Prix des aliments: le véritable scandale

Publié le 26/01/2016 à 11:34

Prix des aliments: le véritable scandale

Publié le 26/01/2016 à 11:34

Avez-vous vu cette photo de patate, hier, dans notre rubrique quotidienne «10 choses à savoir»? On dirait un astéroïde flottant dans l’espace. J’imagine les critiques d'art se pencher sur la photo, la main sur le menton, tentant de trouver une signification à l’oeuvre. «Le terreux tubercule est une représentation d’une humanité fragile dont le destin est aussi nébuleux qu’une purée…»

Le cliché du photographe Kevin Abosch a trouvé preneur pour l’équivalent de 1,5 M$. Inutile de chercher une interprétation métaphysique à cette patate, il s’agit évidemment d’une illustration de l’inflation qui frappe les aliments.

C’est le gros buzz en ce moment. Depuis qu’un chou-fleur un peu chétif a été repéré à 7,49 $ dans une épicerie, on dirait que tout le monde vient de développer une conscience du prix des aliments. Le billet de notre blogueuse Anne B.-Godbout sur le luxueux crucifère a failli faire griller nos serveurs tellement il a été partagé sur Facebook. Depuis, sur les réseaux sociaux, on s’étonne chaque jour du prix qui du raisin, qui du céleri, qui du poivron.

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Cet émoi soudain pour le prix des fruits et légumes me laisse perplexe, sachant qu’une partie importante de notre panier d’épicerie prend la direction de la poubelle.

Car les données sur le sujet ne sont pas édifiantes.

Au Canada, on gaspillerait l’équivalent de 27 G$ en aliments, selon le rapport Food Waste in Canada publié il y a quelques années par l'organisation Value Chain Management Centre. Ce chiffre comprend les pertes à tous les niveaux de la chaîne: à la production, lors de la transformation, pendant le transport, dans les réseaux de vente au détail; dans les restaurants et à la maison. Quelque 40% de la nourriture produite sont perdus, dont la moitié environ dans nos chaumières.

Un documentaire sur le gaspillage alimentaire diffusé sur Explora avançait l'année dernière d'autres statistiques. Nous mettrions trois à cinq fois plus d’aliments que ce que nous croyons aux ordures. La famille canadienne moyenne jetterait chaque année l’équivalent de 123 kilos de fruits et légumes et 16 kilos de viande, ce qui représente 80 steaks. Cela fait des Canadiens des gaspilleurs de première catégorie.

Les chiffres diffèrent d'une soure à l'autre, mais le constat est partout le même: on remplit nos poubelles de nourriture. 

Alors, cessons de pleurer sur le prix du chou-fleur SVP. Et arrêtons de maudire la faiblesse du dollar canadien, la sécheresse en Californie et les stratégies des grandes chaînes d’alimentation.

Je vous invite plutôt à jeter un coup d’oeil dans votre poubelle. La première chose à faire pour réduire la note d’épicerie consiste donc à éliminer le gaspillage alimentaire à la maison, qui représente non seulement une perte pécuniaire pour les ménages, mais aussi une pression inutile sur l’environnement.

La lutte à ce fléau fait du chemin. Les chaînes de supermarchés ont commencé à commercialiser les légumes laids. Vous savez, ces carottes et ces pommes de terre aux formes bizarres qui, dans un étal ordinaire, auraient été boudées par les consommateurs et jetées aux ordures.

Des restaurateurs de renom ont empoigné leur bâton de pèlerin pour redonner leurs lettres de noblesse aux aliments mal aimés. Normand Laprise, du réputé Toqué, se fait une fierté d’avoir réduit les pertes de son établissement à presque zéro. Le chef Daniel Vézina, du Laurie Raphaël, a publié l’année dernière Cuisine réfléchie, un livre de recettes qui s’appuie sur le principe que tout dans un aliment peut être valorisé et cuisiné. Pensez épluchures, pelures, feuilles de légumes racines.

Ces initiatives s’inscrivent dans ce que les gens de la gastronomie appellent le «respect du produit», et par extension, le respect de la terre, le respect des animaux et le respect des fermiers.

Rendue à la porte de nos maisons, le mouvement rencontre encore de la résistance. Évidemment, l’idée de récupérer les feuilles d’une botte de radis est rebutante pour la majorité d’entre nous; entre le travail et les devoirs des enfants, ce n’est déjà pas évident de trouver du temps pour cuisiner son souper.

Mais il y a quand même quelques gestes simplissimes qui sont à la portée de tous: faire l’inventaire de son réfrigérateur avant d’aller au supermarché, ne pas remplir à ras bord le frigo, planifier les repas, s’en tenir à sa liste d’épicerie quand on fait le marché, emballer ses aliments, apprêter les restes.

Et sachant qu’une grande quantité de fruits et légumes importés pourrissent à l’étape du transport, mieux favoriser les produits locaux, moins chers, particulièrement en cette période de l’année.

Apprendre à cuisiner n’est pas une mauvaise idée non plus.

Après avoir fait tout ça, nous pourrons chialer contre le prix du chou-fleur.

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À propos de ce blogue

Les finances personnelles, ça consiste à gérer son argent au jour le jour en fonction d’objectifs plus ou moins éloignés. En regardant du bon angle, on constate qu’il s’agit d’un instrument pour réaliser ses ambitions et ses rêves. C’est avec humanité et une pointe d’humour que Daniel Germain compte aborder les finances personnelles dans ce blogue, dont l’objectif est de vous informer et de vous faire réagir. Daniel Germain assume la direction du magazine de finances personnelles Les Affaires Plus depuis 2002 et a développé de vastes connaissances sur le sujet.