Tabou: et si on parlait de la santé des entrepreneurs...

Publié le 17/07/2018 à 09:50

Tabou: et si on parlait de la santé des entrepreneurs...

Publié le 17/07/2018 à 09:50

Par Diane Bérard

Evan Patronik sélectionne les entreprises de l'accélérateur américain Unreasonable Group. Au Startupfest, il a rappelé aux entrepreneurs d'être plus doux avec eux.

«J’ai détruit mon corps pour rien. Pendant deux ans, je n’ai fait aucun exercice. Je n’ai pas mangé un vrai souper. Et je ne vous parle pas du sommeil. Cassons cette connerie de mythe de l’entrepreneur en démarrage: les longues heures, le style de vie extrême, la santé qu’il faut sacrifier… Si vous pouvez travailler 100 heures, pourquoi pas 120 ou 130? Jusqu’où allez-vous pousser? Hier, un entrepreneur m’a raconté qu’un matin, son corps s’est éteint, littéralement. Il n’avait pas pris une journée de congé en cinq ans, enfilant les journées de 16 heures les unes après les autres. Son corps a cessé de fonctionner, comme lorsqu’un ordinateur n’affiche plus aucun signal. Ce gars-là n’a pas trente ans. Ni lui ni moi ne sommes des exceptions. Il est temps qu’on parle de la santé des entrepreneurs.»

Evan Patronik est pompier volontaire à Boulder, au Colorado. Il dirige aussi l’équipe qui sélectionne les entreprises de l’accélérateur américain Unreasonable Group. C’est d’ailleurs en partie pour cela que le fondateur et PDG du Unreasonable Institute, Daniel Espstein, l’a recruté, « Génial! Tu peux éteindre des vrais feux, tu pourras éteindre ceux qu’on affronte ici chaque jour! »

Comme son nom l’indique, Unreasonable Group s’attaque à des défis hors norme. Il investit dans des organisations qui résolvent des BFPs (Big Fucking Problems). Unreasonable Group se décrit comme un scalerator. Pour être sélectionné il faut un modèle d’affaires mûr pour passer à grande échelle. Et produire un impact majeur sur la société à travers ses activités quotidiennes.

Le portefeuille de Unreasonable Group compte 115 entrepreneurs dont les activités engendrent des retombées positives sur la vie de 400 millions d’individus de 180 pays.

Vendredi dernier, j’ai me suis assise une demi-heure avec Evan Patronik. Il était conférencier au Startupfest.

Je l’ai choisi à cause du titre de sa conférence: «Votre projet d’entreprise est peut-être sans limite. Mais votre énergie, elle, ne l’est pas.»

Pourquoi un gars qui travaille pour le Unreasonable Group et qui incite les entrepreneurs à résoudre des Big Fucking Problems choisit-il de parler de l’importance prendre soin de soi?

Parce qu’on ne peut pas sauver le monde si on coule soi-même! Le manque de sommeil affecte votre productivité et la performance de votre entreprise. L’effet est cumulatif, vous ne le voyez pas. Vous continuez à pousser votre corps. Le travail s’accomplit. Mais les altercations avec vos associés et vos employés se font plus fréquentes. Et vos décisions deviennent de moins en moins logiques.

Dormir, s’alimenter correctement, bouger et méditer…, cela importe autant que d’avoir un modèle d’affaires béton.

Vous dites qu’il faut méditer pour cesser de se faite dicter quoi faire par ses pensées…

Il n’est pas question de contempler une roche pendant 20 minutes. Pour moi, méditer consiste à s’asseoir et regarder mes pensées traverser ma tête. Et apprendre à me distancer de celles-ci. On s’imagine que nous sommes nos pensées. Et que nous sommes nos émotions. Pas du tout, nos pensées et nos émotions sont des productions de notre esprit. Si vous écoutez vos pensées, vous ne souhaiterez plus qu’elles vous guident! Si un humain assis à côté de vous disait à haute voix les pensées qui vous traversent l’esprit, vous concluriez qu’il est fou et qu’il faut l’interner! Nous produisons tous des pensées terribles, c’est pourquoi il faut ralentir et les observer. Ralentir et écouter ses pensées permet d’éviter qu’elles s’emballent et qu’on s’emballe.

Comme entrepreneur, comme gestionnaire, qu’est-ce que la méditation vous a apporté?

