Un mythe inciterait-il les Québécois à moins travailler?

Publié le 30/09/2016 à 09:00

Un mythe inciterait-il les Québécois à moins travailler?

Publié le 30/09/2016 à 09:00

Vous souvenez-vous de la sortie de Lucien Bouchard dans laquelle il avait affirmé, et il s'en désolait un peu, que le peuple québécois travaillait moins que ses voisins, particulièrement que les Américains. 

Ce n’était pas une opinion, c’était un constat basé sur des chiffres. Or, on visait ici les salariés et non les travailleurs autonomes qui, disait-on, travaillaient même plus. On a alors dit que l’une des raisons de cette situation était que les Québécois aimaient moins leur travail que les autres. Par conséquent, plusieurs sont prêts à travailler un nombre d’heures suffisant pour gagner un salaire correct mais sans plus. Autrement dit, l’argent d’heures supplémentaires travaillées ne serait pas suffisant pour au moins compenser pour la « douleur » de ces heures.

C’est possible dans une certaine mesure, mais il y a un autre facteur, à mon avis, qui démotive. Il s’agit d’une question de PERCEPTION de ce que rapporte réellement une heure de travail de plus. Et cette perception est souvent biaisée.

Combien de fois ai-je entendu dire : « Ça ne sert à rien de faire du temps supplémentaire, l’impôt vient tout gruger »?

Woooh les moteurs…

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Or, il est vrai que dans certains cas, le taux effectifs marginaux d’imposition (TEMI -  qui tient compte non seulement l'impôt, mais aussi de l'impact sur les programmes socio-fiscaux) sont élevés au Québec. Mais, d'une part, ces TEMI n’affectent pas en totalité la paie nette et, d’autre part, on pourrait avoir une discussion philosophique par rapport à l’inclusion de certains éléments dans ces TEMI. Je m’explique…

Même si les heures supplémentaires affectent, en bout de ligne, les prestations gouvernementale qui seront versées au bénéfice des enfants, leur impact pourra se faire sentir qu’à deux ans plus tard, et non pas sur le prochain chèque de paie. 

Pour la discussion « philosophique », disons que lorsqu’on calcule les TEMI, on inclut notamment les tarifs, c’est-à-dire les cotisations aux régimes sociaux. Or, si on cotise plus, les prestations augmentent elles aussi.

Par exemple, les cotisations au Régime de rentes du Québec, en 2016, coûtent à un employé 5,325 % de son revenu admissible. Ce pourcentage fait partie du calcul des TEMI. Mais ce n’est pas de l’impôt… si on paie une cotisation supplémentaire, on retirera une rente plus élevée (à moins de situations rares).

Ce qui m’amène au cœur du problème…

Il est vrai que l’ensemble des déductions à la source peut représenter un bon montant par rapport à la paie brute générée par les heures de travail supplémentaires. Cependant, il existe des légendes urbaines qu’il faut détruire.

Certaines personnes ont peur comme de la peste de «changer de bracket»… D’où vient cette crainte ? Probablement du fait que ces personnes s’imaginent notamment que le taux d’imposition d’un nouveau palier s’applique sur l’ensemble du revenu et non seulement à la marge…

Par exemple, si une personne gagne 84 498 $ par année (je n'aime pas les chiffres ronds...). Son revenu se situe dans un palier de 37,12 % en considérant l’impôt fédéral et celui du Québec. Avec des heures de travail additionnelles lui rapportant 1 000 $ de plus, elle atteindra un palier de 41,12 %. Ce n’est pas 4 % de plus sur l’ENSEMBLE de son revenu qui sera chargé mais seulement les dollars appartenant à ce nouveau palier. Comme le palier change de taux à 84 780 $, en 2016, les premiers 282 $ supplémentaires seront imposés à un taux de 37,12 %, soit 104,67 $ d’impôt, et les 718 $ de plus (pour un total de 1 000 $ d’augmentation) seront imposés à un taux de 41,12 %, soit 295,23 $ d’impôt.

Cette personne aurait ainsi un montant d’impôt de 399,90 $ (104,67 + 295,23) d’impôt à payer sur un revenu additionnel de 1 000 $. On constate donc que le taux d’imposition de son augmentation est de 39,99 %. Ses premiers dollars gagnés, les 84 498 premiers dollars, seront, quant à eux, imposés au même taux qu’ils l’étaient avant l’augmentation… pas un cent d’impôt de plus.

Dans notre exemple, il resterait donc, au net, 600,10 $ de plus dans les poches de l’employé. Cependant, le vrai montant net devrait être inférieur à ce nombre. Pourquoi ?

Pour divers éléments, notamment des cotisations plus élevées au Régime de rentes du Québec (RRQ),  à l’assurance-emploi, au Régime québécois d’assurance parentale, au régime de retraite… mais, comme je l’ai dit, ce n’est pas de l’impôt. Il y a un bénéfice à cotiser à ces régimes en cas de réclamation (et dans le cas du RRQ et du régime de retraite, une certitude de réclamation).

Par conséquent, même si le chèque de paie net n’augmentait que de 450 $, cela ne signifierait pas que l’employé a payé 550 $ (55 %) d’impôt. Il aurait payé 399,90 $ d’impôt, et 150,10 $ en d’autres choses qui vont lui être bénéfiques plus tard...

J’ai même entendu des gens dire que leur chèque de paie était INFÉRIEUR alors qu’ils avaient travaillé plus d’heures dans leur période de paie. Cette situation, lorsqu’elle est vraie (et dans la plupart des cas elle ne l’est pas…), est due à des éléments complètement différents de l’impôt (ajustements rétroactifs…).

Selon les déductions à la source courantes, le montant d’impôt ne dépassera jamais 53,31 % du revenu additionnel (dans le cas où le salaire est de plus de 200 000 $). Alors, arrêtons de dire que « l’impôt va tout gruger » en travaillant plus d’heures. De cette façon, si tout le monde est conscient de cette situation, peut-être travaillerons-nous un peu plus, collectivement, et serons-nous un peu plus riches comme société... ou à tout le moins, les décisions seront-elles prises de façon éclairée plutôt qu'être le fruit d'un lavage de cerveau...

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À propos de ce blogue

Dany Provost possède une formation multidisciplinaire lui permettant d'avoir une vue d'ensemble d'une situation financière. Combinant l'actuariat, la fiscalité, le placement et une grande maîtrise de l'environnement Excel, son expertise lui a permis de développer plusieurs outils de modélisation complexes, notamment en optimisation fiscale et avantages sociaux. Il est directeur planification financière et optimisation fiscale chez SFL Expertise et est l’auteur des livres «Arrêtez de planifier votre retraite, planifiez votre plaisir» et «As-tu réglé ça?» Membre honoraire et expert désigné de l’Institut de planification financière, il est un collaborateur régulier dans les médias en plus d’être chroniqueur en fiscalité dans le journal Finance et Investissement.

Dany Provost