Et si la mondialisation tirait à sa fin?

Publié le 02/04/2016 à 07:46

Et si la mondialisation tirait à sa fin?

Publié le 02/04/2016 à 07:46

ANALYSE DU RISQUE - Nous tenons la mondialisation de l'économie pour acquise. Or, ce phénomène n'est pas un ordre naturel: c'est une construction humaine, qui s'appuie sur des lois, des traités et une idéologie, le libéralisme économique. Et aujourd'hui, cette mondialisation des marchés pourrait s'arrêter.

Oui, oui, vous avez bien lu: le processus de mondialisation pourrait tirer à sa fin. Et ce n'est pas des think tanks de gauche ou Le Monde diplomatique (la Bible de la gauche altermondialiste) qui l'affirment, mais plutôt le géant financier Credit Suisse dans une étude intitulée The End of Globalization or a more Multipolar World?

La mondialisation permet de produire et d'échanger des biens et des services en s'affranchissant des contraintes imposées par les frontières et les distances. Ce processus a par exemple donné naissance au marché mondial du café, des composants électroniques ou de la construction aéronautique.

L'enjeu est donc de taille pour nos économies.

Publiée en septembre 2015, cette étude est pourtant passée inaperçue au Canada. Or, elle est incontournable pour les investisseurs qui ont des placements à l'étranger.

Voici pourquoi.

Trois scénarios pour la mondialisation

En fait, Credit Suisse évoque trois scénarios possibles pour l'évolution du processus de mondialisation dans les prochaines années:

- #1 La mondialisation se poursuit: ce processus progresse tout simplement sous la forme que nous avons connue depuis trois décennies. Bref, c'est business as usual.

- #2 Un monde multipolaire émerge: l'économie mondiale évolue pour reposer sur trois grandes régions, l'Amérique, l'Europe et l'Asie. Le commerce progresse toujours, mais plus lentement, et il devient surtout plus régionalisé.

- #3 La fin de la mondialisation: les pays collaborent moins entre eux, tandis que les barrières commerciales et le protectionnisme augmentent.

Credit Suisse estime que c'est le deuxième scénario qui la plus grande probabilité de se réaliser. Quant au troisième, qu'il qualifie de «plus pessimiste», il l'estime néanmoins plausible.

Mais avant de vous expliquer pourquoi, un retour en arrière s'impose afin de comprendre ce qui pourrait se passer dans les prochaines années.

Peu de gens le savent, mais le processus mondialisation a près de 150 ans. Actuellement, nous sommes dans la deuxième phase qui a débuté en 1990 avec la chute du communisme en Europe.

Auparavant, les pays échangeaient aussi entre eux, notamment en raison de la montée des pays émergents et de l'apparition des labels Made in Japan, Made in Korea ou Made in China sur nos produits.

Pour sa part, la première phase de mondialisation a débuté en 1870, en s'appuyant sur la révolution industrielle et la montée en puissance de l'économie américaine. Cette phase a aussi été stimulée par l'ouverture du canal de Suez (en 1869) et par la multiplication des banques d'investissement internationales dans les décennies suivantes.

Mais cette première phase a pris fin abruptement avec la Première Guerre mondiale (1914-1918), sans parler des bouleversements qui ont suivi comme la Dépression, la montée du protectionnisme et la Deuxième Guerre mondiale (1939-1945).

Une statistique illustre avec éloquence à quel point la mondialisation a reculé à partir de la Première Guerre mondiale.

En 1913, les marchandises exportées représentaient 17% du PIB des économies d'Europe occidentale. Cette proportion a chuté à 6% en 1938. Et il a fallu attendre 1990 pour retrouver le niveau de 17% atteint juste avant la Première Guerre mondiale.

On le voit bien, l'intégration des économies de la planète n'est pas un long fleuve tranquille.

Pourquoi Credit Suisse s'inquiète

Qu'est-ce qui pourrait faire à nouveau dérailler la mondialisation?

