Ces vilains défauts de l'épargne-retraite

Publié le 06/04/2018 à 07:39

Ces vilains défauts de l'épargne-retraite

Publié le 06/04/2018 à 07:39

La semaine dernière, un collègue a relayé dans son journal une analyse d’un chercheur de l’Observatoire de la retraite qui portait sur le REER. Le texte à la source s’intitulait Le REÉR : les limites d’une formule qui individualise le risque.

Comment résumer la chose ? À la première lecture, j’ai eu l’impression de lire un manifeste anti-REER.

Je ne connais que très vaguement l’Observatoire, qu’on présente comme «une initiative de l’Institut de recherche en économie contemporaine (IRÉC)». Quant à ce dernier, je n’y suis pas très familiarisé non plus. Il se dit «un organisme à caractère scientifique » dont l’objectif est de promouvoir le bien commun. Il est de gauche, mais détrompez-vous, ce n’est rien pour nous rebuter aux Affaires. Si vous saviez, ici nous sommes très loin d’un foyer de libertariens.

Venons-en au texte, signé par Riel Michaud-Beaudry, un chercheur en sociologie avec qui j’ai pu discuter. L’auteur déplore la part trop grande de risque financier que doivent assumer les épargnants pour assurer leurs besoins de retraite. Il défend l’idée d’une mutualisation élargie de ce risque.

Si on devait se limiter aux instruments dont on dispose aujourd’hui, cela voudrait dire des contributions plus importantes au Régime de rentes du Québec en échange de rentes plus élevées, qui «mutualise» le risque, au détriment de l’épargne personnelle, qui individualise le risque. Le chercheur n’est pas allé jusque-là, il réserve ses recommandations pour une suite à paraître.

On pourrait toujours bonifier le RRQ, comme on l’a déjà fait à l’automne. Jusqu’où devrait-il couvrir les besoins de retraite? C’est là un sujet à débat. Je ne suis pas sûr que les employeurs, qui contribuent aussi à la caisse, soient chauds à l’idée. Bien de nos lecteurs non plus. On ne tranchera pas ici, quoique la question est au cœur de cette réflexion. Quelle partie de notre paie serions-nous prêts à laisser aller pour financer un régime de retraite public plus généreux pour tout le monde?

Quand Riel Michaud-Beaudry aborde le REER, je ne peux réprimer des petits plissements de front à l’occasion. Il évoque les frais élevés des fonds communs canadiens (qui incluent les frais du conseiller, alors qu’ailleurs il faut souvent les payer en sus), plus élevés que les frais de gestion de la Caisse de dépôt et placement. Bien sûr, une partie des rendements de l’investisseur individuel se dissipe pour nourrir l’industrie financière, mais de nombreuses options moins gourmandes en frais sont offertes. Et parfois, eh oui, il arrive que le client qui paie en ait pour son argent.

Ce à quoi il faut s’attarder, c’est au rendement net de frais. Il faut reconnaître que beaucoup d’épargnants connaissent des rendements déplorables, plus faibles en fait que les produits qu’ils détiennent dans leur portefeuille. Ils transigent dans les mauvais moments, mais encore, il existe des bons professionnels (si, si) dont c’est le travail d’empêcher l’investisseur à se laisser guider par les émotions.

Pour soutenir sa thèse, ça se corse un peu, l’auteur compare les rendements de la Caisse de dépôt (9,2%) de 2011 à 2016 aux hypothèses de rendement de l’Institut québécois de planification financière pour 2017-2018, établies à 2,75%. Comparer des rendements passés avec des hypothèses futures contrevient aux règles de méthodologie les plus élémentaires dans le domaine. La comparaison est plus boiteuse encore lorsqu’elle implique une des périodes boursières les plus fructueuses de l’histoire. Il faudrait rappeler à l’auteur la débâcle monumentale qu’a connue de la Caisse de dépôt en 2008. Elle aussi partait de loin.

Il faut également souligner que les rendements de la Caisse ne se reflètent pas intégralement dans celui du cotisant. Cité dans une chronique précédente, l’actuaire Daniel Laverdière de Banque Nationale Gestion privée 1859 avait calculé que le rendement d’un rentier qui aurait cotisé au RRQ pendant 40 ans aurait connu un rendement de 2,6 % s’il avait bénéficié de sa prestation de 65 à 85 ans. La performance aurait été plus faible si le cotisant était décédé plus tôt. Un investisseur individuel profite entièrement de son rendement.

Pour mettre en évidence le risque individuel et ses conséquences, le chercheur cite les pertes encourues en 2008 par les investisseurs âgés, mais il regrette d’un autre côté que ces investisseurs individuels soient tenus de réduire le risque de leur portefeuille à l’approche de la retraite. Il fait remarquer justement que la pondération des actifs d’un portefeuille collectif n’a pas à être modifiée devant l’imminence de la retraite pour une partie de ses cotisants. D’un autre côté, il oublie qu’un jeune épargnant peut assumer plus de risque que la Caisse de dépôt et placement avec un portefeuille individuel. Le risque est réparti autrement dans le temps.

L’un des grands avantages des régimes de retraite collectifs est qu’ils garantissent une rente pour la vie. En comparaison, un épargnant individuel court le risque de survivre à son REER, comme à toute son épargne du reste. L’auteur a raison d’insister sur cet élément, le risque de longévité constitue le point focal de toute planification financière.

ll souligne que d’autres épargnants, au contraire, meurent avant d’avoir épuisé leur REER. Il se désole que le bas de laine de ces personnes soit dans ce cas lourdement ponctionné par l’impôt (et la balance versée à la succession, j’extrapole). Dans un régime collectif, ce que feu le bénéficiaire-ex-épargnant laisse sur la table profite à ceux du groupe qui survivent tout en étant moins pénalisé fiscalement. En effet, la somme en question n’est pas imposée d’un coup entre les mains d’une seule personne, donc moins affectée.

Notons qu’un REER et un FERR individuels peuvent être transférés au conjoint sans impact fiscal. Et même imposé au taux le plus élevé, on peut comprendre un individu qui a épargné toute sa vie de vouloir léguer ses économies à des proches.

Il existe déjà quelques moyens de mitiger le risque de longévité, c’est-à-dire celui de survivre à son épargne. On peut retarder le moment de retirer les rentes du RRQ et de la Sécurité de vieillesse. Un épargnant peut aussi acheter une rente viagère.

Le chercheur de l’Observatoire de la retraite soulève des points pertinents, mais il y a une omission de taille. C’est bien moins la mécanique du REER qui nuit aux revenus de retraite que sa sous-utilisation. Les gens consomment au présent plutôt qu’épargner pour le futur.

Ce qui n’est jamais dit explicitement dans le texte, mais qui transpire, c’est que l’épargne retraite est trop importante pour en laisser la responsabilité aux individus.

En poussant plus loin, on peut y voir une forme de capitulation face à l’idée que les gens peuvent se prendre main.

Suivez-moi sur Twitter / Pour lire mes autres billets

À propos de ce blogue

Les finances personnelles, ça consiste à gérer son argent au jour le jour en fonction d’objectifs plus ou moins éloignés. En regardant du bon angle, on constate qu’il s’agit d’un instrument pour réaliser ses ambitions et ses rêves. C’est avec humanité et une pointe d’humour que Daniel Germain compte aborder les finances personnelles dans ce blogue, dont l’objectif est de vous informer et de vous faire réagir. Daniel Germain assume la direction du magazine de finances personnelles Les Affaires Plus depuis 2002 et a développé de vastes connaissances sur le sujet.