Le Québec ne doit pas «répéter l'erreur du jeu vidéo» avec l'intelligence artificielle

Publié le 08/09/2017 à 11:30

Le Québec ne doit pas «répéter l'erreur du jeu vidéo» avec l'intelligence artificielle

Publié le 08/09/2017 à 11:30

Une autre ouverture de studio, une autre généreuse subvention provinciale à une multinationale étrangère. Pendant ce temps, aucun investisseur autre que le gouvernement et les grands studios ne semble intéressé à faire grandir cette industrie.

Ces dernières semaines, je n’ai pas pu m’empêcher de poser à la question à différents investisseurs en tout genre (des capital-risqueurs aux gros joueurs institutionnels) : qu’est-ce qui distingue l’engouement entourant le secteur de l’intelligence artificielle (IA) à Montréal, ces jours-ci, de celui entourant le jeu vidéo il y a 20 ans?

La réponse est unanime : l’IA est un secteur promis à un bel avenir, long et durable, qui va non seulement créer des emplois, mais aussi des entreprises. De grosses entreprises : un important gestionnaire de fonds montréalais a parlé de «suffisamment d’entreprises d’une valeur de 100M$ ou plus, d’ici 5 ans, pour qu’on ne puisse toutes les nommer en une seule phrase».

À l’opposé, le jeu vidéo est une industrie dopée aux imposants crédits d’impôt provinciaux, sans lesquels les géants français, américains et autres ne seraient pas ici. C’est un secteur plus mature, évidemment, mais même au sommet de l’effervescence du multimédia, on investissait timidement, dans de petites opérations indépendantes.

Et pourtant, à regarder évoluer la valeur boursière d’Ubisoft, EA et des autres grands studios depuis 5 ans, on voit bien que le rendement devrait au moins les faire réfléchir.

Ubi

Aujourd’hui, au-delà du chamaillage entourant la rareté des travailleurs d’expérience dans le secteur du multimédia, l’industrie québécoise du jeu vidéo est dépendante de facteurs externes incertains. Qui dit que Vivendi ne prendra pas possession d’Ubisoft, concentrant la production en France, comme ça a été proposé à quelques reprises? Que le Texas ne votera pas une aide aux entreprises surpassant celle du Québec, incitant EA et Square Enix à y déménager?

Et soudain, la nouvelle des projets d’expansion d’Ubisoft à Saguenay, Québec, et ailleurs dans la province est tombée, plus tôt cette semaine. N’ayant aucune autre forme de bonne nouvelle à annoncer aux gens d’affaires québécois que la création d’emplois, Yves Guillemot est venu faire une visite-éclair pour parler des 1000 postes qui s’ouvriront, sur dix ans, en conséquence de cet investissement qui, à la fin, devrait totaliser 780 millions $ pour son entreprise.

Le salaire de ces 1000 emplois est couvert à hauteur de 37,5% par Québec. Et quand on fait le total de l’aide fournie par Québec et Ottawa à Ubisoft depuis le début, un exercice répété par Les Affaires et La Presse ces derniers mois, on arrive à un seul constat : la somme dépasse les profits totaux engrangés par la multinationale française sur la même période. 

Google et Ubisoft, même combat?

L’intelligence artificielle aussi attire les grosses sociétés étrangères à Montréal. Et ce n’est pas fini. Quelqu’un de bien placé me disait la semaine dernière «qu’absolument toutes les entreprises directement impliquées dans l’IA souhaitaient s’établir ici». Au-delà de Google et Microsoft, ça laisse Facebook, Amazon, et quelques autres noms de ce genre…

Cet intérêt n’est définitivement pas pour les mêmes raisons que pour le multimédia. Et ce serait bien si ça pouvait rester comme ça, espère Jacques Bernier, qui dirige le fonds Teralys Capital, le plus important en son genre au Canada.

«Le jeu vidéo n’a jamais été un facteur d’attraction pour l’investissement direct à Montréal, et aujourd’hui, produire un nouveau jeu, ça coûte trop cher», dit-il. «La transition de l’image qu’a Montréal à l’extérieur du Québec vers une ville axée sur l’intelligence artificielle va certainement être positive pour attirer cet investissement, à condition de ne pas refaire l’erreur du jeu vidéo dans ce secteur.»

Cette erreur en est une en demi-teinte : au tournant des années 2000, Québec a décidé d’investir dans le talent de la main-d’œuvre locale, ce qui est louable en soi. Mais on s’est fait prendre en souricière par la suite, et plutôt que de se traduire en création d’entreprises, ce programme est devenu un boulet que nombre d’entrepreneurs d’ici pointent du doigt comme nuisant à leur propre croissance.

«On n’a pas créé de richesse. Pour y arriver, il faudra plutôt miser sur un écosystème entrepreneurial fort en soutenant les entreprises d’ici», ajoute M. Bernier.

C’est d’autant plus crucial que l’IA se développe aux quatre coins du monde, faisant fi des frontières et de la géographie. À preuve : Vancouver et Seattle sont en train de créer un long couloir industriel axé sur la technologie, sans trop tenir compte des limites territoriales. Toronto a toujours plus d’argent à investir que les autres villes canadiennes. Et New York est en train de se positionner comme une locomotive dans ce créneau.

Dans ce contexte, on pourrait essayer d’attirer les entreprises en les aidant à payer leurs employés, mais ce serait en vain. La clé du succès en IA sera l’inverse : aider les projets d’ici à trouver les bonnes relations d’affaires et le talent dans ces autres villes où l’intelligence artificielle est également en émergence.

Et peut-être qu’ainsi, dans quelques années, ce seront ces mêmes villes qui bâtiront des programmes d’aide financière sur mesure pour attirer des entreprises québécoises à ouvrir de nouveaux studios chez elles…

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À propos de ce blogue

Autrefois, on appelait ça de l'électronique mais de nos jours, les nouvelles technologies vont bien au-delà des transistors et des circuits imprimés. Des transactions bancaires à l'écoute en rafale d'émissions de télé les plus populaires, la technologie est omniprésente. Et elle comporte son lot de questionnements. Journaliste spécialiste des technologies depuis bien avant l'avénement du premier téléphone intelligent, Alain McKenna a observé cette évolution sous tous ses angles et livre ici ses impressions sur le sujet.

Alain McKenna
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