Peut-on encore stopper la révolte populiste?

Publié le 02/12/2016 à 15:42

Peut-on encore stopper la révolte populiste?

Publié le 02/12/2016 à 15:42

Photo: 123RF

ANALYSE GÉOPOLITIQUE - Ce dimanche 4 décembre est une date importante: les Italiens se prononcent par référendum sur la réforme de leurs institutions et les Autrichiens élisent leur président. Assisterons-nous à un autre vote anti-système comme aux États-Unis? Chose certaine, sans un changement majeur de la stratégie des partis traditionnels, les formations populistes risquent de poursuivre leur ascension en Occident, démontrent plusieurs études.

La victoire de Donald Trump -cinq mois après le Brexit- a donné une dose d'énergie aux partis populistes de droite en Europe. Elle vient en quelque sorte légitimer le discours anti-mondialisation et anti-immigration de formations comme le FPÖ (parti de la liberté), en Autriche, dont le candidat Norbert Hofer pourrait remporter l'élection présidentielle.

Le 23 mai, il est passé tout près de devenir le premier chef d'État issu de l'extrême droite en Europe occidentale depuis 1945. C'est toutefois un candidat écologiste, Alexander Van der Bellen, qui a remporté le second tour de l'élection présidentielle, avec 50,3% des voix.

Par contre, le 1er juillet, la Cour constitutionnelle autrichienne a annulé le second tour de l'élection du 23 mai en raison de l'accumulation de négligences dans le dépouillement des votes (mais elle n'a pas décelé de fraude ou de manipulation).

Les Autrichiens reprennent donc ce vote dimanche. Et les chances de Norbert Hofer de l'emporter sont grandes, selon plusieurs sondages. En Italie, le référendum sur la réforme des institutions pourrait bien se transformer en un vote symbolique contre les élites du pays.

La montée en puissance du populisme -certains analystes parlent même d'une «rébellion» populiste- survient dans un contexte où les partis anti-système occupent une place importante sur l'échiquier politique en Occident.

Donald Trump est devenu le 45e président des États-Unis, tandis que des formations sont au pouvoir ou participent à des gouvernements de coalition en Europe.

Cette carte produite par Eurasia Group, une firme de New York spécialisée dans l'analyse en risque politique, montre bien la force des partis populistes de droite et de gauche en Europe.

 

Cela dit, le populisme n'est pas un phénomène nouveau. Les formations anti-système de gauche et de droite existent depuis des décennies.

Et leur progression varie d'un pays à l'autre.

Par exemple, dans la plupart des pays européens, on note une forte progression du populisme depuis les années 1990 et 2000. Par contre, il recule en Italie.

Ce tableau tiré d'une étude de la Harvard Kennedy School (Trump, Brexit, and The Rise of Populism: Economic Have-Nots and Cultural Backlash) permet de voir la progression des appuis aux partis populistes dans 24 pays depuis les années 1960.

Qui sont les électeurs populistes?

Règle générale, les électeurs qui votent pour des partis anti-système se regroupent dans deux grandes catégories, selon une étude du think thank britannique Chatham House (Right Response: Understanding and Countering Populist Extremism in Europe), publiée en 2011.

La première comprend des gens de la classe moyenne inférieure, qui sont soient qualifiés ou sous-qualifiés. Ce sont des citoyens qui vivent une grande insécurité économique, car ils ont perdu par exemple leur travail ou leur maison où qui ont peur de les perdre.

Par ailleurs, le populisme séduit aussi des électeurs qui sont inquiets à propos de l'immigration et la diversité culturelle. Ils ont l'impression que les immigrants, les minorités et le multiculturalisme menacent leur culture nationale.

Cela dit, depuis les années 1980, les partis populistes mettent de plus en plus l'emphase sur des enjeux non économiques pour convaincre l'électorat, comme le montre ce graphique tiré de l'étude de la Harvard Kennedy School.

Les courbes montrent l'importance des enjeux économiques et non économiques dans les programmes de partis populistes de 13 pays occidentaux, incluant les États-Unis, la France et la Suède.

Les élites ont favorisé la montée du populisme

Fondamentalement, le populisme progresse en Occident parce que les partis traditionnels -les sociaux-démocrates, les libéraux et les conservateurs- répondent de moins en moins aux attentes et aux craintes de ces électeurs.

Le magazine français Alternatives Économiques souligne que les élites ont rejeté le peuple (mépris des classes populaires, réduction des impôts pour les riches, démantèlement des programmes sociaux, etc.), et qu'elle paie aujourd'hui le prix de ce rejet.

«Nos sociétés finissent par subir les coûts de cet abandon. "Les pauvres", en fait tous ceux qui subissent ou se sentent menacés par le déclassement, en arrivent à se rebeller. La révolte passe aujourd'hui par le rejet de tout ce qui est étranger -l'immigré, l'Europe, la mondialisation- et ceux tenus pour responsables de leur situation, dans le désordre, le riche, Bruxelles, le patron, la Chine, l'énarque, l'homme politique, etc.»

