Les fournisseurs de sans-fil canadiens ne pratiquent pas l'extorsion, mais...

Publié le 02/06/2017 à 15:28

Les fournisseurs de sans-fil canadiens ne pratiquent pas l'extorsion, mais...

Publié le 02/06/2017 à 15:28

Si le représentant de votre futur et nouveau fournisseur sans fil vous dit que votre téléphone est verrouillé, peut-être qu’il vous ment. Et c’est probablement tant mieux.

Car si c’est le cas, cela signifie que votre sans-fil n’est pas verrouillé, et que vous pouvez donc y insérer la carte SIM de votre choix. Cette diminutive carte imprimée, qu’on appelait autrefois une puce (d’où, selon la petite histoire, le nom de l’opérateur Fido Mobile, premier à offrir cette technologie au Canada en 1996... en y allant d'un jeu de mots avec chien et puces!), permet à votre combiné de s’enregistrer auprès du bon réseau sans fil.

Quand on achète un appareil directement de Bell, Fido, Rogers, Telus, Vidéotron et les autres, l’appareil est généralement verrouillé. C’est-à-dire qu’on a modifié le logiciel de l’appareil afin qu’il rejette toute carte SIM qui n’est pas aux couleurs du fournisseur. Si on l'achète directement du fabricant, règle générale, il est vendu déverrouillé, donc il fonctionnera avec n'importe quelle carte SIM (de la bonne dimension, puisqu'elle existe en trois formats...).

Ces dernières années, les fournisseurs ont offert de déverrouiller les téléphones de leurs clients désirant quitter leur giron, contre un prix unique variant de 50 à 100 $. Une opération présentée comme un service au consommateur canadien, presque une faveur.

Le scoop qui n’en était pas un

Un ex-collègue journaliste m’a téléphoné, plus tôt ce printemps, avec une information qui, si elle s’avère, s’annonçait comme explosive: en insérant une carte SIM d’un fournisseur national (Bell, Rogers ou Telus) dans un iPhone 7 déverrouillé acheté directement d’Apple, il était possible de voir son téléphone soudainement verrouillé. Et donc, de voir ainsi un des avantages de payer son téléphone au plein prix, rubis sur l’ongle, bafoué par son fournisseur.

C’est ce que lui assuraient les représentants de fournisseurs concurrents, dont Vidéotron, qui l’invitaient à visiter une boutique de son fournisseur actuel afin de faire déverrouiller l’appareil. Lassé par toutes ces démarches, et probablement pour quelques autres raisons plus rationnelles, il est finalement demeuré client chez ce même fournisseur.

Entre journalistes, c’est là ce qu’on appelle un méchant scoop. Les fournisseurs canadiens de sans-fil sont-ils à ce point arrogants qu’ils seraient prêts à procéder à une telle pratique?

On a donc enquêté, chez Vidéotron, d’abord, puisque c’était la source de tout cet imbroglio. À un duo de représentants comparant la taille de leur mémoire vive, j’ai posé une question simple: «J’ai un iPhone acheté chez Apple. On me dit que mon fournisseur aurait pu le verrouiller sans mon consentement. Est-ce possible?»

La vraie réponse? Ça ne devrait pas être possible. Mais il semble que ce le soit. Car apparemment, les Galaxy S7 et les nouveaux et rutilants Galaxy S8 de Samsung achetés chez le fabricant, se verrouillent à l'activation d'une première carte SIM dans leur fente conçue à cet effet. Dans certains cas aussi, il semble qu'un iPhone déverrouillé soit verrouillé au moment de l'activation. La seule bonne nouvelle est mince: le service technique de certains fournisseurs déverrouillera gratuitement l'appareil si vous appelez et leur en faites la demande.

