IA: les fermes à clics remplacent les sweatshops

Publié le 21/03/2019 à 15:30

IA: les fermes à clics remplacent les sweatshops

Publié le 21/03/2019 à 15:30

Par Diane Bérard

Le sociologue Antonio Casilli, auteur de «En attendant les robots: enquête sur le travail du clic.» (Photo: Lamiot — Travail personnel, CC BY-SA 3.0, Wikipédia)

«Le plus à craindre de l’intelligence artificielle (IA) ce ne sont pas les emplois qu’elle détruit, ce sont ceux qu’elle crée.» Karim Benyekhlef , avocat, professeur et directeur du Laboratoire de cyberjustice, de l’Université de Montréal

 Les 21 et 22 mars, Montréal accueille la seconde édition de la conférence «IA en mission sociale», organisée par Valentine Goddard, fondatrice de l’Alliance Impact Intelligence Artificielle (AIIA). On y réfléchit à divers impacts sociétaux de l’intelligence artificielle. Voici un compte-rendu des réflexions liées au monde du travail.

Combien d’entre nous craignent d’être remplacés par un robot? Comptables, juristes, journalistes… on ne compte plus les professions où la concurrence pour un poste prend désormais les traits d’un algorithme. Les scénarios extrêmes évoquent même des robots preneurs de décisions. Bref, mon patron est un robot!

Laissons cet enjeu connu pour déplacer l’éclairage vers un autre effet de l’IA sur le monde du travail, soulevé ce matin sur la scène du Rialto par Karim Benyekhlef .

Ce matin, j’ai appris de nouveaux concepts :

-Fermes à clics;

-Tâcherons du clic;

-Sous-prolétariat du numérique;

-Armée invisible du numérique;

-Tâcheronisation du travail.

Il est question de ces travailleurs de l’ombre qui effectuent mille et une tâches atomisées qui, cumulées, permettent aux plateformes comme Google, Facebook et Amazon de construire les algorithmes qui assurent leur fonctionnement. C’est la face moins glamour de l’intelligence artificielle.

On parle de travail numérique. Ce qui n’a rien à voir avec le travail informatique. Le travail informatique est valorisé et bien rémunéré. Pour certaines spécialités, comme la sécurité de l’information ou l’architecture de réseaux, il y a même pénurie de l’offre. Ce qui accorde le pouvoir au travailleur expert. Le travail numérique, lui, est anonyme. Pas d’expert ni de gros salaire. Et ses représentants sont interchangeables. Ironiquement, alors qu’on décrie depuis une décennie le traitement et la précarité des employés des sweatshops du secteur manufacturier, voilà que le secteur numérique crée une version 4.0 des ateliers de misère. Nouveau secteur, mêmes vieux principes tayloristes. Les tâcherons du clic sont rémunérés à la pièce, bien en dessous du salaire minimum.

En quoi consiste le travail numérique?

Il va des tâches les plus simples aux plus complexes. Il peut s’agir de mettre des mots sur des images, d’identifier et de classer du contenu ou de collecter des données. Mais, il est aussi question de création de contenu. Les tâcherons du clic sont payés pour faire, ou défaire, ce qui circule sur le Web. Ceux qui « font » se créent de faux profils à partir desquels ils interviennent sur les sites qu’on leur indique. C’est ainsi qu’on parvient, entre autres, à influencer le vote. Ceux qui « défont » sont payés pour modérer le contenu affiché. Notons que c’est à travers leur travail de modération que l’algorithme de modération se développe. C’est bien peu payer pour un bénéfice aussi important. Sans compter les horreurs auxquelles les modérateurs du clic sont soumis toute la journée.

Comment le travail numérique est-il organisé?

Parfois, il est carrément atomisé. Les travailleurs exécutent leurs mandats à partir de leur domicile. On s’en doute, plusieurs se trouvent dans les pays du Sud.

Mais il existe aussi des « fermes » réelles. Il s’agit souvent d’usines désaffectées. Les clics des claviers ont remplacé le bruit des équipements de production.

La plateforme Mechanical Turk, d’Amazon, propose justement des tâcherons du clic. On met de l’avant, entre autres, la facilité d’utiliser des travailleurs à la pièce, plutôt que de recruter des employés.

Ce qui nous mène au cœur du problème: la création d’une autre catégorie d’emplois précaires. «Il est vrai que l’IA a de nombreux bénéfices sociétaux, rappelle Karim Benyekhlef . Ses applications pour la santé, l’environnement, l’éducation, la démocratie sont indéniables. Mais ces bénéfices en amont ne doivent pas occulter les conditions qui permettent leur création.» Bref, si on investit l’IA d’une mission sociale, celle-ci devrait se manifester tout au long de la chaîne de création de valeur.

La solution?

Voici le message final de Karim Benyekhlef : «Développeurs, cessez de rêver de travailler chez Google C’est un pacte faustien. Faites plutôt preuve de véritable innovation et travaillez pour une plateforme de mutualisation qui saura protéger les droits des travailleurs du numérique.»

Pour ceux qui souhaitent en apprendre davantage sur les tâcherons du clic, je vous recommande la lecture de l’ouvrage « En attendant les robots : enquête sur le travail du clic », du sociologue Antonio Casilli.

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