Un Warren Buffett décevant

Publié le 28/04/2014 à 10:11

Un Warren Buffett décevant

Publié le 28/04/2014 à 10:11

BLOGUE. Je n’ai pas écrit cela souvent durant ma carrière, mais cette fois je me dois de le dire publiquement. Dans le dossier de la rémunération des dirigeants de Coca-Cola, Warren Buffett a été décevant.

Le 23 avril, M. Buffett a accordé un entretien au réseau financier américain CNBC. Coïncidence, c’était le même jour que l’assemblée annuelle de Coca-Cola. En direct, l’animatrice lui a mentionné que les actionnaires de la société avaient voté à 83% en faveur du programme controversé de rémunération des hauts-dirigeants. Et elle lui a demandé : «Comment avez-vous voté?» Notons que Berkshire Hathaway possède un peu plus de 9% des actions en circulation de Coke.

L'oracle d'Omaha a répondu qu’il s’était abstenu. Ce qui a provoqué la question évidente. Pourquoi s’abstenir?

M. Buffett a dit s'être abstenu parce qu’il était en désaccord avec le programme de rémunération.

Lorsque Coca-Cola a publié sa circulaire de procuration, détaillant son nouveau programme d’encouragement pour ses dirigeants, le gestionnaire David Winters, de Wintergreen Advisors, l’a publiquement dénoncé, demandant aux gestionnaires institutionnels (dont M. Buffett) de voter contre. Wintergreen possède environ 2,5 millions d’actions de Coca-Cola. Selon M. Winters, ce nouveau programme pourrait provoquer une dilution de 16,6% pour les actionnaires, jumelé avec le programme actuel.

En entrevue à CNBC, Warren Buffett a lui aussi déclaré que le programme de Coca-Cola était excessif. «Il y a déjà un impact de dilution de 8-9% provenant des options déjà en circulation. Avec ce nouveau plan, on parle d’un autre 500 millions d’actions possiblement émises, soit un autre 11% de la société. Et je crois que c’est trop.» M. Buffett en a parlé à son partenaire Charles Munger qui lui aussi a trouvé cela excessif.

Mais pourquoi alors ne pas voter contre?

«J’aime Coke. J’aime la direction. J’aime les administrateurs, alors je ne voulais pas voter contre.» Petit détail en passant, son fils Howard est membre du conseil de Coca-Cola.

M. Buffett ne voulait donc pas exprimer publiquement son désaccord. Il aime son président et trouve qu’il fait un bon travail.

Je comprends le contexte délicat pour le grand investisseur, mais il me semble qu’il y avait là une occasion extraordinaire de lancer un puissant message aux dirigeants de sociétés ouvertes. M. Buffett a passé une grande partie de sa carrière à dénoter et à décrier les excès des participants de Wall Street, en commençant par la rémunération. Il a aussi décrit avec brio à maintes reprises les problèmes structurels des conseils d’administration quand vient le temps d’avoir une régie d’entreprise rationnelle.

Il se retrouve avec un exemple d’excès dans sa cour, chez un de ses principaux placements et il ne fait que s’abstenir!

Imaginer maintenant l’onde de choc si Berkshire avait voté contre…cela aurait été une véritable gifle au visage de la direction et du conseil d’administration. On peut imaginer que les artisans de ce programme auraient rapidement offert quelques compromis pour diminuer l’impact dilutif sur les actionnaires, ne serait-ce que pour sauver la face.

Au monde corporatif, cela aurait envoyé le message: «oups, nous sommes allés trop loin». Aux consultants en rémunération également cela aurait fourni une balise que personne n’aurait voulu franchir, du moins à court terme.

C’est décevant parce que si Warren Buffett n’est pas capable de mettre son pied à terre pour dire «c’est assez», qui le fera?

Personne.

Bernard Mooney

 

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