Et si nous «ferions» des affaires?


Édition du 05 Avril 2014

Et si nous «ferions» des affaires?


Édition du 05 Avril 2014

Et si nous FAISIONS des affaires... Ah ces correcteurs orthographiques ! Ils ont le dos large, et plutôt que de les remercier de l'aide qu'ils nous apportent, nous n'hésitons plus à les accuser de tous nos maux et à les montrer du doigt pour excuser une erreur dont finalement nous sommes parfois les seuls responsables. Ce petit clin d'oeil à notre langue me donne l'occasion de souligner à quel point la semaine de la langue française et de la francophonie, qui se déroulait du 15 au 23 mars 2014, a été éclipsée par une campagne électorale au cours de laquelle il nous a été répété maintes fois que, sur 1 $ investi par l'État, 75 sous étaient consacrés à la santé et à l'éducation. Compte tenu des délais d'attente pour voir un spécialiste ou pour recevoir des soins aux urgences, on pourrait légitimement penser que la plus grande partie de ces 75 sous est accaparée par notre système d'éducation, et qu'à défaut d'être en bonne santé, les Québécois sont éduqués et cultivés, voire érudits. Pourtant l'analphabétisme touche près de 50 % d'entre nous...

Le défi de lire une offre d'emploi

Une statistique tellement alarmante qu'elle pourrait prêter le flanc à la contestation. Pourtant, c'est la Fondation pour l'alphabétisation elle-même qui estime que près de la moitié des Québécois âgés de 16 à 65 ans ne savent pas suffisamment lire pour pouvoir fonctionner normalement. Ce sont les analphabètes fonctionnels. Des personnes qui ont de la difficulté à comprendre un article dans la presse, la posologie ou les contre-indications d'un médicament, un manuel d'instruction ou une offre d'emploi. De plus, 16 % d'entre eux, soit environ 800 000 adultes, sont même totalement incapables, indépendamment de leur langue, de lire quoi que ce soit. Comment trouver un bon emploi avec un tel handicap ?

La qualité de notre main-d'oeuvre reste la seule manière de maintenir à flot le Québec dans le domaine de l'économie. Nous évoluons désormais dans une société où l'environnement lettré est de plus en plus intensif avec notamment l'utilisation d'Internet, incontournable. Les technologies évoluent, la machinerie et les équipements sont de plus en plus sophistiqués et même dans les ateliers et les usines, les travailleurs doivent désormais composer avec cette réalité, effectuer des calculs, suivre des instructions précises et se reporter à des manuels de plus en plus complexes. La plupart des services de ressources humaines, la plupart des dirigeants et des entrepreneurs dont je fais partie sont confrontés quotidiennement à cette réalité et il devient très difficile d'embaucher le moindre collaborateur sans avoir pris le temps d'évaluer son niveau de compréhension de la langue et ses aptitudes à communiquer par écrit. Alors que, selon la Banque TD, une diminution de 1 % du taux d'analphabétisme relèverait le PIB canadien de 32 milliards de dollars, la Fondation pour l'alphabétisation du Québec souhaite que le gouvernement déploie plus d'efforts afin que les mots deviennent plus clairs pour les Québécois. Mais doit-on compter uniquement sur le gouvernement pour redresser cette situation ?

Chercher des solutions plutôt que des coupables

Face à une certaine impuissance politique dans ce domaine, j'aurais tendance à reprendre les propos récemment tenus par Alexandre Jardin qui nous invite à réfléchir autrement : «Cessons de tout attendre de nos politiciens. Arrêtons de chercher des coupables ou des sauveurs, et agissons !» clame l'auteur qui vient de lancer Bleu, Blanc, Zèbre, un mouvement d'action citoyenne qui veut redonner le pouvoir à la population afin qu'elle change les choses par des actions concrètes. Un mouvement qui ne cherche pas de coupables, mais des solutions. C'est ainsi qu'il cite le cas de cet éditeur français qui, sans aucune subvention, réussit à offrir chaque année à deux millions d'enfants défavorisés des livres pour un peu plus d'un dollar. Pour contrer l'échec scolaire, l'écrivain a lui-même démarré en 1999 un projet auquel participent 14 000 bénévoles retraités qui transmettent le plaisir de la lecture dans les écoles à près de 400 000 enfants.

Plus près de nous, Meubles Concordia, dans l'arrondissement d'Anjou à Montréal, est l'une des rares entreprises à être passée à l'action en mettant sur pied des formations pour ses employés. Non seulement elle se fait un plaisir d'embaucher des immigrants, mais en plus elle les forme, les guide dans leur apprentissage du français et les aide même à obtenir un diplôme d'études secondaires, voire de niveau collégial. Cette entreprise manufacturière qui cherche des moyens innovants d'attirer de la main-d'oeuvre et de mobiliser son personnel n'hésite pas à offrir à ses employés des formations qui leur serviront toute leur vie. Nombre de ses contremaîtres ont reçu une attestation d'études collégiales (AEC), et étonnamment, leur formation s'est faite en quelques semaines au lieu des plusieurs années habituelles. Certains d'entre eux qui savaient à peine parler français et qui ne connaissaient rien au secteur manufacturier ont même réussi à décrocher l'équivalent d'un diplôme d'études professionnelles (DEP), parce que, entre autres, plus leur français s'améliorait, plus les programmes de formation étaient faciles à suivre.

Face à la mondialisation et à une concurrence devenue internationale, l'attentisme n'est plus de mise. Les entreprises doivent impérativement se repositionner par rapport à notre système éducatif, et les PME doivent faire plus d'efforts pour former leur personnel en mettant en place des programmes spécifiques qui feront office de passerelle entre le monde de l'éducation et celui du travail. Le Québec est innovant, créatif et riche d'un extraordinaire savoir-faire... encore faut-il apprendre à le faire savoir, clairement, efficacement et... lisiblement !