Entreprendre comme je le vois: La solitude des sommets


Édition du 18 Janvier 2014

Entreprendre comme je le vois: La solitude des sommets


Édition du 18 Janvier 2014

Les débuts d'année sont toujours porteurs de nouveaux projets, d'espoir et de bonnes résolutions. On rit, on s'embrasse, on se souhaite santé, bonheur, succès et prospérité. Succès, prospérité ! des mots qui restent lourds de conséquences pour les patrons et les dirigeants, tant pour eux ils sont parfois synonymes de mal-être, voire de survie.

La crise qui a touché les États-Unis et qui ébranle encore l'Europe ne fait qu'amplifier un phénomène trop souvent méconnu, parce que même occulté par ses principales victimes : la solitude des patrons. On estime que deux patrons de PME s'enlèvent la vie chaque jour en France ; l'Espagne et l'Italie détiennent aussi des records en la matière ; et la Suisse, pourtant peu coutumière à cette triste actualité, a été particulièrement choquée en juillet dernier par le suicide de Carsten Schloter, directeur de l'entreprise de télécom Swisscom, d'autant qu'en 2011 le directeur des bonbons Ricola, Adrian Kohler s'était aussi enlevé la vie tout comme l'avait fait un peu avant le banquier Alex Widmer, de Julius Baer. L'Amérique du Nord n'y échappe pas non plus.

Des facteurs pathogènes

Les dirigeants de PME multiplient souvent les rôles au sein de leur entreprise. Cette surcharge de travail pèse dramatiquement sur leur moral, et certains se trouvent parfois dans un état d'épuisement qui ne leur permet plus d'avoir le recul nécessaire pour prendre les bonnes décisions. Mais leur mal-être va bien au-delà et, parmi les maux les plus souvent évoqués, on retrouve le stress, la solitude, l'incertitude ou encore la défiance.

Les chefs d'entreprise cumulent le stress sans même y prêter attention, affirmant même dans certains cas qu'ils en ont besoin pour avancer et être performants. Faux ! affirme Olivier Torrès, président de l'Observatoire Amarok : le stress est un facteur pathogène, tout comme ce sentiment d'esseulement qui peut aussi porter atteinte à leur santé physique et mentale, sans compter que la surcharge de travail prive souvent le dirigeant de certains échanges sociaux et affectifs essentiels. De plus, chaque jour, le facteur incertitude vient encore alimenter le stress quotidien en déversant sa dose de doutes et de questionnements. Il a été démontré par des études épidémiologiques réalisées par des chercheurs américains que l'exposition prolongée à l'incertitude en milieu de travail - un licenciement incompris pour un employé par exemple ou celle liée au carnet de commandes pour un patron - favorisait le développement d'ulcères, de cancers et d'AVC. À ces facteurs, il convient de rajouter la défiance. Les patrons apparaissent souvent comme des mal-aimés. Leur réussite est parfois jalousée et leurs échecs, toujours amplifiés, notamment en période de crise. Ce sentiment d'incompréhension est une réalité latente qui donne naissance à un autre élément pathogène : le manque de reconnaissance.

Des patrons qui ne peuvent pas souffrir

Si la souffrance au travail des salariés est unanimement dénoncée, celle des patrons reste, aujourd'hui encore, un sujet tabou. Un patron vous répondra toujours qu'il est en forme... bien plus qu'il ne l'est en réalité. Cette «désirabilité sociale» vient tronquer les statistiques et met en lumière le caractère inavouable de la souffrance patronale. Lorsque la souffrance n'est pas reconnue par la société, vous ne l'exprimez pas. Ainsi, les chefs d'entreprise auraient intériorisé l'idée qu'ils ne peuvent exprimer leur souffrance et se seraient accommodés d'une posture de leader et de gagnant.

Contrairement aux collaborateurs qui font partie d'une équipe, les patrons n'ont que peu d'occasions de partager leurs difficultés. Pour y faire face, des clubs de dirigeants s'organisent un peu partout dans le monde. La plupart d'entre eux préfèrent trouver tout simplement certains exutoires aussi variés que le sport, la musique, la pêche... un remède simple mais parfois suffisant pour faire face à un tel cocktail de facteurs pathogènes.

J'ai la chance d'avoir mes quatre enfants à mes côtés dans l'entreprise et nous sommes liés par une telle relation de confiance que jamais je ne prends une décision importante sans avoir pris soin de les consulter. Mais est-ce que je partage avec eux tous mes doutes pour autant ? Est-ce que je déverse sur eux certaines de mes incertitudes pour autant ? La réponse est non, et je suis moi-même obligée de faire face, malgré un entourage privilégié, à cette solitude du sommet. Mais il est une chose dont je suis certaine, c'est que tous les dirigeants restent sensibles aux marques de confiance, voire d'affection de leurs employés. Lors de mon dernier voyage d'affaires, j'ai été très touchée par les messages de mes collaborateurs qui me disaient combien je leur manquais et combien l'ambiance semblait différente dans les bureaux sans ma présence et mes fous rires. Je n'ai cependant pas pu m'empêcher de leur répondre : «Mais pourquoi ne me le dites-vous pas lorsque je suis là ?» Un magnifique bouquet de fleurs m'attendait à mon retour. Dieu que ça m'a fait du bien ! C'est tout simple, mais quelques petits gestes, un mot gentil, une quelconque marque de reconnaissance et tout semble plus lumineux ! Bonne année 2014 à tous !