Quand planification testamentaire devient un dilemme moral

Publié le 02/10/2015 à 09:30

Quand planification testamentaire devient un dilemme moral

Publié le 02/10/2015 à 09:30

Récemment, j’ai rencontré un couple faisant face à un problème hors du commun. En fait, il s’agit du deuxième couple dans les 6 derniers mois que je rencontre avec le même dilemme. Anne, 65 ans, et Paul, 75 ans, sont ensemble depuis deux ans. Cet été, Anne a vendu sa maison pour cohabiter avec Paul.

Ils partagent donc maintenant une maison et ont décidé d’ouvrir un compte bancaire conjoint afin de déposer de l’argent pour partager les frais communs. Il s’agit là de gestes typiques que posent beaucoup de couples amoureux et dont la relation devient plus sérieuse. Tout ceci les amène à réfléchir au fait que s’ils veulent se transmettre certains actifs à leur décès, ils doivent le planifier dans leurs testaments.

Mais voici ce qui pose problème : Paul est toujours marié. Eh oui, Paul et Erica sont mariés depuis 25 ans. Théoriquement, la relation de Paul avec Anne est extra-conjugale. Il faut par contre savoir que cette relation avec Anne a débuté après qu’Erica soit tombée malade et ait été déclarée inapte. Elle est en fait atteinte de la maladie d’Alzheimer depuis 10 ans déjà, et cela fait 5 ans que son diagnostic d’inaptitude est tombé.

Paul m’a expliqué qu’Erica, vivant maintenant dans une résidence où elle reçoit des soins appropriés, ne le reconnait plus. Elle est également en fauteuil roulant et alimentée à l’aide d’un tube. Il lui rend malgré tout visite régulièrement et contribue à ses besoins médicaux et financiers. Il est devenu son aidant.

Il dit avoir fait le deuil de la perte de sa femme. La qualité de vie de celle-ci étant tellement réduite, il a réussi à aller de l’avant sans elle, même si elle est encore « physiquement » présente.

Alors que sa relation avec Anne est forgée par un mélange de culpabilité, d’amour et de tristesse, et qu’elle est plutôt complexe sur les plans émotionnel et personnel, Paul est d’autant plus troublé lorsqu’il pense à son avenir.

Son dilemme : il aimerait mettre son testament à jour afin d’y inclure Anne. Il possède quelques actifs : la maison, son régime de retraite ainsi que l’argent dans son compte. Il aimerait léguer la maison qu’il partage avec Anne à cette dernière. Il ne peut cependant pas le faire aussi simplement. La demeure en question fait partie des biens matrimoniaux qu’Erica et lui partagent. Ils ont donc des droits égaux sur ces biens : il ne peut pas la léguer à sa discrétion, même si la maison est entièrement à son nom.

La situation est difficile à exprimer en mots pour Paul, car il sent qu'il trahit Erica à plusieurs niveaux. Il ne sent pas qu'il est approprié pour lui de divorcer Erica. Il veut tout simplement prendre soin d’elle et fournir une maison pour Anne.

Il s’agit d’une énigme de planification successorale que je n’ai pas vue venir!

Si Erica décède en premier, tout sera laissé à Paul, tel qu’indiqué dans le testament rédigé au moment de leur mariage. Compte tenu de son inaptitude, ce testament ne peut être changé. Toutefois, si Paul décède en premier, son testament laisse également tout à Erica. C’est d’ailleurs ici le dilemme….. il voudrait qu’Anne continue à vivre dans leur maison.

Si Paul décède en premier, le liquidateur peut vendre la maison à Anne et les produits de la vente seront donnés à Erica et serviront à subvenir à ses besoins.

Il s’agit d’une solution simple, mais il ne s’agit pas de celle que Paul envisageait. Il veut qu’Anne puisse bénéficier financièrement du fait qu’il lui lèguerait sa maison.

Ce scénario successoral n’a rien de facile considérant les restrictions sur le legs de biens matrimoniaux à quelqu’un d’autre que son épouse légitime. Ajoutez à cela le dilemme moral, et voilà une situation délicate et légèrement chaotique!

Il y a quelques années, j’ai rencontré une famille dans laquelle il y avait un jeune homme de 28 ans gravement blessé suite à un accident de voiture, suite auquel il a été admis dans un établissement de soins à long terme. Sa femme de 27 ans avait finalement reçu le jugement de mettre fin à son mariage, et avec la bénédiction de la famille du jeune homme, elle a poursuivi sa vie sans lui. Compte tenu de leur jeune âge, ils n’avaient pas accumulés d’importants biens matrimoniaux, il n’y avait donc pas de complications par rapport au tri des actifs.

Mais quand, comme dans le cas de Paul, il y a une maison et des régimes de retraites en jeu, le scénario devient beaucoup plus complexe à adresser et résoudre.

Il s’agit ici d’un cas de planification successorale tellement complexe qu’il me tient réveillée la nuit. Je me rends compte qu’il s’agit sans doute d’un problème plus répandu que je ne l’aurais imaginé… après tout, nous vivons plus longtemps et, souvent, sans la qualité de vie que nous aimerions avoir.

À propos de ce blogue

Des études ont démontré qu’environ la moitié des Canadiens adultes ont un testament valide, ce qui est peu. Alors que certains aimeraient qu’à leur décès, leur conjoint ou leurs enfants héritent de tous leurs biens, d'autres préfèrent ne pas penser à ce genre de détail pour le moment. Peu importe votre situation, la rédaction d'un testament et l'établissement d'un plan visant la distribution de vos biens sont des étapes très importantes. En effet, clarifier le genre d’héritage que vous souhaitez léguer, ainsi que planifier les soins qui devront être prodigués si vous avez des personnes à votre charge, par exemple, représentent des gestes que vous pouvez poser et qui peuvent grandement bénéficier aux gens qui vous sont chers. Carmela vous amènera à réfléchir et analyser votre situation dans le but de vous aider à bien planifier vos affaires. Ce faisant, elle vous offrira un aperçu pratique des éléments dont vous devriez tenir compte ainsi que des questions personnelles que vous devriez aborder dans le cadre de la préparation de votre testament et de la planification de votre succession. L'objectif étant l’atteinte d’une tranquillité d'esprit une fois vos affaires financières en ordre.

Carmela Guerriero