C'est pourquoi la réponse des représentants, en boutique, demeure évasive: «Euh… Vous feriez mieux d’aller voir votre fournisseur. En principe, sur Android, ça prend un code pour déverrouiller un appareil. Pour un iPhone, il faut appeler Apple.» Au comptoir du fournisseur en question, quelques mètres plus loin, un autre représentant s’est excusé, expliquant qu’il n’a ni les outils pour vérifier si l’appareil est verrouillé, ni les outils pour le déverrouiller, le cas échéant.

Autrement dit, le problème ici n’est pas seulement une pratique douteuse de la part des fournisseurs de sans-fil. Un téléphone acheté déverrouillé devrait le demeurer éternellement.

L'autre problème, c’est la confusion des vendeurs, qui ne semblent pas pouvoir expliquer la situation à un client potentiel familier avec le jargon technique (moi). On peut imaginer l’effet que ça peut avoir sur un client plus normal, qui se fout de savoir ce que SIM, LTE et autres GSM signifient, pour autant que ça marche.

Ce client hypothétique là, lui, il doit par moment se faire «enfirouaper» pas à peu près!

La moindre des choses serait donc que les fournisseurs offrent à leurs représentants les outils nécessaires pour bien expliquer leurs produits et services, de manière à ce que le consommateur puisse faire un choix éclairé. Et, éventuellement, s'en défaire de la bonne façon.

Sinon, tout le monde est perdant: le client qui paie trop cher, probablement à son insu, et le fournisseur qui se bâtit ainsi une réputation pas trop reluisante…

Un peu de transparence ne nuirait pas.

Vers la fin des téléphones verrouillés au Canada?

Parlant de transparence, l’hiver dernier, Freedom Mobile, un fournisseur indépendant établi à Toronto qui compte des abonnés en Ontario, en Alberta et en Colombie-Britannique, s’est présenté devant le CRTC et a demandé qu’on abolisse, purement et simplement, les frais de déverrouillage. Mieux: qu’on en vienne à vendre des téléphones déverrouillés d’office, comme le font déjà certains fabricants comme Apple, BlackBerry, Lenovo (Motorola) et Samsung.

Ce n’est pas une mince affaire: au total, les grands fournisseurs canadiens de sans-fil ont engrangé 37 millions de dollars, en 2016, grâce aux seuls frais de déverrouillage. Cette pratique est une industrie à elle seule! En comptabilisant les revenus additionnels générés par l’installation d’inflagiciels («bloatware»), ces applications superflues qu’on trouve sur l’appareil dès sa sortie de la boîte, les fournisseurs empochent plusieurs dizaines de millions de dollars en imposant des produits et services à des clients qui n'en veulent pas.

Les inflagiciels sont faciles à repérer sur l’écran d’accueil des mobiles, mais cette pratique commerciale est difficile à chiffrer, au Canada. Demandez à un fournisseur à qui profitent les inflagiciels et il vous dira que c’est au fabricant. Demandez à un fabricant, et il vous assurera le contraire.

Bref, le CRTC doit rendre une décision finale sur la question du verrouillage des téléphones sans fil vendus au Canada. Vu comment ses dernières décisions allaient largement à l’encontre de l’industrie des télécommunications, privilégiant les consommateurs ou les plus petits joueurs, on peut imaginer que la fin des téléphones verrouillés est proche. S'il peut ajouter un paragraphe ou deux sur les inflagiciels, ce ne serait pas de trop.

Si ça peut éclaircir la zone d’ombre qui semble embêter les vendeurs d’appareils et de services mobiles autant que leurs clients, ce sera toujours ça de pris.

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À propos de ce blogue

Autrefois, on appelait ça de l'électronique mais de nos jours, les nouvelles technologies vont bien au-delà des transistors et des circuits imprimés. Des transactions bancaires à l'écoute en rafale d'émissions de télé les plus populaires, la technologie est omniprésente. Et elle comporte son lot de questionnements. Journaliste spécialiste des technologies depuis bien avant l'avénement du premier téléphone intelligent, Alain McKenna a observé cette évolution sous tous ses angles et livre ici ses impressions sur le sujet.

Alain McKenna
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