angela Merkel, une atlantiste convaincue, a peut-être souligné mieux que quiconque l’état d’esprit des Européens actuellement.

Lors du dernier sommet du G7 en Italie, elle a déclaré que l’Europe ne pouvait plus complètement compter sur les États-Unis de Donald Trump et le Royaume-Uni post-Brexit, rapporte l’Agence France-Presse (AFP).

«L’époque où nous pouvions entièrement compter les uns sur les autres est quasiment révolue. C’est mon expérience de ces derniers jours. Nous, Européens, devons prendre notre destin en main», a-t-elle dit.

Et l’Europe a les moyens de se prendre en main, car elle ne manque pas de ressources.

La main-d’œuvre est qualifiée, les universités sont excellentes, les capitaux sont nombreux. De plus, l’Union européenne est l’une des plus grandes économies de la planète, abritant des secteurs de pointe comme l’aérospatiale et les technologies propres.

Mais surtout, grâce à ses armées nationales, notamment en France, en Allemagne, en Italie ou en Pologne, l’Europe a le potentiel de projeter sa force en Europe et ailleurs dans le monde.

Or, la capacité à projeter la force est le fondement de la puissance politique en matière de relations internationales.

Vers une armée européenne

Certes, les armées européennes sont fragmentées et manquent d’une cohésion de corps, contrairement aux armées américaine, russe ou chinoise.

Par contre, des efforts d’intégration ont débuté, notamment autour de l’armée allemande.

Le 22 mai, le magazine américain Foreign Policy révélait que l’Allemagne a commencé à intégrer des brigades de la République tchèque et la Roumanie dans la Bundeswehr.

Certains dirigeants de l’Union européenne militent aussi en faveur d’une intégration des armées européennes.

Dans un entretien au journal allemand Welt am Soontag, le président de l’Union européenne, Jean-Claude Juncker, a déclaré que l’Union devait avoir sa propre armée afin d’assurer sa sécurité face à la renaissance militaire de la Russie.

«Nous n’allons pas créer une armée européenne immédiatement, a-t-il dit. Mais une armée commune en Europe convaincrait la Russie que nous sommes sérieux dans la défense des valeurs de l’Union européenne.»

Les Britanniques -qui veulent se rapprocher des États-Unis depuis le Brexit- ont rapidement rejeté cette proposition.

Les Européens parviendront-ils à unifier leur force militaire? Ils ont déjà essayé dans le passé, mais sans succès.

Mais aujourd’hui, avec Donald Trump au pouvoir, les astres sont alignés plus que jamais pour plus grande cohésion militaire en Europe. Le cas échéant, les Européens pourraient davantage traduire en force politique leurs poids économiques sur la planète.

Une vraie renaissance de la puissance européenne ne pourrait qu’être positive, dans un monde de plus en plus multipolaire, où plusieurs grandes puissances dirigeront le monde.

Ce monde a besoin de la voix d’une Europe plus forte.

Et d’un nouveau contrepoids démocratique.

 

À propos de ce blogue

Dans son analyse Zoom sur le monde, François Normand traite des enjeux géopolitiques qui sont trop souvent sous-estimés par les investisseurs et les exportateurs. Journaliste au journal Les Affaires depuis 2000 (il était au Devoir auparavant), François est spécialisé en commerce international, en entrepreneuriat, en énergie & ressources naturelles, de même qu'en analyse géopolitique. François est historien de formation, en plus de détenir un certificat en journalisme de l’Université Laval. Il a réussi le Cours sur le commerce des valeurs mobilières au Canada (CCVM) de l’Institut canadien des valeurs mobilières et il a fait des études de 2e cycle en gestion des risques financiers à l’Université de Sherbrooke durant 15 mois. Il détient aussi un MBA de l'Université de Sherbrooke. François a réalisé plusieurs stages de formation à l’étranger: à l’École supérieure de journalisme de Lille, en France (1996); auprès des institutions de l'Union européenne, à Bruxelles (2002); auprès des institutions de Hong Kong (2008); participation à l'International Visitor Leadership Program du State Department, aux États-Unis (2009). En 2007, il a remporté le 2e prix d'excellence Caisse de dépôt et placement du Québec - Merrill Lynch en journalisme économique et financier pour sa série « Exporter aux États-Unis ». En 2020, il a été finaliste au prix Judith-Jasmin (catégorie opinion) pour son analyse « Voulons-nous vraiment vivre dans ce monde? ».

François Normand