Scale.AI : favoritisme d'État ou refonte du modèle économique canadien?

Publié le 21/02/2018 à 14:12

Scale.AI : favoritisme d'État ou refonte du modèle économique canadien?

Publié le 21/02/2018 à 14:12

Louis Roy, PDG du Groupe Optel: «On veut aider un agriculteur de Québec à mieux vendre sa laitue chez nous, aux États-Unis ou en Europe.» (Photo: Optel)

En donnant 250M$ à 118 entreprises dans un cadre flou, Ottawa soulève plus de questions que de réponses. En voici tout de même quelques-unes.

La réaction au Canada anglais après l'annonce par le ministre de l'Innovation, Sciences et Développement économique Navdeep Bains, de la création d'une supergrappe sur les chaînes d'approvisionnement intelligentes avec, à la clé, une enveloppe pouvant atteindre 250 millions de dollars, ne s'est pas fait attendre : c'est du favoritisme d'État.

«Superclusters is just another name for more corporate welfare», titrait le Globe and Mail, hier, à propos de ces grappes réparties à la grandeur du pays qui se partageront 950M$ en fonds publics.

C'est sauter un peu vite aux conclusions, assure Louis Roy, PDG d'Optel, le spécialiste québécois des chaînes d'approvisionnement optimisées derrière Scale.AI, la supergrappe montréalaise dont l'adresse web est plutôt aisupplychain.ca. "On a su jeudi seulement que notre projet était accepté. Jusque-là, tout ce qu'on a fait était à titre de bénévoles, on n'a pas eu le temps de régler nos communications encore", fait-il valoir, d'entrée de jeu.

L'IA canadienne à l'assaut de la planète

Le défi pour les gens d'Optel, CGI, Coveo et IVADO, quatre des principaux partenaires dans ce projet (dont le nom complet est Supply Chains and Logistics Excellence.AI) était d'attirer l'attention du gouvernement, mais parler au grand public dans des termes un peu plus simples ne nuira pas non plus.

«Nous cherchons à développer de nouvelles méthodes d'approvisionnement pour les entreprises», explique M. Roy, qui agit à titre de coprésident de Scale.AI. «Il s'agit d'optimiser toute forme d'échanges entre une entreprise et une autre. C'est la base même de notre économie. Les solutions qu'on espère développer vont faciliter les échanges commerciaux entre les entreprises de toutes tailles, partout dans le monde. Ça pourra aider un agriculteur de Québec à mieux vendre sa laitue, chez nous, aux États-Unis ou en Europe.»

En d'autres mots, en utilisant des technologies d'IA développées dans les labos de R-D spécialisées en intelligence artificielle d'à peu près toutes les universités du pays (HEC, Polytechnique, McGill, Laval, Toronto, Alberta… et même Stanford, en Californie), les entreprises d'ici seront mieux préparées pour débarquer dans les nouveaux marchés que le Canada a ouverts ces derniers mois, via des traités de libre-échange qui, contrairement à l'ALÉNA, ne semblent pas remis en question.

«Notre rôle sera de résoudre des problèmes d'affaires réels en utilisant des outils d'intelligence artificielle créés par les spécialistes. Il y a aussi une vision durable dans ce projet : c'est en optimisant toute la chaîne industrielle qu'on peut réellement créer une économie circulaire positive pour l'environnement et la société.»

Offre d'emploi : PDG de supergrappe

«Il y a déjà pour 700 millions $ en projets potentiels qu'un comité que nous formerons prochainement étudiera, avant de les soumettre au gouvernement», ajoute l'entrepreneur québécois. Ce comité sera formé de 19 personnes des secteurs public et privé, incluant des chercheurs universitaires, ainsi que l'éventuel PDG de Scale.AI.

Gens d'affaires en transition de carrière, mettez votre CV à jour : ce poste de PDG est présentement vacant. Parmi 16000 autres emplois promis par Navdeep Bains dans les années à venir...

De cette somme, le fédéral pourrait couvrir jusqu'à 250 millions $, mais rien ne dit que les entreprises partenaires dans Scale.AI ne vont pas investir à leur tour, ce qui fera monter la valeur totale de cette grappe. Cette dynamique aura besoin d'être prouvée. Elle devra être un tant soit peu transparente, aussi, si la grappe souhaite convaincre les critiques de son bien-fondé.

Au-delà de la gouvernance, le coprésident de la grappe promet que ça aura un effet bénéfique sur l'économique québécoise, notamment le secteur technologique. «Ce sera bon pour l'emploi et les entreprises. Mais ça va prendre de l'innovation», dit-il. C'est peut-être une forme de solution à la fameuse pénurie de main-d'œuvre qu'on anticipe ces jours-ci dans la province. On constate de plus en plus que cette pénurie touche d'abord les emplois de pointe, où l'expertise se fait rare. Scale.AI souhaite développer cette expertise au sein des entreprises impliquées dans le développement de ses technologies d'approvisionnement.

Main-d'œuvre qualifiée, commercialisation de la recherche universitaire, aide à l'exportation… Voilà des domaines où le Canada toujours eu de la misère à tirer son épingle du jeu. En s'annonçant comme une solution à ces trois problèmes d'un seul coup, et en misant sur une technologie qui est sur toutes les lèvres ces jours-ci, il n'est pas étonnant que Scale.AI ait séduit Ottawa.

Ses dirigeants ont appris il y a une semaine à peine qu'ils ont hérité de plusieurs dizaines de millions en fonds publics pour remplir cette promesse. C'est un peu court pour fournir toutes les réponses. Mais déjà, Scale.AI place les attentes à un haut niveau.

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À propos de ce blogue

Autrefois, on appelait ça de l'électronique mais de nos jours, les nouvelles technologies vont bien au-delà des transistors et des circuits imprimés. Des transactions bancaires à l'écoute en rafale d'émissions de télé les plus populaires, la technologie est omniprésente. Et elle comporte son lot de questionnements. Journaliste spécialiste des technologies depuis bien avant l'avénement du premier téléphone intelligent, Alain McKenna a observé cette évolution sous tous ses angles et livre ici ses impressions sur le sujet.

Alain McKenna
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