Fiscalité: le médecin, l'éléphant dans la pièce

Publié le 24/10/2017 à 11:38

Fiscalité: le médecin, l'éléphant dans la pièce

Publié le 24/10/2017 à 11:38

La réforme fiscale des PME de Bill Morneau tourne à la débandade. L’intention derrière était louable: resserrer l’accès à certains avantages fiscaux pour réduire les abus. Mais la solution était sans doute un peu trop invasive. Il y a là matière à débat.

Par contre, il y a une chose dont on est sûr, le ministre fédéral des Finances a sous-estimé le mouvement d’opposition qui l’attendait. Un mur. La manière dont il a reculé sur plusieurs aspects clés de sa réforme, tout en réalisant sa promesse de baisser l’impôt des PME, ce n’est pas ce qu’on appellerait une capitulation, mais il y a manifestement une tentative de sauver la face.

Le compromis ressemble à un bricolage un peu bancal. En fin de compte, les changements qui se profilent auront pour principal effet de complexifier un régime fiscal déjà passablement compliqué.

Alors, permettez-moi de poser la question: n’aurait-il pas été plus simple de retirer aux médecins le privilège de pouvoir pratiquer par l’intermédiaire d’une société privée? La solution n’aurait pas été facile non plus, j’en conviens, d’autant plus que la collaboration des provinces aurait été nécessaire. Mais une bonne partie du problème aurait été réglée à un coût politique nettement moins élevé. Pas de fermiers ni de petits entrepreneurs familiaux pour monter au créneau. Juste des médecins (et leurs comptables). La presse d’affaires anglophone ne se serait pas déchaînée et l’opposition conservatrice à la Chambre des communes aurait eu moins de prise pour s’accrocher.

L’un des arguments du gouvernement Trudeau pour justifier le projet de réforme fiscale repose sur l’explosion au cours des dernières années du nombre de sociétés privées. De 2000 à 2014, il est passé de 1,2 million à 2 millions au Canada. Il a plus que triplé dans le créneau des services professionnels. Cela n’a rien d’étonnant. Au Québec, les comptables ont été les premiers à pouvoir s’incorporer, en 2003, suivis par les avocats (2004), les notaires (2005) et les médecins (2007). Plus d’une vingtaine d’ordres professionnels ont depuis permis à leurs membres de «s’incorporer», dont les dentistes, les vétérinaires, les psychologues, les architectes, les chiropraticiens et les physiothérapeutes.

Mais pourquoi m’acharner sur les médecins, dites-vous ? Il n’y a qu’un avantage à pratiquer par l’intermédiaire d’une société privée pour le médecin. Ça s’appelle «planification fiscale». Ça n’a rien à voir avec le développement économique, la création d’emplois, la prise de risques et ce genre de choses dont aime bien s’enorgueillir l’entrepreneur.

Je sais, il est de bon ton de casser du sucre sur le sarrau du bon docteur, mais ce n’est pas mon but. Je veux seulement relever son statut ambigu.

Qu’y a-t-il d’entrepreneur chez un médecin qui pourrait justifier son droit d’organiser sa pratique à l’intérieur d’une société privée?

Contrairement à l’avocat et au comptable, par exemple, le médecin n’a pas à se constituer une clientèle, il n’a qu’un client qui l’attend, et en trépignant SVP, l’État. Le dentiste doit consentir des investissements importants avant de se pencher sur la bouche de son premier client. Du stéthoscope à la salle d’opération en passant par leur uniforme vert, tout est fourni au médecin par le gouvernement. Il ne risque pas une baisse de ses affaires, bien au contraire, le vieillissement de la population lui promet une longue carrière sans le moindre risque pour sa sécurité d’emploi. Il ne détermine pas ses honoraires, quoique les plus cyniques pourraient dire au contraire qu’il les édicte.

Les frais de cabinet et d’assurance? Il y a là un enjeu, c’est vrai. Mais n'a-t-il pas été compensé par la hausse de sa rémunération? Persiste aussi la question des avantages sociaux (congés, assurances, régime de retraite) dont profitent les employés de la santé, comme les infirmières, sauf lui, pourtant au coeur du système. Encore là, on peut se demander si sa rémunération globale n’en tient pas déjà compte.

Posons-lui la question. Serait-il prêt à renoncer à son statut de «travailleur autonome» et à une partie de sa rémunération pour des avantages sociaux étendus? À la vitesse à laquelle s’opèrent les réformes dans le domaine, j’avoue qu’on ferait face à un beau problème s’il disait oui. Mais permettez-moi d’en douter.

En ciblant les médecins, Ottawa aurait soulevé une opposition nettement moins large. Et divisée sans doute.

Pendant que les médecins ontariens menaçaient haut et fort de déménager aux États-Unis si Bill Morneau mettait son projet à exécution, au Québec, on entendait les mouches voler.

Ici, à peine plus de la moitié des médecins serait incorporée. En Ontario, sept médecins sur 10 le sont. Il faut savoir que les médecins ontariens ont négocié le droit à l’incorporation avec Queens Park en échange de compromis salariaux.

Au Québec, ça ne s’est pas passé comme ça. Les médecins se sont vu accorder ce droit au moment où ils ont commencé à faire des gains salariaux importants, à l’époque où l’actuel ministre de la Santé Gaétan Barrette négociait pour l’autre camp (avec le ministre d’alors, docteur Philippe Couillard).

Aujourd’hui, il aurait été un peu gênant pour nos médecins de défendre des privilèges fiscaux auprès d’Ottawa au moment où Québec leur accordait de nouvelles enveloppes salariales.

Suivez-moi sur Twitter / Pour lire mes autres billets


 

 

 

 

 

 

À propos de ce blogue

Les finances personnelles, ça consiste à gérer son argent au jour le jour en fonction d’objectifs plus ou moins éloignés. En regardant du bon angle, on constate qu’il s’agit d’un instrument pour réaliser ses ambitions et ses rêves. C’est avec humanité et une pointe d’humour que Daniel Germain compte aborder les finances personnelles dans ce blogue, dont l’objectif est de vous informer et de vous faire réagir. Daniel Germain assume la direction du magazine de finances personnelles Les Affaires Plus depuis 2002 et a développé de vastes connaissances sur le sujet.