Taxer Netflix n'est pas une bonne idée en cette ère de guerre commerciale

Publié le 20/08/2018 à 14:16

Taxer Netflix n'est pas une bonne idée en cette ère de guerre commerciale

Publié le 20/08/2018 à 14:16

Le 1er janvier prochain, si le Parti libéral du Québec (PLQ) est réélu, à tout le moins, Revenu Québec commencera à percevoir la TVQ sur la mensualité que les abonnés québécois paient pour accéder à Netflix. Ce sera basé sur l’adresse civique indiquée au dossier de l’abonné, chose en soi difficilement vérifiable, mais il a déjà été prédit que Québec pourrait imposer une amende pouvant atteindre 100$ à tout internaute falsifiant ses informations d’abonnement, et recourant à un serveur anonyme ou un réseau privé de type VPN, notamment, ce qui permettrait d’éviter de payer ladite taxe.

C’est pas beau, la neutralité d’Internet?

À Ottawa, la «taxe Netflix» pourrait devenir un enjeu à partir du même moment, puisqu’une élection se profile aussi à l’horizon de ce côté, l’an prochain. Les chances qu’Ottawa suive les traces de Québec dans ce dossier demeurent plus que minces, par contre.

La raison est assez simple, mais est mise en exergue par le contexte géo-politico-économique du jour : Netflix n’a pas de raison sociale au Canada. Pas de Société Netflix du Canada inc. au Registraire des entreprises, contrairement à Tesla, Apple, ou d’autres encore.

Donc, le gouvernement n’a aucun levier législatif sur l’entreprise américaine. Tout ce que Québec a, c’est une entente de gré à gré avec sa direction pour récolter une taxe qui, de toute façon, ne sortira pas des poches de Netflix puisqu’elle sera perçue auprès de ses clients québécois.

Jouer avec le feu

En d’autres mots, aucune création de valeur ou de richesse pour le Québec, ici. Mais peut-être qu’on joue avec le feu, car cette situation où une société étrangère fait des affaires au Canada, via un modèle économique dématérialisé, n’est pas unique à Netflix. Elle n’est pas à sens unique tout court non plus : de nombreuses sociétés canadiennes font des ventes et ont des clients aux États-Unis mais n’imposent pas de taxe locale sur leurs produits ou services.

Rencontré récemment à l’occasion d’une apparition à la radio pour parler du rôle de l’Agence du revenu du Canada face aux ventes en ligne de biens usagés sur des sites comme eBay, Sylvain Patry, vice-président principal aux ventes pour l’hébergeur canadien HostPapa, s’inquiétait justement que quelqu’un, dans le gouvernement américain, prenne connaissance du dossier et ne le retourne à l’avantage de l’administration Trump.

Inutile de dire que celle-ci a déjà démontré sa capacité à taxer arbitrairement des produits et des services étrangers afin de protéger son propre marché. On peut imaginer la réaction épidermique de Donald Trump si on lui souffle à l’oreille qu’une province canadienne ose taxer une société établie aux États-Unis...

Où va l’argent du numérique?

Qu’on soit pour ou contre la «taxe Netflix», il faut se rendre à l’évidence : un gouvernement ne peut négocier au cas par cas pour tous les services web hébergés à l’étranger et qui entrent sur son territoire. Ça prend une vue d’ensemble, et une politique d’ensemble.

Ça fait 20 ans qu’à chaque campagne électorale, les politiciens promettent du changement. Ça fait 20 ans qu’on promet un virage numérique. Ça fait 20 ans que les technologies sont complètement évacuées des questions chaudes des campagnes provinciales.

La santé, la famille, l’emploi ont systématiquement le haut du pavé.

Mais peut-être que débattre sur une vision du numérique et du rôle du gouvernement dans ce contexte serait l’occasion de régler plusieurs enjeux d’un seul et même coup : vie privée, santé connectée, et, oui, évasion et évitement fiscal.

Car il y a effectivement déséquilibre dans les revenus et les dépenses des entreprises du numérique, même d’un point de vue strictement national. Certains empochent toujours plus, d’autres voient leurs recettes fondre au soleil : les fournisseurs d’accès ont le beau jeu, puisque ce sont eux qui collectent une mensualité qui demeure, au Canada, parmi les plus élevées dans le monde. Les producteurs de contenu, incluant ceux qui souhaiteraient bien rivaliser avec les Netflix de ce monde, sont bien plus mal en point, mais sans eux, votre Internet serait bien triste...

Rétablir un certain équilibre dans cette dualité aiderait sans doute à revitaliser le numérique québécois et canadien. Peut-être, alors, que les internautes troqueraient leur abonnement à Netflix ou Amazon pour un abonnement à un service local.

Et alors, on commencerait réellement à gagner cette guerre numérique commerciale. Car en attendant, on risque seulement de se brûler.

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À propos de ce blogue

Autrefois, on appelait ça de l'électronique mais de nos jours, les nouvelles technologies vont bien au-delà des transistors et des circuits imprimés. Des transactions bancaires à l'écoute en rafale d'émissions de télé les plus populaires, la technologie est omniprésente. Et elle comporte son lot de questionnements. Journaliste spécialiste des technologies depuis bien avant l'avénement du premier téléphone intelligent, Alain McKenna a observé cette évolution sous tous ses angles et livre ici ses impressions sur le sujet.

Alain McKenna
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