Climat : attention aux certitudes et aux peurs irrationnelles

Publié le 24/08/2019 à 08:19

Climat : attention aux certitudes et aux peurs irrationnelles

Publié le 24/08/2019 à 08:19

Source photo: Getty Images

ANALYSE GÉOPOLITIQUE – «Trop, c’est comme pas assez», dit l’adage populaire. Un proverbe qui s’applique très bien à la lutte au changement climatique, car deux courants de pensée sont en train de miner les efforts collectifs et individuels pour combattre le réchauffement de la Terre, soit le climatoscepticisme et la «collapsologie».

Le premier met en doute l’existence même du réchauffement climatique et de la menace qu’il représente, sans parler de l’impact de l’activité humaine sur celui-ci. Le second affirme que notre monde est en train de s’effondrer en raison de la crise écologique et que la fin de la civilisation approche, voire l’extinction de l’humanité.

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Or, même s’ils ont parfaitement le droit de s’exprimer sur la place publique et les réseaux sociaux, ces deux courants de pensée représentent un risque pour nos sociétés et, ultimement, pour les entreprises et les investisseurs.

Pourquoi? Parce qu’à l’instar des fake news, ils créent de la distorsion, en plus de semer le doute et la peur.

Non seulement ils nous empêchent de bien jauger collectivement les dangers réels que font peser les changements climatiques, mais ils nous privent aussi en quelque sorte d’une réflexion rationnelle sur les mesures à prendre pour le combattre.

À bien des égards, le climatoscepticisme et la «collapsologie» mènent à l’inaction et au décrochage d’une bonne partie de nos citoyens.

En effet, pourquoi transformer nos modes de production, révolutionner notre consommation d’énergie, réduire nos déchets et passer du capitalisme à l’écologie industrielle si la Terre ne se réchauffe pas ou si nous n’avons pas d’avenir?

Les arguments du climatoscepticisme et la «collapsologie»

Les climatosceptiques se divisent en deux sous-groupes.

Le premier nie l’existence même du réchauffement climatique, malgré toutes les évidences scientifiques. Dans ce contexte, tout débat devient futile et aussi contre-productif que d’argumenter avec ceux qui prétendent que la Terre est plate.

Le second sous-groupe admet qu’il y a un réchauffement, mais affirme que l’humanité n’est pas responsable du phénomène. Bref, selon ses partisans, le climat de la Terre a toujours changé dans le temps et nous sommes simplement dans un nouveau cycle.

Bref, on ne peut et on ne doit rien faire, selon les climatosceptiques.

Il est vrai que le climat de la planète s’est effectivement réchauffé et refroidi tout au long de son l’histoire de 4,5 milliards d’années.

Or, l’actuel réchauffement n’est pas d’origine naturelle.

C’est l’activité humaine qui en est responsable en raison des émissions de gaz à effet de serre (GES) qui se sont accélérés dans l’atmosphère depuis le début de l’ère industrielle, au milieu du 19e siècle.

Ce n’est pas une opinion : c’est ce que nous dit la science.

Millénarisme laïque et survivalisme mainstream

Pour leur part, les adeptes de la «collapsologie» exagèrent l’impact attendu des changements climatiques, même si l’actuelle crise écologique représente le défi le plus important auquel a fait face l’humanité dans son histoire.

Et ce courant est de plus en plus influent.

Comme le souligne Le Monde diplomatique, les «prophètes de l’effondrement sont à l’assaut des librairies» avec une foule d’essais nous annonçant la fin du monde, avec des accents de «millénarisme laïque» ou de survivalisme mainstream.

Personne ou presque ne nie que la société de surconsommation qui s’est développée après la Deuxième Guerre mondiale a plongé la civilisation et la planète dans une crise écologique sans précédent.

 

  • Le climat de la Terre se réchauffe rapidement.
  • Nous consommons les ressources naturelles à un rythme supérieur à celui de leur cycle de renouvellement naturel.
  • L’activité humaine détruit la biodiversité et les écosystèmes qui nous rendent des services écologiques essentiels comme la production d’eau et d’oxygène.
  • Les océans s’acidifient et affectent négativement la vie marine.
  • Les rendements agricoles sont en déclin.

 

Et si nous n’arrivons pas à limiter le réchauffement à moins de 2 degrés Celcius par rapport au début de l’ère industrielle (la Terre s’est déjà réchauffée de 1 degré), les conséquences seront graves, rappelle The Economist.

La hausse du niveau des océans en est un bon exemple.

Depuis la fin du 19e siècle, leur niveau a augmenté de 20 centimètres. Et d’ici 2100, il pourrait s’accroître encore de 50 centimètres, forçant des millions de personnes dans le monde à s’éloigner des côtes, incluant au Canada.

D’autres conséquences graves sont à prévoir, selon le ministère américain de Défense.

