Voiture autonome: pourquoi le virage promis dérape

Publié le 07/02/2018 à 11:00

Voiture autonome: pourquoi le virage promis dérape

Publié le 07/02/2018 à 11:00

Un exemplaire du véhicule autonome d'Uber. (Photo: Uber)

L'industrie automobile ne connait aucun répit. Avec les expositions automobiles canadiennes, nord-américaines et européennes qui ont lieu entre le mois de janvier et de mars, c'est souvent l'occasion de prendre le pouls de l'innovation dans ce créneau. Vous l'aurez deviné, les deux grosses tendances «émergentes» ces jours-ci sont l'électrification et la conduite autonome.

C'est important de préciser qu'on parle des tendances émergentes, car ces deux technologies promettant de résoudre une bonne fois pour toutes les deux plus gros défauts du transport automobile (la pollution de l'air et les accidents mortels) sont dans l'ombre de deux autres courants qui, eux, sont beaucoup plus terre à terre: les camions ont toujours autant la cote, et malgré tout ce qu'on dira, ça se traduit par un parc automobile qui consomme de plus en plus de carburant. Au Québec comme ailleurs sur le continent.

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Les porte-parole de l'industrie expliquent cette contradiction apparente simplement. D'une part, c'est la faute des consommateurs, qui achètent des camionnettes plutôt que les petites citadines électriques qui leur sont aussi offertes. De l'autre, c'est la faute des gouvernements si les technologies de demain n'arrivent pas à mettre la roue sur l'asphalte aujourd'hui.

En promettant des véhicules sans volant aussi tôt que l'an prochain, les fabricants ont relâché une pression qui leur demandait de faire mieux, côté responsabilité sociale. Mais ce bout de corde ainsi dégagé peut aussi s'avérer un nœud coulant qui les prendra à la gorge quand, en 2021, ces véhicules échoueront à remplir toutes leurs promesses.

À qui la faute?

Les seuls systèmes de conduite assistée actuellement en marché sont pour le moment extrêmement limités. Leur capacité à juger l'état des routes est imparfait, et il est obligatoire d'avoir les mains sur le volant, au moins une fois toutes les minutes.

Heureusement, car cette obligation de tenir le volant sauve des vies. Le système de conduite assistée de Volvo, par exemple, vous alertera d'un bip bien sonore si vos mains ne sont pas là où elles devraient être, mais ne signale pas quand le système lui-même se désactive, quand les caméras perdent la route de vue. En plein virage, sur une autoroute où on circule à 110 km/h, ce n'est pas exactement l'idéal.

Si c'est le moment que choisit le conducteur pour récupérer son gobelet de café en vue d'en prendre une longue gorgée, le résultat pourrait être catastrophique.

Mais comme le système sera désactivé, statistiquement, à qui attribuerait-on l'éventuel accident? À la voiture autonome ou à l'automobiliste étourdi? On voit mal comment l'industrie automobile pourra revenir en arrière et jeter le blâme sur une technologie qui est déjà présentée comme parfaite, ou presque.

Les assureurs chercheront sans doute à identifier le facteur humain pour se dégager de la responsabilité financière liée à un tel accident.

Bref, on dira encore que le principal facteur de risque dans la voiture est celui qui s'asseoit derrière le volant : l'humain.

La voiture autonome, un enjeu (en partie) canadien

Il y a plusieurs facteurs importants pour que le Canada prenne position dans le dossier de la voiture autonome. D'abord, Waymo, la filiale d'Alphabet (l'ex-Google) créée autour du Google Car, met en ce moment des centaines de véhicules autonomes sur les routes de quelques grands centres urbains des États-Unis.

D'ici quelques mois, on en verra des dizaines de milliers, promet Waymo. Et ces véhicules, ce seront des fourgonnettes Pacifica hybrides, assemblées par Fiat-Chrysler Automobile (FCA) à Windsor, en Ontario.

