L'étau va (encore) se resserrer sur le marché hypothécaire

Publié le 01/08/2017 à 12:22

L'étau va (encore) se resserrer sur le marché hypothécaire

Publié le 01/08/2017 à 12:22

L’économie canadienne est-elle devenue accro à l’immobilier? À une journaliste de la CBC, un analyste financier s’est dit préoccupé par la question, lundi. Rien de nouveau, direz-vous, pas une semaine ne passe sans qu’un économiste ne publie un rapport alarmant sur le sujet.

Les statistiques à l’origine de cette nouvelle sortie frappent l’esprit, il faut le dire. Selon ces données, les frais générés par les transactions immobilières représentent maintenant 1,9% du PIB du pays. Entendons-nous bien, cela ne concerne pas les transactions elles-mêmes, mais uniquement les frais: les commissions aux courtiers, les taxes de mutation immobilière, les coûts d’inspection et les frais juridiques.

Quand presque 2% de l’économie reposent sur une telle activité périphérique, il y a de quoi se poser des questions en effet. Ajoutez à cela les industries de la construction et du prêt hypothécaire, cela donne une idée de l’importance (disproportionnée?) qu’a prise l’immobilier.

La croissance économique du Canada n’a jamais été aussi bonne depuis 17 ans, et le secteur immobilier n’y est pas étranger. Alimentée par un endettement de plus en plus important, cette croissance n’est pas sans risques. Le défi consiste donc à apaiser le marché sans le faire basculer dans la déprime. Un véritable travail d’équilibriste.

Mais difficile. On resserre l’accès au crédit un peu ici, puis on hausse les coûts d’emprunt un peu là, excluant chaque fois des acheteurs potentiels du marché. Mais jusqu’ici, ces efforts n’ont pas eu d’effets significatifs.

En juillet, la Banque du Canada a haussé son taux directeur d’un quart de point, ce qui a eu pour effet immédiat d’augmenter le coût des hypothèques à taux variable. Il serait étonnant que cela modifie la trajectoire du marché. Mais les taux d’intérêt ne sont pas le seul levier disponible.

Au début du mois dernier, les prêteurs hypothécaires ont discrètement eu la consigne de relever le taux de qualification pour les nouveaux prêts. Il est passé de 4,64 à 4,84%, signale Denis Doucet, porte-parole de Multi-Prêts. Ce taux est utilisé dans le calcul de ce qu’on appelle le «ratio d’amortissement total de la dette» (ATD). L’ATD fournit une image instantanée des charges financières (dettes, voitures, électricité, impôts fonciers) d’un particulier en fonction de son revenu. Les banques se fondent sur cette donnée pour déterminer le montant des prêts hypothécaires maximums qu’elles peuvent accorder à ceux qui frappent à leurs portes. Ce ratio ne peut dépasser 44%, une frontière dangereuse, mais dont s’approchent de nombreux acheteurs dans un contexte où le prix des maisons est au zénith.

Ainsi, une personne qui pouvait se qualifier pour un prêt maximal de 350 000 dollars ne peut plus espérer qu’un prêt de 343 000 dollars. La différence est minime, mais elle viendra réduire la marge de manoeuvre des premiers acheteurs, encore, notamment dans les secteurs où l’immobilier est le plus cher. Le taux de qualification pourrait monter de nouveau d’ici la fin de l’année puisqu’il est basé sur la moyenne des taux fixes de 5 ans affichés par les prêteurs (le taux affiché n’a rien à voir avec le taux accordé, moins élevé). Et on devine la tendance, assurément à la hausse.

Les seuls acheteurs qui peuvent encore se soustraire à ce processus de qualification sont ceux qui apportent une mise de fonds de 20%, donc qui n’ont pas l’obligation de faire assurer leur prêt hypothécaire par la SCHL ou par un assureur privé. Pour ceux-là, le Bureau du surintendant des institutions financières (BSIF), un organisme qui chapeaute les institutions financières de juridiction fédérale, songe à les obliger à se qualifier en fonction du taux consenti, plus 2%. Puisque le taux de cinq ans fixe se situe autour de 2,79%, le taux de qualification, à 4,79%, serait pratiquement identique à ceux qui n’avancent pas de mise de fonds substantielle.

Il ne s’agit encore que d’une intention, mais on en aura le coeur net dans les prochains mois. Si cette mesure devait être appliquée, elle réduirait la capacité d’emprunt d’une nouvelle frange d’acheteurs.

Un autre changement se profile à l’horizon et pourrait exclure plus de gens du marché encore. Depuis quelques mois, Ottawa jongle avec l’idée de faire assumer une part des risques par les banques dans le cas des hypothèques assurées, plus particulièrement par la SCHL. Soulignons ici que tous les prêteurs qui n’ont pas 20% de mise de fonds doivent faire assurer leur prêt hypothécaire. Lorsqu’il est assuré par la SCHL, qui relève du gouvernement fédéral, le prêt est couvert à 100%. En cas de défaut de l’emprunteur, la banque peut donc se tourner vers la SCHL pour se faire rembourser intégralement.

Si les banques devaient prendre sur leurs épaules une part de risque, on présume que les prêts ne seraient donc plus assurés à 100 % par la SCHL, mais à 95 %. Ou moins encore. «On ne sait pas», dit Denis Doucet. Mais vous savez comment fonctionnent les banques, elles n’assument jamais de risque supplémentaire sans se couvrir davantage. Pour atténuer les effets d’une prise de risque accrue, elles pourraient facilement augmenter leurs taux hypothécaires ou réduire la capacité de crédit de la clientèle en question en réduisant l’ATD (par exemple, de 44 % à à 39 %) .

La Presse Canadienne a fait état cette semaine d’un rapport qui circule à Ottawa selon lequel une telle mesure pourrait avoir un impact sur les prix de l’immobilier et représenter une menace à la stabilité du marché, notamment à Vancouver et à Toronto. Elle toucherait certainement des acheteurs dans la région de Montréal.

Ici encore, rien n’est concrétisé. S’il y a des risques à les mettre de l’avant, il y en a aussi à ne pas le faire. Je ne parierais pas contre les chances de voir appliquer ces mesures dont on parle depuis presque un an déjà.

Regardons aller l'équilibriste...

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À propos de ce blogue

Les finances personnelles, ça consiste à gérer son argent au jour le jour en fonction d’objectifs plus ou moins éloignés. En regardant du bon angle, on constate qu’il s’agit d’un instrument pour réaliser ses ambitions et ses rêves. C’est avec humanité et une pointe d’humour que Daniel Germain compte aborder les finances personnelles dans ce blogue, dont l’objectif est de vous informer et de vous faire réagir. Daniel Germain assume la direction du magazine de finances personnelles Les Affaires Plus depuis 2002 et a développé de vastes connaissances sur le sujet.