Un filet social pour l'économie de plateforme:mission impossible?

Publié le 15/05/2018 à 17:12

Un filet social pour l'économie de plateforme:mission impossible?

Publié le 15/05/2018 à 17:12

Par Diane Bérard

Credit: 123rf, Meinzahn

«Depuis cinq ans, les économies dites avancées discutent de la meilleure façon de s’adapter au nouveau monde du travail. Celui du travail non structuré. On ne fait rien, on attend les données. Vouloir connaître le nombre de travailleurs de l’économie de plateforme équivaut à tenter de capturer le vent dans un filet!» Joachim Breuer, président, Association internationale de la sécurité sociale (ISSA).

Hier et aujourd’hui (14 et 15 mai), Montréal accueillait le Forum sur les politiques sociales de l’OCDE sur le thème: pour une prospérité partagée, s’ouvrir à l’avenir.

La protection sociale des travailleurs non standards, ceux qui s’affichent sur des plateformes technologiques, préoccupe tous les États. On en arrive généralement à la conclusion que pour ces travailleurs il faut déconnecter la protection sociale du travail. Joachim Breuer estime qu’on fait fausse route. Même si le travail standard, celui assorti d’un lien d’emploi défini, perd du terrain il faut continuer à coller la protection sociale au travail. Car, le travail, lui, ne recule pas. «Les salariés, les travailleurs autonomes et les travailleurs contractuels ont tous un point commun: le travail. Ils apportent tous une contribution à la société à travers leur travail. Et c’est à travers leur travail qu’il faut assurer leur protection sociale. Il faut leur garantir des milieux de travail sécuritaire, les accompagner dans la réhabilitation en cas d’accident ou de maladie et leur offrir un filet social de base.»

La vraie définition du travailleur de plateforme

On l’imagine derrière un écran accomplissant des transactions ou en chauffeur ou un livreur de repas. Eh bien non! Les travailleurs de plateformes d’aujourd’hui sont les travailleurs autonomes et les sous-traitants d’hier, désormais recrutés par le biais de plateformes technologiques. Et ils sont de plus en plus nombreux. En Allemagne, au cours des cinq dernières années, 250 000 entreprises de construction sont apparues sur le marché. Elles ont toutes un seul employé. Ce sont d’ex-salariés à qui le patron a dit, «Nous allons fermer l’entreprise, elle n’est pas assez rentable. Mais si vous voulez, on peut se regrouper virtuellement et postuler ensemble sur des contrats communs qu’on réaliserait à meilleur coût.»

Imaginons que vous bâtissez un édifice. Le promoteur qui décroche le contrat fragmente toutes les activités requises et les sous-traite à des dizaines de PME qui se tournent vers des plateformes pour trouver des travailleurs. Ainsi, la base de la pyramide est formée de centaines de travailleurs sans lien d’emploi formel. Et ce sont eux qui se retrouvent avec la facture de protection sociale. C’est injuste, insiste Joaquim Breuer.

«Tous ces travailleurs, les livreurs à vélo comme les travailleurs de la construction autonomes, doivent bénéficier d’une protection sociale. Il faut que chaque plateforme dévoile la liste de tous les travailleurs qu’elle emploie. Ceux-ci doivent contribuer à leur filet social, et la plateforme aussi », dit Joaquim Breuer.

La théorie des vases communicants

Dans les économies matures, les travailleurs de l’économie de plateformes sont généralement d’ex-salariés qui contribuaient au régime public de protection sociale à travers leur chèque de paie. En quittant leur emploi salarié, ou en le perdant, ils cessent ces contributions. Or, l’État a besoin de celles-ci pour assurer la viabilité du système public. C’est pourquoi la contribution des travailleurs des plateformes à leur protection sociale est une partie importante de la donne, pour eux et pour la société.

Les plateformes doivent-elles contribuer à la protection sociale de ceux et celles qui lui offrent leurs services?

L’Union européenne a publié une proposition où les plateformes importantes, celles qui ont des millions de souscripteurs et des millions de dollars de biens ou services transigés par mois, paieraient des taxes au gouvernement. Cet argent servirait à offrir un filet social à tous les travailleurs de toutes les plateformes.

Pourquoi les pays émergents sont-ils plus avancés que les pays riches dans le dossier de la protection des travailleurs non standard?

Parce que leur système de protection sociale des citoyens est très récent. Il y a peu d’historique et peu d’habitudes. Les gouvernements de ces États en profitent donc pour développer un filet social qui correspond au nouveau monde du travail, comprenant aussi les travailleurs non structurés.

Prenons le cas du secteur du transport des personnes et des biens. Certains États, comme l’Uruguay, n’accordent de permis qu’aux plateformes qui acceptent de contribuer au système de protection sociale de leurs chauffeurs.

En Malaisie, on a voté une loi spéciale décrétant que toute forme de travail de plateforme est assortie de protection sociale publique. Et chaque plateforme doit contribuer à cette protection sociale.

Je vous laisse sur ces mots de la ministre de la santé et des affaires sociales de la Suède, Annika Strandhall, lors du panel de clôture du jour 1 de la conférence de l’OCDE sur les politiques sociales:

«Même en Suède, on assiste à une croissance des inégalités. Les jeunes Suédois envisagent le futur avec anxiété. Ils ne croient pas que celui-ci sera meilleur que celui de leurs parents. Les citoyens, chez nous comme ailleurs, ont perdu confiance au pouvoir de la politique de changer leur vie pour le mieux. Comment va-t-on regagner leur confiance? »

Trouver des solutions créatives et équitables pour assurer une protection sociale aux nombreux travailleurs et travailleuses de l’économie de plateforme contribuerait certainement à rebâtir cette confiance.

 

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