Quand payer faisait mal pour le bien de nos finances

Publié le 04/08/2015 à 12:04

Quand payer faisait mal pour le bien de nos finances

Publié le 04/08/2015 à 12:04

Je n’ai pas encore expérimenté la crise cardiaque, mais il parait qu’avant de ressentir la douleur dans la poitrine, sa victime a mal au bras gauche. Un de mes amis un peu plus près de ses cennes que la moyenne avait l’habitude de gémir «Ayoye! Mon bras gauche!» chaque fois qu’il devait sortir son chéquier. Acheter un appareil électroménager le faisait autant souffrir qu’un début d’infarctus.

Je crois que ça lui faisait mal pour vrai. En tout cas, suffisamment pour éviter des achats non essentiels. Cette sensibilité à la dépense lui a permis de se prémunir contre l’endettement excessif et sans doute d’en mettre beaucoup de côté. Enfin, je le présume. À lui de me corriger dans la section «Commentaires» si je me trompe.

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Dissipons ici les doutes: il n’est pas atteint d’une maladie mentale. La douleur de payer est un phénomène bien réel dont l’existence a été démontrée il y a près de 20 ans par des chercheurs américains (Drazen Prelec et George Loewenstein). Contrairement à la relativité en physique, il ne fallait pas une intuition hors du commun pour soupçonner les conséquences désagréables de sortir son portefeuille. Qui n’a jamais remarqué chez certaines personnes ce subtil rictus d’inconfort quand ils mettent la main dans la poche.

Cela dit, la science n’a pas seulement établi l’existence du phénomène, mais elle a aussi identifié les circonstances dans lesquelles il se manifestait avec le plus d’acuité. Et c’est là que ça devient intéressant.

Deux variables entrent en ligne de compte: le mode et le moment du paiement. Payer en argent comptant est plus douloureux que de payer par carte de débit ou de crédit. Et plus le moment du paiement est proche de celui de l’achat, plus ça fait mal.

Dan Ariely, professeur de psychologie et d’économie comportementale à l’université Duke, aux États-Unis, a mené plusieurs expériences pour expliquer la douleur de payer. Ce sympathique chercheur est particulièrement intéressant et je vous invite à faire connaissance avec lui. Vous trouverez en bas une vidéo dans laquelle il illustre le phénomène.

S’il n’y avait que la douleur de payer, nous ne dépenserions pas. Pourquoi sommes-nous si prompts à nous rendre au magasin? Parce que nous éprouvons aussi du plaisir à consommer. Si la douleur surpasse le plaisir, nous n’achetons pas. À l’inverse, si l’expérience nous semble au final positive, nous sommes plus enclins à passer à la caisse. Il est un peu déprimant de le constater, mais nous sommes chez Walmart telles des souris dans un laboratoire, binaires.

Plus désolant encore, ce processus d’arbitrage ne fonctionne pas si le moment du paiement est différé. Les marchands de meubles et de produits électroniques l’ont bien compris. Leurs offres «Acheter maintenant, payer plus tard» n’ont pour but que d’atténuer la douleur de payer et de court-circuiter notre jugement, pour peu qu’il s’agisse bien de jugement. J’ai plutôt l’impression qu’on joue ici dans le siège de nos instincts, dans les régions profondes de notre cerveau.

Une autre façon de réduire la douleur de payer, c’est de régler avec le plastique. De ce côté, ça augure aussi mal. Les transactions en argent comptant, les plus douloureuses, ne cessent de diminuer au profit des achats effectués par cartes de débit et, surtout, par cartes de crédit. Selon la Banque du Canada, l’utilisation du numéraire a diminué significativement dans toutes les grandes catégories de consommation, allant du stationnement à l’épicerie.

L’explosion du commerce en ligne et le développement des technologies de paiement électronique comme Square et Apple Pay rendent de plus en plus inutile l’argent comptant. Quand les gens pourront plus facilement encore échanger de l’argent entre eux par voie électronique, en cognant leur téléphone par exemple, nous ne serons pas loin de la disparition des billets de banque. Quand ce jour arrivera, l’acte de consommer sera totalement déconnecté de celui de payer.

Comme la stabilité de nos finances repose pour beaucoup sur le délicat équilibre entre le plaisir et la douleur, qu’arrivera-t-il si ce dernier est rompu?

Il pourrait ne plus y avoir d’entraves à la dépense.

Youpi!? Pas sûr.

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À propos de ce blogue

Les finances personnelles, ça consiste à gérer son argent au jour le jour en fonction d’objectifs plus ou moins éloignés. En regardant du bon angle, on constate qu’il s’agit d’un instrument pour réaliser ses ambitions et ses rêves. C’est avec humanité et une pointe d’humour que Daniel Germain compte aborder les finances personnelles dans ce blogue, dont l’objectif est de vous informer et de vous faire réagir. Daniel Germain assume la direction du magazine de finances personnelles Les Affaires Plus depuis 2002 et a développé de vastes connaissances sur le sujet.