En d'autres mots, un des premiers véhicules autonomes sur la planète sera de fabrication canadienne. Pas totalement, évidemment : la magie de Waymo opère à partir de la Californie. Mais on peut dire que Waymo a déjà un pied au Canada.

Ensuite, un des principaux fournisseurs de pièces dans le monde, Magna International, est situé à Aurora, en Ontario. Lui aussi a conçu sa propre plateforme de véhicule autonome. On soupçonne que la lutte sera serrée entre Magna, Continental, Delphi (qui a créé sa propre filiale pour mettre au point une voiture autonome bien à elle) et Bosch afin d'équiper rapidement et à faible coût les véhicules des grands constructeurs de leur propre système.

S'ajoutent à ces véhicules les éventuels camions et navettes autonomes, qui touchent indirectement le grand public. Elles devraient elles aussi avoir un effet majeur sur le transport routier, et donc, sur les infrastructures provinciales et nationales.

Bref, l'incitatif pour que le Canada se positionne en tête de ce développement est majeur.

Au Sénat de réfléchir

Pour que le gouvernement agisse, ça prend des données précises. À propos de l'effet sur la sécurité des systèmes autonomes, Transport Canada a ceci à dire : «Il est difficile pour l'instant de formuler des conclusions définitives sur la sécurité. Certains de ces systèmes, particulièrement les systèmes de freinage automatique d'urgence, peuvent améliorer la sécurité.»

Le ministère attend les recommandations d'un comité sénatorial sur les transports et les communications qui se penche actuellement sur la question. Le ministre des Transports Marc Garneau a hâte que ça débloque. L'industrie aussi.

Un haut dirigeant de passage à Montréal la semaine dernière m'assurait que la technologie qui répond à toutes les questions qu'on pourrait avoir à ce sujet existe déjà, et qu'il suffirait de la mettre à l'essai ailleurs que sur des circuits fermés pour qu'elle soit finalisée avant 2021.

Il faudra aussi que les fournisseurs de services sans fil mettent leurs réseaux à niveau. Les autos autonomes seront connectées en permanence, préférablement aux réseaux sans fil de prochaine génération, la fameuse technologie 5G.

Celle-ci sera déployée graduellement aux États-Unis et au Canada au cours des deux prochaines années. On a bien hâte de voir s'il s'agira de vrais réseaux 5G, où si les fournisseurs ne feront que maquiller des réseaux LTE afin de gagner du temps. La même chose s'est produite quand les premiers réseaux 4G ont vu le jour : il s'agissait d'une version améliorée des technologies de troisième génération (3G), en attendant que les réseaux LTE soient finalisés.

Si l'industrie du sans-fil est capable de tricher de la sorte, on imagine mal pourquoi l'industrie automobile ne ferait pas de même avec la voiture autonome. Moins de trois ans pour mettre en place l'infrastructure nécessaire à leur commercialisation (incluant, dans certains cas, des services mobiles à la Uber pour en partager l'utilisation avec d'autres utilisateurs), ça semble serré. 

Si le fédéral veut dicter le ton à l'industrie, peut-être devrait-il proposer une échéance plus raisonnable que 2019, ou 2020, ou même 2021, pour éviter de précipiter les choses.

Sinon, il faudra probablement arrêter de boire du café au volant de sa voiture, aussi autonome soit-elle…

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À propos de ce blogue

Autrefois, on appelait ça de l'électronique mais de nos jours, les nouvelles technologies vont bien au-delà des transistors et des circuits imprimés. Des transactions bancaires à l'écoute en rafale d'émissions de télé les plus populaires, la technologie est omniprésente. Et elle comporte son lot de questionnements. Journaliste spécialiste des technologies depuis bien avant l'avénement du premier téléphone intelligent, Alain McKenna a observé cette évolution sous tous ses angles et livre ici ses impressions sur le sujet.

Alain McKenna
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