La montée du populisme serait en train de changer même la nature du spectre gauche économique-droite économique qui caractérise le débat politique en Occident depuis des décennies.

Ainsi, à cette dualité il faudrait ajouter celle entre le populisme et le libéralisme cosmopolite.

Comment endiguer la rébellion populiste?

À vrai dire, il n'y a pas de recettes miracles, disent la plupart des analystes à ce sujet.

Pour sa part, l'étude de Chatham House a identifié six stratégies qui sont soient déployées ou qui devraient l'être par les partis traditionnels.

Notez bien que les quatre premières sont inefficaces, tandis que les deux dernières (5 et 6) donnent des résultats, selon Chatham House.

1. L'exclusion: cette stratégie consiste à empêcher les candidats des partis populistes d'être élus et d'influencer le débat public. Or, il y a peu d'indications voulant que cette approche fonctionne. Elle a plutôt tendance à radicaliser davantage ces formations politiques.

2. La diffusion: cette stratégie cherche à favoriser la diffusion des idées des partis anti-système, et ce, afin de mieux les combattre dans l'espace public. Or, cette approche est à double tranchant, car les débats sur des enjeux comme l'immigration tendent souvent à favoriser les partis populistes. Pourquoi? Parce que les formations traditionnelles n'arrivent généralement pas à atténuer les craintes de la population sur les questions identitaires.

3. L'adoption: cette stratégie signifie que les partis traditionnels adoptent des mesures des partis populistes en devant par exemple plus restrictif sur l'immigration, l'intégration ainsi que sur la loi et l'ordre. Or, cette approche peut miner leur crédibilité auprès de leur électorat et donner une crédibilité au discours populiste.

4. Le principe: cette stratégie consiste à répliquer systématiquement aux arguments anti-immigration des partis populistes en faisant valoir que l'immigration a des effets bénéfiques sur l'économie. Or, non seulement cette approche ne réduit pas l'anxiété des électeurs populistes, mais elle tend à renforcer leurs sympathies à l'égard des idées des formations anti-système.

5. L'engagement: cette stratégie qui consiste à faire du terrain, à rencontrer les électeurs des partis populistes dans leur milieu et à discuter avec eux, en personne, lors d'assemblées de cuisine par exemple, donne des résultats. Aussi, pour gagner le coeur et les esprits des électeurs populistes, les partis traditionnels doivent faire partie intégrante de la communauté, avoir une présence locale forte et tisser des liens avec les forums et les groupes locaux.

6. L'interaction: la meilleure stratégie pour réduire la méfiance des électeurs populistes à l'égard des immigrants est de les mettre en contact avec eux. Depuis des décennies, les recherches en psychologie sociale démontrent que l'accroissement des contacts entre les membres de différents groupes peut réduire les préjugés, contrer la perception de menace culturelle et accroître le niveau de tolérance.

Le populisme sera dans le paysage politique des pays occidentaux pour des années, voire des décennies.

Les partis traditionnels sont en très grande partie responsable de la montée des partis anti-système. Par conséquent, faire des reproches aux électeurs populistes est inutile, disent les spécialistes.

La seule façon d'endiguer le populisme, c'est d'aller à la rencontre des électeurs qui votent pour les partis anti-système afin de leur expliquer qu'une autre vision du monde est possible.

Mais surtout, les politiques publiques doivent davantage favoriser le bien commun, avec des politiques qui favorisent l'éducation et qui offrent des programmes sociaux aux citoyens qui peinent à s'adapter à la mondialisation et aux changements technologiques.

 

 

À propos de ce blogue

Dans son analyse Zoom sur le monde, François Normand traite des enjeux géopolitiques qui sont trop souvent sous-estimés par les investisseurs et les exportateurs. Journaliste au journal Les Affaires depuis 2000 (il était au Devoir auparavant), François est spécialisé en commerce international, en entrepreneuriat, en énergie & ressources naturelles, de même qu'en analyse géopolitique. François est historien de formation, en plus de détenir un certificat en journalisme de l’Université Laval. Il a réussi le Cours sur le commerce des valeurs mobilières au Canada (CCVM) de l’Institut canadien des valeurs mobilières et il a fait des études de 2e cycle en gestion des risques financiers à l’Université de Sherbrooke durant 15 mois. Il détient aussi un MBA de l'Université de Sherbrooke. François a réalisé plusieurs stages de formation à l’étranger: à l’École supérieure de journalisme de Lille, en France (1996); auprès des institutions de l'Union européenne, à Bruxelles (2002); auprès des institutions de Hong Kong (2008); participation à l'International Visitor Leadership Program du State Department, aux États-Unis (2009). En 2007, il a remporté le 2e prix d'excellence Caisse de dépôt et placement du Québec - Merrill Lynch en journalisme économique et financier pour sa série « Exporter aux États-Unis ». En 2020, il a été finaliste au prix Judith-Jasmin (catégorie opinion) pour son analyse « Voulons-nous vraiment vivre dans ce monde? ».

François Normand