Faut-il pleurer la disparition de l'argent sonnant?

Publié le 17/05/2016 à 11:45

Faut-il pleurer la disparition de l'argent sonnant?

Publié le 17/05/2016 à 11:45

Devrais-je consulter un psy?

Je me pose la question depuis qu’un ami a cru déceler chez moi les signes d’un trouble obsessionnel compulsif. Le comportement à l’origine de ce diagnostic? Je vide systématiquement mes poches en rentrant chez moi.

Quand je vais au dépanneur acheter une «pinte» de lait, je paie avec un billet et, au retour, je dépose la monnaie dans deux récipients: les 1$ et les 2$ dans un gros pichet, la menue monnaie dans un immense bocal de marinade de quatre litres. Si je dois aller à la pharmacie 30 minutes plus tard, je paie à nouveau avec un billet pour revenir avec des pièces.

C’est comme si la pinte de lait me coûtait 5$, le tube de dentifrice aussi. C’est là que l’ami me trouve un peu déséquilibré. Dans mon obstination à ne jamais piger une pièce dans ces réserves, j’accumule un joli bas de laine. Quand je vais déposer cet argent à la banque, je me fais parfois gronder par la caissière: «Vous auriez pu utiliser le comptoir commercial!» Et ça pose aussi un risque pour ma santé. Je pourrais me déboiter une épaule ou me barrer le dos durant le transport.

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J’ai beau être des plus rigoureux dans cette manie de vider mes poches, il faut des mois et des mois pour atteindre le bord des contenants. Souvent plus d’un an, parfois deux même pour la petite monnaie. Mais tout le temps que ça monte, ça me permet d’imaginer ce que je pourrai faire avec le pactole, car mine de rien, ça peut contenir des sommes assez importantes.

Le petit trésor ne sert jamais à quelque chose d’ennuyant, comme contribuer au REER ou payer le dentiste. Il a deux fonctions:  soit me faire plaisir, par exemple en achetant un billet d’avion ou en me lâchant lousse dans une boutique de vêtements; soit amortir une grosse dépense nécessaire (mais le fun), comme remplacer mon ordinateur de huit ans qui montre des signes inquiétants de fatigue.

Je ne sais pas s’ils sont les symptômes d’un déséquilibre mental, mais les «pots de cennes», comme je les appelle, sont une métaphore du plaisir par anticipation. On a tout le temps de songer à son projet le temps qu’on accumule la somme nécessaire pour le réaliser. Ça résume tout le secret de l’épargne… Au risque de passer pour un papy arriéré qui accumule de l’argent sous le matelas.

Mais j’y pense. Ces visites à la banque avec mes kilos de métal sont de moins en moins fréquentes. Et j’ai bien peur que mon petit rituel soit menacé. Comme la plupart d’entre vous, je traine de moins en moins d’argent sur moi. Le comptant ne sert plus que pour les menues dépenses et pour faire mes courses au marché où les commerçants, derrière leur étal, n’acceptent que du sonnant. Mais d’ici quelques années, tous ces petits marchands seront munis d’une tablette et d’un terminal pour accepter les paiements électroniques.

On a fait grand cas la semaine dernière de l’arrivée au Canada d’Apple Pay. Il ne fait aucun doute pour moi que cette méthode de paiement (que ce soit celle d’Apple, de Google, de Samsung ou de WalMart) se généralisera d’ici quelques années et sera utilisée pour la moindre transaction.

L’argent comptant sera de moins en moins utilisé, jusqu’à disparaître inexorablement, complètement. Les pièces existent depuis plus de 2000 ans. Et les premiers billets de banque? Les Chinois les utilisaient il y a plus de 1000 ans. Bon, ce n’est pas parce qu’une invention remonte à des temps immémoriaux qu’elle doit disparaître, après tout on n’est pas prêts de renoncer à la roue.

Si on n’a rien trouvé de mieux encore pour rouler que la roue, on ne peut pas en dire autant des paiements en espèces, de ce portefeuille qui fait une bosse sur nos pantalons de gars et de la poignée de «change» qu’on manipule dans le fonds de nos poches comme des mononcles.

Le paiement électronique, avec l’aide du téléphone ou de la montre, est une avancée incontestable qui va s’imposer.

Il ne faudra donc pas s’émouvoir de voir apparaître un de ces jours un portefeuille virtuel pour les enfants, sous forme d’une carte. Les cartes prépayées pour les enfants ont déjà fait leur apparition.

J’ai déjà écrit que la dématérialisation du paiement risquait d’atténuer la douleur de payer, donc de nous inciter à dépenser. Il est plus douloureux de payer quand on voit les billets sortir du portefeuille que lorsque qu’on touche un terminal avec son ton téléphone ou sa montre.

Je me rétracte. Enfin, je n’ai pas de peine à imaginer une interface sur nos appareils qui imite l’effet d’un portefeuille qui s’amincit et qui recrée un sentiment de culpabilité.

Quant à mes «pots de cennes», il existe déjà des applications qui font un travail similaire. Je pense à Digit (disponible seulement aux États-Unis pour l’instant). Selon vos habitudes d’achat, Digit puise des petites sommes de votre compte bancaire pour les déposer dans un bas de laine virtuel.

L’avantage de Digit est évident. Pas besoin de consacrer une soirée à trier des pièces et à les rouler, puis à aller les déposer à la banque sous le regard incrédule d’une caissière.

Eh puis, ça fait moins ringard devant les amis.

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À propos de ce blogue

Les finances personnelles, ça consiste à gérer son argent au jour le jour en fonction d’objectifs plus ou moins éloignés. En regardant du bon angle, on constate qu’il s’agit d’un instrument pour réaliser ses ambitions et ses rêves. C’est avec humanité et une pointe d’humour que Daniel Germain compte aborder les finances personnelles dans ce blogue, dont l’objectif est de vous informer et de vous faire réagir. Daniel Germain assume la direction du magazine de finances personnelles Les Affaires Plus depuis 2002 et a développé de vastes connaissances sur le sujet.