La mort précoce et ses aspects pratiques

Publié le 07/11/2018 à 06:00

La mort précoce et ses aspects pratiques

Publié le 07/11/2018 à 06:00

L’anecdote provient de la concurrence. Un lecteur de La Presse s’est plaint à un collègue de la maison à propos d’un article dans lequel était détaillée la planification financière d’une enseignante.

Le motif du reproche?

Le plan élaboré par l’expert s’étirait jusqu’au moment improbable où la prof atteint l’âge de 96 ans. Le lecteur semblait d’autant plus indigné qu’à son décès présumé, il restait encore 275 000 $ à la dame, soit 85 000 en dollars d'aujourd'hui.

«Qui a encore besoin d’argent à cet âge?» s’est-il interrogé. C’est connu, «nos ainés», c’est un peu comme «nos enfants». Ils peuvent se contenter de peu, pourvu qu’on leur explique pourquoi.

Non, mais c’est vrai ça, pourquoi se donner la peine de conserver une marge de manœuvre financière jusqu’à cet âge incertain? Dans l’éventualité qu’on s’y rende, notre état de décrépitude ne nous permettra pas de goûter pleinement tous les petits luxes qu’offre la vie en CHSLD, comme le bain hebdomadaire. Alors pourquoi vouloir espérer plus avec son pécule?

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On publie aussi des comptes-rendus de planification financière dans Les Affaires, et on applique les mêmes hypothèses : tous morts autour de 95 ans, à moins de gros problèmes de santé. Je connais un conseiller qui pousse l’hypothèse de décès jusqu’à 100 ans! Ouais, bon, nos lecteurs ont les moyens, et quand ils ne sont pas assez riches, bien on leur conseille de commencer à fumer.

Mais non! On leur laisse le choix. On leur dit simplement : «Au rythme où vous épargnez, étant donné que vous voulez prendre votre retraite à 58 ans, vous n’aurez plus une cenne à 82 ans, alors ce serait bien d’adon si… »

Si quoi?

Le lecteur de La Presse choisirait sans doute l’aide médicale à mourir, pour peu qu’on élargisse d’ici là les critères pour y avoir accès. Il y a un aspect pratique dans cette position. En présumant qu’il n’y a pas d’avenir (mort ou vivant), cela permet de vivre le moment présent plus intensément.

Sinon, on pourrait aussi lui proposer de repousser la retraite de quelques années, de travailler à temps partiel, d’épargner plus, ce qui suppose de dépenser moins. Ou de revoir à la baisse ses objectifs de retraite: moins de voyages, moins de restos, moins de confort.

Mais tout ça, c’est plate!

J’ai une autre idée ! Pourquoi ne pas tabler sur de meilleurs rendements du portefeuille, genre 10% annualisés ? Les trop sages planificateurs financiers, non seulement nous font-ils mourir à un âge impossible, mais en plus ils nous promettent des rendements de misère!

Vous avez vu ça? Pour un client au profil dynamique, ils appliquent sur son portefeuille un rendement de 4,70%, après frais. Ils présument un taux de rendement de 3,20% sur une répartition d’actifs dite «prudente» et de 3,90% quand elle est équilibrée, toujours après avoir payé les frais de gestion.

Avec quelques pour cent de plus, on pourrait voyager plus, non?

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Bien voilà, c’est justement pour éviter de succomber à ce genre d’aménagements arbitraires qu’ont été instaurées «Les normes d’hypothèses de projection». À ce que je sache, il s’agit d’une précaution qu’on ne trouve pas ailleurs qu’au Canada. Elles ont été mises en place par l’Institut québécois de planification financière (IQPF), il y a une dizaine d’années, et adoptées depuis par son pendant dans le reste du pays, le Financial planning standards council (FPSC).

Des normes d’hypothèses ont été établies pour les rendements de chacune des principales catégories d’actifs (actions canadiennes, étrangères, pays émergents, titres à revenu fixe, placements court terme), ainsi que pour le taux sur les emprunts, la croissance du maximum des gains admissibles (MGA), le taux d’inflation et l’espérance de vie. S'appuyant sur de nombreuses sources, un comité d'experts les révise chaque année. 

Les planificateurs financiers ne sont pas tenus d’y recourir, mais une majorité des membres de la profession les utilisent ou s’en inspirent. Ces normes permettent d’élaborer des scénarios réalistes d’accumulation et d’épuisement de l’épargne.

C'est vrai, elles sont prudentes et appliquées avec précaution, parfois trop aux yeux des clients. Les planificateurs financiers sont généralement mal à l’aise avec l’idée que vous puissiez épuiser vos ressources à un âge où vous avez plus d’une chance sur quatre d’être vivant. À moins que vous n'en ayez pas la capacité, ce qui est fréquent, ils aiment mieux les scénarios dans lesquels il y a une possibilité que vous mourriez vieux, avec de l’argent.

Je sais, c’est fâcheux de savoir tout ce bel argent dormir dans un petit porte-monnaie ou pire, utilisé à payer une maison de retraite privée. 

Quel gaspillage...

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Petit changement d’horaire. Notez que ma chronique de mardi midi sera désormais publiée à la première heure, le mercredi, à moins d’un cas de force majeure. Comme un petit rhume ou l’effondrement des marchés boursiers.

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À propos de ce blogue

Les finances personnelles, ça consiste à gérer son argent au jour le jour en fonction d’objectifs plus ou moins éloignés. En regardant du bon angle, on constate qu’il s’agit d’un instrument pour réaliser ses ambitions et ses rêves. C’est avec humanité et une pointe d’humour que Daniel Germain compte aborder les finances personnelles dans ce blogue, dont l’objectif est de vous informer et de vous faire réagir. Daniel Germain assume la direction du magazine de finances personnelles Les Affaires Plus depuis 2002 et a développé de vastes connaissances sur le sujet.