Je prends de meilleures décisions. Et mes discussions difficiles le sont moins. Je parle facilement et beaucoup. Maintenant que j’observe mes pensées, je me dis, «Je crois que je ne vais pas dire ça. Ou que je ne le dirai pas tout de suite. Je vais laisser passer l’émotion avant de m’exprimer.» Mes progrès se sont manifestés par étape. Avant, en réunion, j’exprimais mes contrariétés à chaud. Mû par l’émotion, je n’arrivais pas à m’arrêter de parler. Quand j’ai commencé à méditer, j’ai senti émerger la contrariété pendant la réunion. Je me disais, «Oh! Ça s’en vient!» Et je prévenais mon PDG, «Attention, ça s’en vient!». Je ne pouvais m’empêcher de parler. Mais, au moins, je donnais un préavis. Il y a quelques semaines, on discutait d’un dossier qui me tient à cœur et que je veux régler. J’ai senti l’émotion monter. Cette fois, j’ai attendu quelques secondes. L’émotion a passé et nous avons eu une conversation calme. J’étais tout aussi passionné par le dossier, mais mon intervention s’est avérée plus efficace. Résultat: après la réunion, mon PDG m’a pris à part pour me dire : «Evan, c’est ta meilleure intervention depuis que tu es avec nous. Conserve ta passion, mais cultive le calme.»

Croyez-vous qu’il existe un cimetière secret virtuel de tous les entrepreneurs qui ont échoué parce qu’ils n’ont pas pris soin d’eux?

La plupart des entreprises échouent parce que l’entrepreneur a mal compris le marché, mal conçu son produit ou son modèle d’affaires. Et derrière ces mauvais choix se cache souvent l’épuisement de l’entrepreneur.

Que pensent les investisseurs de la santé physique et mentale des entrepreneurs?

Certains investisseurs ne cherchent qu’à s’enrichir rapidement. Ils se fichent des dommages collatéraux. Mais les plus futés regardent leur investissement d’une façon holistique. Un entrepreneur qui ne quitte jamais le bureau avec minuit et qui entre le lendemain avant 7 heures n’est pas un bon investissement. Vous voulez investir dans quelqu’un qui comprend la valeur du repos.

Mais il y a un coût d’opportunité à limiter ses heures de travail…

C’est une illusion. Vous n’avez pas à ajouter des heures. Vous pouvez toujours travailler plus intelligemment, être plus efficace. Et vous pouvez déléguer. Demander de l’aide, ça se fait. Vous serez surpris combien de gens autour de vous sont prêts à vous donner un coup de main.

Y aurait-il une occasion d’affaires pour un accélérateur de santé physique et mentale pour les entrepreneurs?

Je crois que oui. Vous pouvez aller en thérapie, certes. Mais votre thérapeute n’a jamais été entrepreneur. Il peut maîtriser le syndrome post-traumatique dans le cas d’une agression, mais l’entrepreneuriat laisse des cicatrices différentes. J’ignore toutefois quelle forme cet accompagnement devrait prendre. Je sais qu’il existe des lignes d’écoute pour entrepreneurs. Au bout du fil, c’est un entrepreneur d’expérience qui vous écoute. C’est un exemple, il y a de nombreux modèles à explorer.

Parlons de vous, à quoi ressemble vos journées?

Je comptabilise tout ce que je fais. J’arrête le compteur quand un collègue vient me parler ou quand je vais aux toilettes. Je vise six heures de vrai travail par jour. Récemment, tout a déraillé. Nous avons sélectionné les entreprises de la cohorte asiatique. Nous avons travaillé de 8h à 18h, puis de 18h à minuit, à cause du décalage horaire. Ça a duré un mois et demi, et ça m’a détruit. Je ne veux plus revivre. La prochaine fois, il faut que j’imagine un meilleur système.

Selon vous, les gens disciplinés sont-ils plus à l’abri de l’épuisement?

C’est une bonne question. Prenez mon cas, je déteste la routine. J’ai l’impression que ça brime ma créativité et ma liberté. Alors, je lutte pour ne pas en avoir. C’est ridicule. Si je me crée une routine, rien ne m’empêche de l’adapter lorsque cela s’impose ou que j’en ai envie. Je commence tranquillement à intégrer cette réalité. En fait, je crois que la routine peut être source de liberté et d’équilibre. Donc, oui, les gens disciplinés pourraient être plus à l’abri de l’épuisement.

Et votre mot de la fin?

Ne perdez pas votre temps à faire quelque chose que quelqu’un d’autre a déjà fait ou qu’il peut réaliser pour vous. Déterminez chaque jour ce que vous avez de plus important à accomplir, faites-le et passez à autre chose. Donnez-vous des buts réalistes que vous pouvez atteindre à court terme. Ne fixez pas tous vos objectifs pour le long terme, c’est décourageant. Et, surtout, soyez plus doux avec vous-même.

Voici quatre livres qu'Evan Patronik recommande:

-Essentialism, Greg McKeown

-The One Thing, Gary Keller

-Why We Sleep, Matthew Walker

-The Untethered Soul, Michael Singer

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