Faire faillite au Québec, est-ce si anodin?

Publié le 30/01/2018 à 12:02

Faire faillite au Québec, est-ce si anodin?

Publié le 30/01/2018 à 12:02

Comme ça, il n’y aurait rien là, faire une faillite au Québec. Voilà ce qu’aurait prétendu Éliane Gamache Latourelle, alias «La jeune millionnaire», pharmacienne de son métier et gourou déchue. C'est ce qu'on pouvait lire dans La Presse la semaine dernière.

L’affirmation nous a été relayée alors que sa source n’était pas tout à fait au faîte de sa crédibilité, la jeune femme aurait depuis pris Justin Bieber en chasse dans le but de le marier, c’est vous dire. Tout de même, se pourrait-il qu'elle ait raison au sujet de la banqueroute ?

Elle n’est pas la première à banaliser la chose. Il se trouve toujours dans notre entourage quelqu’un dont le «mononcle» a fait faillite et qui a su conserver sa maison, son char et un train de vie. Et de se payer le meilleur restaurant en ville la veille de son rendez-vous chez le syndic. «Une faillite, y’a rien là. Trinquons!»

Puis, les États-Unis ne sont-ils pas dirigés par un homme dont les entreprises ont fait faillite six fois? Dans le monde des affaires, ne portons-nous pas désormais aux nues les entrepreneurs qui affichent les balafres de l’échec, comme si la débandade était à la fois un passage initiatique et expérimental. Ça les rendrait plus résistants, et leur histoire plus épique. «Tu vois là cette grosse cicatrice sur ma poitrine, ce n’est pas mon triple pontage, c’est ma faillite de 2010.» Les histoires de résilience nous touchent. Ok, trébucher en se lançant en affaires et mener un rythme de vie plus faste que nos moyens nous le permettent, ce n'est pas la même chose. 

À raison, le discours ambiant à l’égard de la faillite et de l'échec en général se veut dédramatisant. Il y a pire en effet. Pour les gens incapables de sortir de l’endettement dans lequel ils pataugent depuis des années, la faillite est salvatrice et parfois porteuse de leçons.

Peut-on affirmer pour autant «qu’au Québec, la faillite, ce n’est rien» ? J’ai demandé à quelqu’un qui s’y connaît dans le domaine, Éric Lebel, associé au groupe redressement et insolvabilité chez RCGT. En d’autres mots, il est syndic. D’entrée de jeux, il me fait remarquer que la loi sur la faillite est fédérale, alors ce n’est pas moins compliqué de faire faillite au Québec qu’ailleurs au Canada.

Avant d’entrer dans les éléments techniques, il précise aussi que la faillite n’a rien de «glamour». Les gens qui cognent chez lui pour se libérer de leurs dettes se sont endettés petit à petit, remplissant une carte de crédit, puis une autre, puis une troisième pour payer la précédente, et ainsi de suite jusqu’à ce qu’ils ne soient plus capables. Ou encore, ils plongent dans l’endettement à la suite d’un divorce, de la perte d’un emploi ou d’un problème de santé.

Les conséquences de la faillite peuvent sembler bénignes en comparaison de ce qui peut y mener, c’est d’ailleurs pourquoi les gens concernés se présentent chez un syndic. Ils n’en peuvent plus, la solution ne peut qu’être meilleure. Quand même, de là à dire que c’est une partie de plaisir par la suite…

Tous les biens du «failli», c’est ainsi qu’on appelle le malheureux, sont saisis, à part quelques exceptions (les biens insaisissables) comme les meubles, les vêtements et le REER. La maison y passe, de même que l’auto. Il arrive en effet que le failli conserve sa maison et sa voiture, quand la première est presque entièrement hypothéquée et la seconde, louée. «On n’a alors aucune raison de les saisir et de les vendre, on n’en tirerait rien pour payer les créanciers», dit Éric Lebel.

Après, c’est le purgatoire. Il faut neuf mois pour se libérer d’une première faillite, 21 mois si le revenu mensuel net du failli dépasse 2121 dollars. Au-delà de ce montant, et aussi longtemps qu’une personne n’est pas libérée, la moitié des revenus est versée aux créanciers. La faillite apparaît ensuite au dossier de crédit durant six ans. À la deuxième, il faut deux ou trois ans pour se libérer, selon ses revenus, et le dossier de crédit est entaché pendant 14 ans.

Durant ce temps, ce sera plus compliqué d’obtenir le prêt pour une voiture ou l’hypothèque pour une maison, mais il y aura toujours des gens pour s’en remettre plus facilement. Un revenu plus élevé, la stabilité de l’emploi et du lieu de résidence permettront de rebondir et de faire oublier plus rapidement ses déroutes passées. Tâter peu à peu du crédit, qu’on remboursera rubis sur l’ongle, accélérera les choses. De bons amis et le soutien de la famille aussi.

On ne meurt pas à recourir à la faillite, on n’y laisse pas plus une jambe ou un bras. Il s’agit d’un droit qui, comme tous les droits, ont des limites. La loi prévoit de nombreuses circonstances dans lesquellesle failli ne peut se libérer de ses dettes, notamment lorsqu’il a occasionné sa faillite «[…] par une extravagance injustifiable dans son mode de vie […] »

Comme si on se disait «vivons à crédit, y’a rien là une faillite!»

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À propos de ce blogue

Les finances personnelles, ça consiste à gérer son argent au jour le jour en fonction d’objectifs plus ou moins éloignés. En regardant du bon angle, on constate qu’il s’agit d’un instrument pour réaliser ses ambitions et ses rêves. C’est avec humanité et une pointe d’humour que Daniel Germain compte aborder les finances personnelles dans ce blogue, dont l’objectif est de vous informer et de vous faire réagir. Daniel Germain assume la direction du magazine de finances personnelles Les Affaires Plus depuis 2002 et a développé de vastes connaissances sur le sujet.