Le grand risque de l'immobilier canadien

Publié le 05/12/2009 à 00:00

Le grand risque de l'immobilier canadien

Publié le 05/12/2009 à 00:00

Le comportement du marché immobilier canadien laisse croire que le Canada se trouve sur une autre planète.

Alors que les prix des maisons ont chuté de 14 % aux États-Unis depuis leur sommet de 2007, ils ont à peine bougé au Canada. Le prix de revente moyen d'une maison au Canada s'établissait à 341 079 $ en octobre, en hausse de 20,7 % depuis un an, selon l'Association canadienne de l'immeuble.

Certains experts s'appuient sur de telles données pour faire valoir la solidité du marché immobilier canadien. Mais il ne faut pas sauter aux conclusions.

Ainsi, est-ce normal qu'une maison se vende en moyenne 269 200 $ US aux États-Unis (le prix moyen au troisième trimestre) et 341 079 $ CA au Canada (prix moyen en octobre), soit plus de 25 % de plus ?

Il est vrai que le marché américain s'est effondré, ce qui a fait chuter les prix. En ce sens, les prix sont probablement inférieurs à la réalité économique.

L'autre possibilité, c'est que le marché canadien soit surévalué.

Intervention massive du fédéral

Plusieurs l'ignorent, mais le gouvernement fédéral est intervenu massivement depuis l'automne 2008 pour soutenir le marché immobilier, aidant du coup les grandes institutions financières canadiennes.

Le gouvernement est intervenu par l'entremise de la Société canadienne d'hypothèques et de logement (SCHL). Pour comprendre de quelle façon l'État est intervenu, il faut vous expliquer le fonctionnement du marché hypothécaire.

Lorsqu'une banque vous octroie une hypothèque pour que vous puissiez acheter la maison de vos rêves, elle a deux choix. Soit elle conserve l'hypothèque dans ses livres. Dans ce cas, elle agit comme pour tout autre prêt : elle recueille les intérêts et vos remboursements de capital. Si vous cessez de payer, elle subira une perte.

Soit elle regroupe les hypothèques pour les vendre à d'autres institutions financières sous forme de titres hypothécaires. C'est ce qu'on appelle la titrisation. Cette activité est très populaire, puisque plus de 90 % de la croissance du crédit hypothécaire depuis 2007 est fondée sur les titres hypothécaires.

C'est là qu'intervient la SCHL, qui garantit les titres hypothécaires créés par les banques au moyen de leurs hypothèques. Les banques cristallisent ainsi leurs profits et ne s'exposent à aucun risque en cas de défaut de paiement de l'emprunteur.

Autrement dit, c'est la SCHL qui prend les risques. Un coup d'oeil à ses résultats montre d'ailleurs que la SCHL a bien répondu à l'appel du ministre des Finances, Jim Flaherty, l'automne dernier, en augmentant considérablement ses cautionnements pour les titres hypothécaires. Au 31 décembre 2007, la SCHL en avait pour 165,3 milliards de dollars (G$). En 2008, ils ont augmenté de 68,6 G$, pour atteindre 233,9 G$, alors que la SCHL prévoyait qu'ils diminueraient. Cette année, elle prévoit une autre augmentation de plus de 100 G$.

La qualité du crédit diminue

Vous direz peut-être que ce n'est pas nécessairement une mauvaise stratégie. En théorie, vous avez raison. Sauf qu'il ne faut pas oublier que les prêteurs canadiens ont suivi la tendance américaine, et qu'ils ont réduit leurs exigences à l'égard des emprunteurs de façon importante.

À l'achat d'une maison, vous pouvez payer seulement 5 % en argent comptant et contracter une hypothèque que vous amortirez sur 35 ans. En 2007, vous pouviez même ne rien verser au comptant, et amortir votre prêt sur 40 ans ! Résultat : au milieu de 2007, l'apport initial de l'emprunteur hypothécaire s'établissait en moyenne à 6 % de la valeur de la maison, par rapport à 48 % en 2003, selon la SCHL.

Nous avons maintenant toutes les pièces du puzzle. D'une part, la SCHL et le gouvernement fédéral sont intervenus avec force pour soutenir le marché immobilier. Ajoutez à cela la faiblesse des taux d'intérêt et le fait que les consommateurs canadiens sont plus optimistes que les Américains, et vous saurez pourquoi le marché immobilier canadien est plus vigoureux.

Vous pouvez également mieux comprendre la meilleure tenue de nos banques par rapport aux banques américaines et européennes. La majeure partie du portefeuille hypothécaire des banques canadiennes est garantie par le gouvernement. Elles affichent donc peu de pertes.

Les conséquences

Il ne sert à rien de s'inquiéter de la SCHL (voir autre texte). Par contre, il est évident que l'action gouvernementale aura des conséquences importantes.