Credit Suisse identifie plusieurs facteurs ou risques: l'endettement des gouvernements, l'immigration (comprendre des vagues migratoires), l'inégalité des richesses, de même que l'imposition de barrières non tarifaires et de sanctions commerciales.

Fait intéressant, les États-Unis - les champions de la mondialisation depuis la chute du communisme - sont actuellement le pays qui impose le plus grand nombre de mesures protectionnistes (près de 450).

Il va sans dire que la réalisation du troisième scénario (la fin de la mondialisation) aurait un impact majeur sur notre économie, nos entreprises et les investisseurs.

Selon Credit Suisse, voici ce qui pourrait arriver dans différentes sphères:

Commerce: augmentation des barrières commerciales et du protectionnisme.

Marchés: fragmentation et augmentation du coût du capital.

Devises: dévaluation et guerres de devises entre les principales économies.

Croissance économique: dominance de l'intérêt national et croissance faible.

Entreprises: domination des multinationales et montée de l'anti-capitalisme.

Gouvernance mondiale: conflits ouverts et tensions militaires entre grandes puissances.

Formes de gouvernement: recul des régimes démocratiques dans le monde.

Flux migratoires: ralentissement des migrations et exclusion sociale des immigrants.

Société: augmentation de la pauvreté et montée des mouvements anti-mondialisation.

Il va sans dire que la fin de la mondialisation serait néfaste; Credit Suisse parle d'ailleurs d'un «scénario sombre».

La mondialisation peut-elle encore reculer, comme durant la première moitié du 20e siècle?

Bien malin qui peut le dire avec certitude.

Une mondialisation plus humaine

Comme la mondialisation est une construction humaine, les gouvernements, les entreprises et la société civile peuvent prendre les bonnes décisions pour que la mondialisation poursuive sa marche, mais de manière plus consensuelle et inclusive.

Par exemple, en Europe, la construction de l'Union européenne et la création de l'euro auraient sans doute pu se faire en tenant davantage compte des intérêts et des craintes légitimes des populations locales, affirment plusieurs analystes.

La montée des populismes sur le vieux continent montre que les élites n'ont pas réussi à convaincre une bonne part des Européens du bien-fondé de la construction européenne, qui a pourtant relancé l'économie d’Europe occidentale après la Deuxième Guerre mondiale.

Peut-être faut-il du reste le faire à l'échelle mondiale? En tenant compte des intérêts et des craintes des citoyens, qu'ils habitent en Afrique, en Amérique du Nord ou en Asie.

Et si nous échouons collectivement, notre avenir pourrait alors effectivement être sombre.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

À propos de ce blogue

Dans son analyse Zoom sur le monde, François Normand traite des enjeux géopolitiques qui sont trop souvent sous-estimés par les investisseurs et les exportateurs. Journaliste au journal Les Affaires depuis 2000 (il était au Devoir auparavant), François est spécialisé en commerce international, en entrepreneuriat, en énergie & ressources naturelles, de même qu'en analyse géopolitique. François est historien de formation, en plus de détenir un certificat en journalisme de l’Université Laval. Il a réussi le Cours sur le commerce des valeurs mobilières au Canada (CCVM) de l’Institut canadien des valeurs mobilières et il a fait des études de 2e cycle en gestion des risques financiers à l’Université de Sherbrooke durant 15 mois. Il détient aussi un MBA de l'Université de Sherbrooke. François a réalisé plusieurs stages de formation à l’étranger: à l’École supérieure de journalisme de Lille, en France (1996); auprès des institutions de l'Union européenne, à Bruxelles (2002); auprès des institutions de Hong Kong (2008); participation à l'International Visitor Leadership Program du State Department, aux États-Unis (2009). En 2007, il a remporté le 2e prix d'excellence Caisse de dépôt et placement du Québec - Merrill Lynch en journalisme économique et financier pour sa série « Exporter aux États-Unis ». En 2020, il a été finaliste au prix Judith-Jasmin (catégorie opinion) pour son analyse « Voulons-nous vraiment vivre dans ce monde? ».

François Normand