Comment les hauts dirigeants peuvent s'enrichir plus que les autres

Publié le 19/05/2017 à 09:50

Comment les hauts dirigeants peuvent s'enrichir plus que les autres

Publié le 19/05/2017 à 09:50

Dans le très sélect monde des hauts dirigeants d’entreprise, il arrive souvent que la rémunération de ces derniers fasse l’objet d'avantages difficilement perceptibles. Afin de donner l'illusion d'un revenu plus modeste, il existe quelques façons de faire, dont la promesse d’une généreuse rente de retraite ou encore l’octroi d’options d’achat d’actions de l’employeur.

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Alors que la première méthode, la grosse rente de retraite, est assez facile à comprendre (au lieu de payer tout de suite, l’employeur paiera plus tard), la seconde est plus complexe.

La rente de retraite constitue un revenu différé qui permet de réduire le revenu courant à un niveau « acceptable » pour bien des gens. Le revenu courant d'un haut dirigeant peut ainsi donner l’illusion d’un revenu nettement en-deçà de la vraie valeur de sa rémunération. On comprend qu’une personne ayant un salaire de 500 000 dollars par année pour diriger une grande entreprise peut sembler avoir un «faible» revenu en comparaison avec certains de ses pairs. Toutefois, si on promet, à ce même dirigeant, une rente de retraite d’un montant identique tant qu’il est vivant, on comprend que sa rémunération réelle est nettement plus élevée.

En passant, si vous désirez connaître la valeur d’une rente de retraite avec une grossière règle du pouce, multipliez par un facteur de 15 à 20 le montant annuel. Dans notre exemple, une rente de 500 000 $ vaudrait ainsi entre 7,5M $ et 10M $. Ce facteur varie en fonction de plusieurs éléments (sexe, indexation, réversibilité au conjoint, période garantie, taux d’intérêt…). Sachez aussi que ce genre de rente excède de beaucoup les limites fiscales. Cela signifie que leur financement ne peut se faire « à l’abri de l’impôt ».

Revenons au sujet auquel je veux m’attarder ici: les options d’achat d’actions.

Une option d’achat est un droit, pour un individu, d’acheter une ou des actions de société à un prix convenu d’avance (le « prix d’exercice » des actions) et avant une date d’échéance. L’émetteur de l’option doit ainsi posséder ou émettre les actions qu’il vous vendra lorsque vous exercerez votre option d’achat.

Il existe une foule d’options sur les marchés (il existe aussi des options de vente). En anglais, on appelle ces titres call pour les options d’achat et put pour les options de vente. Or, ces titres ont une valeur. Imaginez des options qui donnent le droit d’acheter des actions à 30 $ alors que leur cours boursier est à 35 $. On comprend que l’émetteur de ces options devra vous charger plus de 5 $ pour chaque action qu’il vous est possible d’acheter sinon, il sera perdant car il devra vous vendre ses actions à 30 $ alors qu’il aurait eu 35 $ sur le marché…

Cette situation reflète une option qui est in the money, c’est-à-dire qu’elle a déjà une valeur intrinsèque certaine car le prix du marché est supérieur au prix d'exercice.  Il faut cependant tenir compte d’une deuxième composante dans le calcul de sa valeur. En effet, même si le cours d’une action est inférieur à son prix d’exercice, une option d’achat sur cette action a quand même une valeur non nulle. Il est toujours possible que le titre subisse une baisse de valeur avant la date d’échéance. On doit alors faire des calculs de probabilités pour estimer la valeur d’une option.

Maintenant, comment les hauts dirigeants tirent-ils profit des options d’achat ?

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C’est qu’il existe des règles fiscales qui font en sorte que l’impôt sur les options d’achat peut être reporté… longtemps.

En fait, voici grossièrement les règles fiscales pour les options d’achat d’actions d’un employeur :

  • Au moment où les options sont octroyées par l’employeur
    • Aucun impact
  • Au moment où les options sont exercées (achat des actions)
    • Si l’employeur est une société privée sous contrôle canadien : aucun impact
    • Sinon (société cotée en bourse par exemple) : avantage imposable (possiblement réduit)
  • Au moment où les actions sont vendues
    • Gain ou perte en capital PLUS
      • Si l’employeur est une société privée sous contrôle canadien : avantage imposable (possiblement réduit)
      • Sinon : aucun impact

Lorsque je parle d’avantage imposable ou de gain en capital, des calculs sont nécessaires. Par exemple, l’avantage imposable est généralement réduit de moitié par rapport à un avantage imposable ordinaire…

Sans entrer dans le détail des règles, donnons un exemple afin de bien comprendre comment un haut dirigeant d’une société publique peut être avantagé avec l’octroi d’options d’achat d’actions de son employeur.

