Les mythes liés aux fonds de travailleurs

Publié le 16/02/2016 à 11:45

Les mythes liés aux fonds de travailleurs

Publié le 16/02/2016 à 11:45

Est-ce un préjugé, du mépris, une méconnaissance ou de la désinformation volontaire? Au cours des dernières semaines, j’ai encore entendu des professionnels de l’industrie des services financiers, des conseillers, colporter de l’information inexacte au sujet des fonds de travailleurs, les Fonds de solidarité de la FTQ et Fondaction de la CSN.

On ne peut pas demander à un gestionnaire de portefeuille, à un planificateur financier ou à un fiscaliste de tout savoir et d’être à la fine pointe de leur domaine à tout moment. Mais pourquoi il s’en trouve encore pour laisser entendre à leurs clients qu’ils ne peuvent par recourir au régime d’accession à la propriété (RAP) si leur REER est constitué de parts de fonds de travailleurs? On peut utiliser le RAP avec des actions du Fonds de solidarité depuis… 1998.

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La seule contrainte qui touche le RAP par l’intermédiaire d’un fonds de travailleurs est qu’il doit être remboursé dans le même fonds, ce qui n’est pas le cas lorsqu’on «rappe»* à partir du REER d’une autre institution financière. Dans ce cas, on peut le rembourser chez d’autres institutions et dans des produits variés (actions, fonds, CPG, etc.)

Il a en va de même lorsqu’il est question de la liquidité des investissements dans un fonds de travailleurs. Par liquidité, je parle bien sûr de la facilité à disposer de ses actions pour mettre son argent ailleurs.

À cet égard, il arrive souvent que des conseillers entretiennent un flou, leurrent par omission ou ignorent tout simplement les règles. C’est vrai que les parts de fonds de travailleurs sont moins liquides que des actions et des parts de fonds détenues dans le REER d’une banque ou d’une firme de courtage. On ne peut pas les vendre comme ça pour déplacer ses billes. Par contre, il est faux d’affirmer que l’argent investi dans un fonds de travailleurs est immobilisé jusqu’à la retraite.

Il est possible en effet de récupérer son argent dans de nombreuses circonstances autres que la retraite (maladie, perte d’emploi, invalidité, baisse importante de revenu, etc.) Autrement dit, dans certaines situations d’urgence, on peut accéder à cet argent. En principe, c’est comme n’importe quel autre REER: on ne devrait pas y toucher avant la retraite, sauf dans certains cas d’exception, comme ceux que j’ai mentionnés plus haut.

On pourrait me rétorquer qu’en enfermant son argent dans un fonds de travailleurs, on se prive de meilleures occasions de placement qui pourraient se présenter. On ne peut pas réagir quand la conjoncture change. Cependant, même un investisseur expérimenté a du mal à reconnaitre une bonne occasion de placement. Les décisions d’investissement du profane sont dictées le plus souvent par ses émotions. D’une certaine façon, le fait de ne pas pouvoir transiger facilement ses actions le protège.

La raison pour laquelle ce placement est moins liquide est simple. Les fonds de travailleurs sont des pourvoyeurs de capital de risque. Ils procèdent par placements privés et ne peuvent pas injecter et retirer leurs capitaux d’une société à leur guise. Ils investissent dans des projets de développement d’entreprises québécoises pour créer et maintenir des emplois. C’est pourquoi les gouvernements accordent des crédits d’impôt à ceux qui achètent des parts, crédits qui s’ajoutent à la déduction fiscale à laquelle a droit n’importe quel épargnant qui cotise au REER.

Ces crédits sont de 15% (20% pour le Fondaction) au provincial et de 10% au fédéral en 2015. Avant l’arrivée des libéraux de Justin Trudeau à Ottawa, le gouvernement conservateur avait annoncé l’abolition progressive du crédit fédéral. De 15%, il a été prévu qu’il soit réduit à 10% en 2015 et 5% en 2016 avant de disparaître en 2017. Le ministre fédéral des Finances a récemment réitéré la promesse libérale de ramener le crédit à 15%, mais on ne sais quand.

Ce qui nous amène à la question des rendements des fonds de travailleurs. Historiquement, ils sont moins élevés que ceux livrés par les marchés boursiers, si bien qu’à long terme, un portefeuille d’actions va supplanter un placement dans un fonds de travailleurs, même en tenant compte du crédit d’impôt. L’argument avait du poids à une période où les hypothèses de rendement des planificateurs financiers tournaient autour de 8%. Ces hypothèses sont aujourd’hui beaucoup plus prudentes.

Dans cet article coup de poing, publié dans Les Affaires PLUS en 2012, Dany Provost a démontré comment il était difficile pour un fonds commun de placement équilibré de battre les performances (rendement et crédits d’impôt) d’un placement dans le Fonds de solidarité de la FTQ sur des périodes dépassant parfois 20 ans.

Malgré tout, si on vous propose d’investir dans un fonds de travailleurs, ce sera le plus souvent à condition de le faire à quelques années de la retraite de manière à pouvoir bénéficier du crédit d’impôt puis de retirer rapidement vos billes.

Évidemment, lorsqu’on touche des commissions sur les ventes de fonds négociés en Bourse, de fonds communs de placement ou sur des transactions boursières, on est peut-être moins porté à se tenir à jour sur l’univers des fonds de travailleurs.

Dans le grand tout, à long terme, les fonds de travailleurs ne sont peut-être meilleurs qu'un bon portefeuille d’actions. Mais ils ne méritent pas la réputation qu’entretiennent certains conseillers financiers.

***

*À ne par confondre avec le style pratiqué par Jay-Z, chanter en «rap». «Rapper»: verbe du premier groupe (je rappe, tu rappes, il rappe, nous rappons, vous rappez, ils rappent) qui signifie «puiser dans son REER pour faire une mise de fonds sur l’achat d’une première maison». Une personne peut retirer sans pénalité 25 000$ de son REER (50 000 $ pour un couple), mais doit rembourser en 15 ans.

Voici comment pourrait être utilisé le verbe «rapper» dans les deux contextes, à lire sur un air de rap:

Tu peux rapper pour t’acheter du bling, mon chum, ou tu peux pas. Ça dépend comme tu rappes, avec ton mic ou ton REER, Yo!

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À propos de ce blogue

Les finances personnelles, ça consiste à gérer son argent au jour le jour en fonction d’objectifs plus ou moins éloignés. En regardant du bon angle, on constate qu’il s’agit d’un instrument pour réaliser ses ambitions et ses rêves. C’est avec humanité et une pointe d’humour que Daniel Germain compte aborder les finances personnelles dans ce blogue, dont l’objectif est de vous informer et de vous faire réagir. Daniel Germain assume la direction du magazine de finances personnelles Les Affaires Plus depuis 2002 et a développé de vastes connaissances sur le sujet.