À court terme, en maintenant artificiellement le marché immobilier, l'État a fait grimper les prix, ce qui réduit l'accès à la propriété (pourtant, une des missions de la SCHL est de faciliter l'accès à la propriété).

Selon un scénario optimiste, la reprise économique créera de l'emploi, de sorte que les gens seront en mesure de rembourser leur hypothèque. Cela permettrait au problème de se résorber de lui-même au fil des ans.

Selon le scénario pessimiste, il n'y aura pas de reprise économique et le marché immobilier s'effondrera. Dans ce cas, il y a fort à parier que la SCHL subira des pertes énormes, et devra demander l'aide du fédéral. D'après ce scénario, il est certain que le prix des maisons chutera radicalement.

Le scénario réaliste se situe entre ces deux extrêmes.

Enfin, il ne faut pas oublier l'importance des taux d'intérêt. Toute remontée sensible et soudaine des taux serait catastrophique pour le marché immobilier. Nombre de personnes veulent s'offrir une maison cossue et optent pour des hypothèques à court terme à bas taux d'intérêt. Mais si elles ont à renouveler leur prêt à un taux beaucoup plus élevé, plusieurs d'entre elles seront forcées de vendre leur maison à bas prix ou de faire faillite.

Une chose est certaine : au mieux, le marché immobilier canadien stagnera pendant plusieurs années.

La Société canadienne d'hypothèques et de logement présente un bilan inquiétant

L'intervention massive du gouvernement fédéral dans le marché immobilier m'a poussé à jeter un coup d'oeil aux états financiers de la Société canadienne d'hypothèques et de logement (SCHL).

Le portrait est sombre; en fait, si la SCHL était inscrite en Bourse, je n'achèterais certainement pas ses actions. Toutefois, il ne faut pas paniquer et conclure à la faillite.

Puisque la SCHL est une agence fédérale, c'est au gouvernement qu'il reviendra de payer pour les pots cassés si elle se trouvait en difficulté. Et les états financiers de la SCHL laissent croire que la facture pourrait être salée.

Au 31 décembre 2009, les cautionnements sur les titres hypothécaires devraient atteindre 372,6 milliards de dollars (G$). Il s'agit du montant des garanties de la SCHL pour ces titres en circulation. C'est plus du double qu'il y a deux ans.

Le premier rôle de la SCHL est d'agir en tant qu'assureur hypothécaire. Au Canada, l'assurance hypothécaire est obligatoire pour tout prêt hypothécaire octroyé par une institution financière soumise à la réglementation fédérale, lorsque l'apport personnel de l'emprunteur est inférieur à 20 %. Cette assurance couvre les pertes du prêteur en cas de défaut de paiement de l'emprunteur.

Au 31 décembre 2008, la SCHL comptait 407 G$ d'assurances hypothécaires en vigueur (l'organisme prévoyait un montant de 315,7 G$). Elle prévoit que les assurances hypothécaires atteindront 440,8 G$ cette année.

Peut-on ajouter les cautionnements aux assurances en vigueur, ce qui donne un poids financier total de plus de 812 G$ (ce montant représente plus de la moitié du produit intérieur brut du Canada ! C'est presque 100 fois l'avoir de la SCHL, qui était de 8,2 G$ à la fin de 2008), comme on peut le lire sur certains blogues financiers ?

Je ne le crois pas, parce que ce faisant, on compte deux fois les hypothèques assurées qui font partie des titres hypothécaires.

Il n'en reste pas moins que ces chiffres font réfléchir.

Produits dérivés et PCAA

La SCHL possède aussi pour 4,7 G$ de produits dérivés, en hausse de 4 G$ depuis un an. Vous me direz que c'est un détail, pour une société dont l'actif total s'élève à 203 G$. Cependant, cela représente plus de 50 % de l'avoir des actionnaires.

Quant au passif, la SCHL affiche 147,7 G$ d'obligations hypothécaires. Elle en a émis pour 42,2 G$ l'an dernier, en plus d'avoir emprunté 27,8 G$ du gouvernement du Canada. La Société prévoit emprunter 126,4 G$ de plus au fédéral cette année.

Ses obligations hypothécaires représentent 18 fois l'avoir des actionnaires.

Une parenthèse en terminant : le papier commercial adossé à des actifs non bancaires (le fameux PCAA) offre un bon exemple des excès qui ont parfois cours dans le monde de la titrisation. La SCHL a acheté du PCAA à un coût initial de 239 millions de dollars (M$); la valeur comptable de ce placement avait glissé à 165 M$ au 31 décembre 2008. Cette année-là, la SCHL avait radié 59 M$ dans la valeur comptable de son PCAA. Cela est loin de me rassurer.

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