Exemple

Disons que l’action de la société se transige 37 $ sur les marchés. Pour un montant de 1 $ par option, notre dirigeant, Jean, se voit octroyer 500 options d’achat donnant droit chacune à l'achat de 100 actions (50 000 actions au total) à un prix d’exercice de 40 $. À noter que si l’on veut profiter au maximum des allégements, il est important que le total du prix d’exercice de l'action et du prix payé par l’employé pour les options ne soit pas inférieur au cours des actions. On dit alors, dans le jargon, qu’elle est out of the money. L’option échoit dans plusieurs mois.

Or, avant l’échéance, le cours de l’action monte à 42 $ sur les marchés et Jean décide d’exercer ses options. L’année suivante, les actions se transigent à 43 $ et Jean décide de s’en départir. Quels seront les impacts de ces transactions?

Premièrement, au moment où l’employeur octroie les options à Jean, il n’y a aucun impact fiscal. Jean doit cependant débourser 500 $ pour acheter les options, soit 1 $ par option.

Deuxièmement, lors de l’exercice des options, soit au moment de l’achat des actions, Jean se verrait normalement ajouter à son revenu d’emploi un montant de 99 500 $ soit 50 000 actions à un cours de 42 $ moins le prix payé de 40 $ (2 $ par action) moins le prix de 500 $ payé pour ses options. Mais, comme il respecte les critères donnant droit à un allègement (notamment parce l’option est out of the money), il verra l’augmentation de son revenu d’emploi, ou avantage imposable, être réduit de moitié soit un montant de 49 750 $. Si Jean est au taux marginal supérieur d’imposition, il lui en coûtera donc 26 519 $ en impôt.

À noter que si la société cotée en bourse n’a pas une « présence importante au Québec », soit avec une masse salariale d'au moins 10M $ au Québec, la réduction de l’avantage imposable est limitée à 25 %.

Évidemment, Jean doit payer ses 50 000 actions à 40 $ chacune. Cela lui occasionne un déboursé de 2 000 000 $. Mais Jean n’en est pas à deux millions près… S’il l’avait été, il n’aurait eu qu’à emprunter pour acheter les actions et les revendre immédiatement à profit…

Finalement, l’année suivante, Jean vend ses actions au prix de 43 $, réalisant ainsi un gain en capital calculé comme suit : prix de vente (50 000 X 43 = 2 150 000 $) moins le prix payé pour les actions (2 000 000 $) moins l’avantage imposable généré l’année précédente (49 750 $). Cela signifie donc un gain en capital de 100 250 $. S’il est encore au palier supérieur d’imposition, cela signifie un impôt de 26 719 $.

Il reste donc un montant net à Jean de 96 262 $, soit le montant de 2 150 000 $ provenant de la vente de ses actions moins le coût de ces dernières de 2 000 000 $ moins ses deux impôts totalisant 53 238 $ et son coût d’achat de 500 $ pour ses options. C’est comme un salaire de 200 000 $ de plus…

Pour terminer, analysons si cela représente  une grosse différence avec un investisseur « normal », Paul, qui aurait acheté et vendu ses actions aux mêmes moments que Jean (achat à 42 $ et vente à 43 $)…

Regardons les résultats sous deux angles : un même coût net et un même résultat net.

Pour un même coût net, Paul aurait dû débourser un montant total de 2 027 019 $, soit le montant que Jean a payé pour ses actions (2 000 000 $), les impôts qu’il a dû payer sur son avantage imposable (26 519 $) ainsi que le coût de 500 $ pour acquérir ses options. Avec un tel montant, Paul aurait acheté 48 262 actions à 42 $. Il les aurait revendues à 43 $ l’année suivante pour un gain en capital de 48 262 $, soit 1 $ par action. Au taux marginal d’imposition le plus élevé, il lui aurait resté 35 399 $ après impôt… soit 60 863 $, ou 63 %, de moins que Jean. Ça ne vous impressionne pas ?

Regardons une comparaison avec un même résultat net cette fois.

Pour arriver au même résultat final de 96 262 $ de gain net, Paul, imposé au taux maximal, aurait dû réaliser un gain en capital de 131 241 $. À 1 $ de plus-value par action, cela aurait donc nécessité l’achat de 131 241 actions à 42 $ pour un coût total d’achat de 5 512 122 $... Comprenez-vous que Paul ne peut rivaliser avec Jean ? Et cet exemple ne représente souvent qu’une petite fraction de la réalité… 

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À propos de ce blogue

Dany Provost possède une formation multidisciplinaire lui permettant d'avoir une vue d'ensemble d'une situation financière. Combinant l'actuariat, la fiscalité, le placement et une grande maîtrise de l'environnement Excel, son expertise lui a permis de développer plusieurs outils de modélisation complexes, notamment en optimisation fiscale et avantages sociaux. Il est directeur planification financière et optimisation fiscale chez SFL Expertise et est l’auteur des livres «Arrêtez de planifier votre retraite, planifiez votre plaisir» et «As-tu réglé ça?» Membre honoraire et expert désigné de l’Institut de planification financière, il est un collaborateur régulier dans les médias en plus d’être chroniqueur en fiscalité dans le journal Finance et Investissement.

Dany Provost