Budget: ne pleurons pas sur le sort des professionnels

Publié le 01/04/2015 à 11:47

Budget: ne pleurons pas sur le sort des professionnels

Publié le 01/04/2015 à 11:47

Comment vous l’avez trouvé le budget de la semaine dernière? Moins palpitant que le dernier épisode d’Unité 9, vous ne trouvez pas? Moins dramatique aussi. Plate? Peut-être. Mais ce n’est pas moi qui l’ai dit en premier, c’est mon ancien confrère de classe, Sébastien Bovet. À RDI, il s’est momentanément écarté du décorum radiocanadien pour trancher en ondes: «Un budget plate!» Sébastien, tu aurais dû venir au dévoilement du rapport sur la fiscalité de Luc Godbout, la semaine précédente. Ça, c’était un show!

C’est vrai que les particuliers n’avaient pas beaucoup à se mettre sous la dent dans le budget présenté par Carlos Leitao. Il y avait l’abolition de la taxe santé, l’introduction du bouclier fiscal et ce crédit pour nous inciter à travailler plus longtemps. On en reparlera un autre jour de cette mesure, si vous voulez bien.

Il y a un point du budget qui n’est pas banal et qui n’a pas fait grand bruit, je trouve. Je pense au resserrement de la déduction pour petite entreprise (DPE). Il n’y a que mon collègue Stéphane Rolland qui a allumé on dirait. J’ai cru entendre Pierre-Yves McSween en parler à l’émission de Le Bigot, samedi matin, mais je dormais à moitié.

Suivez-moi sur Twitter

Pour lire mes billets précédents

La DPE avait pour objectif d’inciter les PME à prospérer. Ainsi, une entreprise incorporée était imposée à Québec à un taux de 8% sur les premiers 500 000 dollars de revenu, puis au taux des sociétés (11,9%) sur l’excédent. Cet avantage fiscal devait permettre aux entreprises de dégager des liquidités pour investir dans des projets d’expansion et dans l’embauche de personnel.

Mais comme cela arrive très souvent, le contribuable et son conseiller financier se préoccupent assez peu de l’objectif visé par une mesure fiscale. Tant qu’elle est disponible et permet de réduire ses impôts de manière légale, il faut en profiter!

Ainsi, de nombreux professionnels incorporés, sans entretenir le projet de développer leurs affaires, ont pu profiter de la DPE. Pensons au médecin tout seul avec sa secrétaire qui a incorporé sa pratique. Pensons aussi à l’entrepreneur spécialisé en toiture dont le mot «inc.» apparaît sur le camion.

Aujourd’hui, n’importe quel professionnel ou travailleur de la construction qui peut s’incorporer a droit à cette déduction, qu’il ait 10 employés ou aucun (ce n’est pas tous les professionnels qui peuvent s’incorporer, certains ordres professionnels l’interdisent à leurs membres, comme les physiothérapeutes, par exemple).

(NDLR: un lecteur avisé m'informe que les physiothérapeutes peuvent s'incorporer depuis le 26 mars. Merci M. Gagné. Plusieurs autres professions, par contre, ne le peuvent toujours pas, comme les acupuncteurs.)

À compter du 1er janvier 2017, pour être éligible à la DPE, une PME doit compter au moins quatre employés. Selon le ministère des Finances, 75 000 sociétés seront touchées, dont 42 000 qui ne comptent aucun employé! Elles seront donc imposées au taux des sociétés (11,9%) sur tous les revenus qui rentrent. C’est pratiquement une hausse du taux d’imposition de 50% à Québec, étant donné que bien des professionnels incorporés ne génèrent pas plus de 500 000 dollars en honoraires.

Faut-il verser une larme? Ne vous donnez pas la peine.

Cela dit, avant de conclure à «ces riches qui profitent du système», il faut rappeler que ce n’est pas le médecin, le dentiste ni l’entrepreneur en construction incorporés qui sont imposés à 8 % par Québec. Mais leur entreprise.

Pour que le professionnel paie son épicerie, sa société doit lui verser de l’argent, que ce soit sous forme de salaire ou sous forme de dividende, ou les deux. Ce transfert est frappé d’un nouvel impôt. Les trois options ont leurs avantages et leurs inconvénients. Par exemple, si le professionnel se verse un salaire par l’intermédiaire de son entreprise, il paie davantage d’impôt en plus de devoir contribuer à la Régie des rentes du Québec (RRQ). S’il se verse des dividendes, il paie moins d’impôt, mais les dividendes ne donnent pas droit à des contributions REER. Il ne paie pas non plus de cotisations à la RRQ, mais cela va affecter ses prestations au moment de la retraite.

Mais notons quand même que les gens dans cette situation disposent de plusieurs outils pour «optimiser» leur situation fiscale (lire «payer moins d’impôt»).

Bref, il est un peu moins avantageux pour les professionnels de s’incorporer, mais beaucoup auront encore intérêt à le faire. Les grands gagnants? Les fiscalistes, sans doute, qui pourront charger de nouveaux honoraires pour peaufiner la stratégie de leurs clients.

Retour sur le bouclier

J’étais bien excité par cette histoire de bouclier fiscal dans mon billet d’il y a deux semaines. Je continue à penser que c’est une excellente idée, mais je dois reconnaître qu’elle n’est pas sans défaut.

Petit rappel : le bouclier est une mesure qui vise à atténuer l’impact fiscal d’une hausse de revenu pour les contribuables qui profitent de certains crédits d’impôt. Proposé par la Commission Godbout et concrétisé dans le budget Leitao, le bouclier s’applique à ceux qui bénéficient de la prime au travail, du crédit d’impôt pour la solidarité, du crédit d’impôt pour frais de garde et de la prime pour les travailleurs d’expérience. Une hausse de revenu peut couper l’accès à ces crédits, si bien que le contribuable dans cette situation se trouve pénalisé du fait d’augmenter son salaire. On suppose qu’il pourrait y renoncer, en refusant des heures supplémentaires, une promotion ou un autre emploi plus payant.

C’est pour atténuer ce phénomène que Québec propose le bouclier fiscal, qui se présente comme une déduction sur les revenus supplémentaires gagnés par rapport à l’année précédente. C’est là que ça accroche : le bouclier protège d’un choc fiscal déclenché par une hausse salariale, mais pour un an seulement. À moins que le contribuable n’augmente son revenu significativement une deuxième année de suite, il perdra la protection du bouclier à l’année deux.

Et il n’a sans doute pas les moyens de se payer un fiscaliste, lui, pour optimiser sa situation fiscale.

Suivez-moi sur Twitter

Pour lire mes billets précédents

À propos de ce blogue

Les finances personnelles, ça consiste à gérer son argent au jour le jour en fonction d’objectifs plus ou moins éloignés. En regardant du bon angle, on constate qu’il s’agit d’un instrument pour réaliser ses ambitions et ses rêves. C’est avec humanité et une pointe d’humour que Daniel Germain compte aborder les finances personnelles dans ce blogue, dont l’objectif est de vous informer et de vous faire réagir. Daniel Germain assume la direction du magazine de finances personnelles Les Affaires Plus depuis 2002 et a développé de vastes connaissances sur le sujet.