On parle ici de pénuries de nourriture et d'eau, de déclenchements d'épidémies, de destructions d'habitats, mais aussi de migrations massives, de luttes pour les ressources et d'instabilité géopolitique (conflits entre États, guerres civiles).

L’humanité ne disparaîtra pas, mais ses conditions de vie (et celles des autres espèces) se détérioreront, affirment la plupart des spécialistes sérieux.

L’humanité a déjà surmonté des crises écologiques

C’est pourquoi il faut revenir à la raison dans la lutte au changement climatique afin d’avoir un débat sain et déployer des actions constructives et mobilisatrices.

«La panique de la collapsologie est tout aussi paralysante que les certitudes des climatosceptiques», affirment six chercheurs dans une tribune publiée dans Le Monde.

Selon eux, des effondrements partiels sont sans doute possibles, des effondrements «dont l’accumulation finirait pas rendre impossible une vie humaine décente». Or, rien n’est inéluctable», s’empressent-ils d’insister.

Les chercheurs soulignent les nombreux exemples où des humains, conscients de situations dramatiques, agissent pour trouver des solutions et limiter les conséquences prévisibles de leurs erreurs.

Au 17e siècle, le Japon a échappé de justesse à la déforestation grâce à des politiques qui ont interdit ou limité la coupe d’arbres et l’utilisation du bois dans la construction. Aujourd’hui, près de 70% du territoire du pays est constitué de zones boisées.

En 1987, les pays industrialisés incluant les États-Unis et le Canada ont signé le Protocole de Montréal pour éliminer les substances qui réduisent la couche d’ozone, qui rend possible la vie sur Terre.

Or, si la tendance se maintient et que nous restons vigilants, ce problème de la couche d'ozone devrait être résolu vers 2060, soulignent les six chercheurs.

Bref, tout est possible s’il y a une réelle volonté politique et citoyenne.

Bien d’autres exemples de grandes mobilisations ont changé le cours de l’histoire alors que le monde était au bord du gouffre, comme la lutte au fascisme durant la Deuxième Guerre mondiale et la reconstruction de l’Europe en ruine grâce au plan Marshall.

La lutte au changement climatique nécessite aussi la mobilisation de toutes les forces vives de nos sociétés.

Les gouvernements doivent adopter des lois pour décarboniser rapidement l’économie, tout en donnant un signal de prix clair et une prévisibilité à très long terme pour accélérer les investissements dans les énergies vertes.

Les banques centrales, comme la Banque du Canada, ont aussi un rôle à jouer. Car si elles ont pu sauver le système financier lors de la crise financière il y a une décennie, elles peuvent aussi contribuer à sauver la planète, affirme Foreign Policy.

«Si les banques centrales exigeaient moins d'allocations en capital pour les investissements verts, les banques privées seraient plus enclines à prêter à cette fin», écrit le magazine américain.

Pour leur part, les citoyens doivent adopter un mode de vie plus responsable et réduire leur empreinte écologique (surtout en Occident), tout en accentuant la pression sur leurs gouvernements afin d’accélérer la transition écologique.

La barre est haute, très haute même.

Toutefois, les sociétés peuvent y arriver si elles se mobilisent, et qu’elles portent moins attention aux certitudes et aux peurs irrationnelles du climatoscepticisme et de la «collapsologie».

Nous n’avons pas bêtement le choix entre le paradis et l’enfer.

La planète vit une grave crise écologique que nous avons créée de toutes pièces.

À nous donc de réparer les pots cassés et d’arrêter de tuer la beauté du monde.

 

 

À propos de ce blogue

Dans son analyse Zoom sur le monde, François Normand traite des enjeux géopolitiques qui sont trop souvent sous-estimés par les investisseurs et les exportateurs. Journaliste au journal Les Affaires depuis 2000 (il était au Devoir auparavant), François est spécialisé en commerce international, en entrepreneuriat, en énergie & ressources naturelles, de même qu'en analyse géopolitique. François est historien de formation, en plus de détenir un certificat en journalisme de l’Université Laval. Il a réussi le Cours sur le commerce des valeurs mobilières au Canada (CCVM) de l’Institut canadien des valeurs mobilières et il a fait des études de 2e cycle en gestion des risques financiers à l’Université de Sherbrooke durant 15 mois. Il détient aussi un MBA de l'Université de Sherbrooke. François a réalisé plusieurs stages de formation à l’étranger: à l’École supérieure de journalisme de Lille, en France (1996); auprès des institutions de l'Union européenne, à Bruxelles (2002); auprès des institutions de Hong Kong (2008); participation à l'International Visitor Leadership Program du State Department, aux États-Unis (2009). En 2007, il a remporté le 2e prix d'excellence Caisse de dépôt et placement du Québec - Merrill Lynch en journalisme économique et financier pour sa série « Exporter aux États-Unis ». En 2020, il a été finaliste au prix Judith-Jasmin (catégorie opinion) pour son analyse « Voulons-nous vraiment vivre dans ce monde? ».

François Normand