Devrait-on pouvoir «acheter» son siège à un CA?

Publié le 12/01/2016 à 17:24

Devrait-on pouvoir «acheter» son siège à un CA?

Publié le 12/01/2016 à 17:24

Par Diane Bérard

Il est de plus en plus facile pour des investisseurs comme Keith Meister (Corvex Capital) de décrocher un siège au CA

Peut-on « acheter » son siège à un conseil d’administration ?

Devrait-on pouvoir «l’acheter »?

Je m’explique : les actionnaires devraient-ils avoir accès au processus de nomination des administrateurs et présenter leurs propres candidats? Si je détiens un nombre important d’actions d’une entreprise, devrais-je pouvoir « me nommer » un représentant au CA ?

Non! répond l’Institut sur la gouvernance d’organisations privées et publiques (IGOPP) dans sa plus récente prise de position.

Après avoir pesé le pour et le contre dans un document de 58 pages, l’IGOPP conclut qu’il y a plus de désavantages que d’avantages à permettre aux actionnaires qui détiennent plus de 3% des actions d’une entreprise de mettre en nomination leurs propres candidats au CA.


« Devrait-on pouvoir acheter son siège au CA? Non. L'actionnaire qui nomme un représentant au CA achète son siège. Appelons un chat un chat. »

Pourquoi les actionnaires veulent-ils proposer des administrateurs?

Parce qu’ils estiment que les administrateurs ne font pas ce que l’on attend d’eux. Les actionnaires n’ont pas pleinement confiance dans les administrateurs des entreprises où ils investissent. Ça commence mal…

Qu’attend-on exactement du CA? Quel est son rôle?

Historiquement, on a toujours parlé de maximiser la valeur pour les actionnaires. Mais, les temps changent. Comme le reflète le second volet de la mission de l’IGOPP :

«faire évoluer les sociétés d’une gouvernance strictement fiduciaire vers une gouvernance créatrice de valeurs»

On ne parle plus de créer «de la valeur» mais bien de créer «des valeurs».

Ce qu’en dit la loi

Ajoutons à cela la caution légale de la Cour Suprême en 2004 (Peoples Inc c. Wise) et en 2009 (BCE Inc. c Détenteurs de débentures). Dans ces deux jugements, où l’on a poursuivi les conseils d’administration pour ne pas avoir suffisamment considéré la création de valeur dans leur décision, la cour a déclaré :

« Le conseil, dans sa démarche de prise de décision, ne doit accorder aucun traitement préférentiel aux intérêts des actionnaires ni à ceux de toute autre partie prenante, mais doit exclusivement agir dans l’intérêt de la société dont ils sont administrateurs. »

Ainsi, aucun groupe d’actionnaires - qu’il soit animé par des motivations religieuses, sociales, environnementales ou financières - ne devrait pouvoir noyauter le conseil et imposer ses préoccupations comme unique ligne directrice de la stratégie et des décisions de l’entreprise.

Une demande à contre-courant de la tendance

On plaide de plus en plus pour la professionnalisation des conseils. On attend des comités de ressources humaines qu’ils appuient leur processus de recrutement sur la grille de compétences du CA. Ce document assure que le conseil a les compétences et l’expertise requises pour accompagner l’entreprise à chacun des moments de son histoire. Permettre à un groupe de proposer ses administrateurs - en marge de la démarche structurée de la grille de compétences - va à l’encontre de cette professionnalisation.

De plus, permettre à un groupe d’intérêt de proposer des candidats aurait pour effet de diviser le conseil en créant des factions. D’un côté, les administrateurs dits indépendants. De l’autre, ceux qui représentent des intérêts particuliers. À terme, cela risque de miner la cohésion interne et la confiance mutuelle des administrateurs.

Enfin, certains plaident que l’ajout d’administrateurs proposés par les actionnaires augmente la performance de l’entreprise, car cela «incite» la direction à mieux travailler pour conserver son poste. Est-ce vraiment ce type de climat que l’on souhaite instaure au CA et ce type de relation que l’on souhaite entre la direction et le CA?

Pour finir, les actionnaires ne constituent pas un groupe homogène. Certains ont des objectifs de maximisation à court terme. D’autres entrent au capital d’une entreprise pour longtemps. Un seul administrateur ne peut donc représenter les intérêts de tous les actionnaires. Faudra-t-il alors permettre à tous les groupes d’actionnaires de chaque entreprise d’avoir son homme ou sa femme au CA ? Bref, on ne s’en sort pas.

Précisons qu’au Canada, les actionnaires ont accès au processus de nomination sous la forme de propositions d’actionnaires. Si vous détenez 5% des actions (des actionnaires peuvent de regrouper pour atteindre 5%) depuis au moins 6 mois précédents le jour où est soumise la proposition d’actionnaire, vous pouvez procéder. L’IGOPP a étudié la demande des actionnaires de donner plus de mordant à ce processus et elle a conclu qu’il serait mal avisé d’accepter.

L'IGOPP a toutefois ajouté qu'Il est en faveur «de la mise en place d'un processus robuste de consultation auprès des actionnaires et de faire rapport dans la Circulaire de solliciation de procurations par la direction sur la démarche suivie et les critères retenus lors de la nomination de tout nouvel administrateur.»

Appelons un chat un chat

Devrait-on pouvoir acheter son siège au CA? Non

Car l'actionnaire qui nomme un représentant au CA achète son siège. Appelons un chat un chat.

 

 

 

 

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