Ce que le Québec gagnerait à nationaliser Internet

Publié le 19/09/2016 à 07:31

Ce que le Québec gagnerait à nationaliser Internet

Publié le 19/09/2016 à 07:31

René Lévesque, en 2016, aurait-il nationalisé Internet? «Oui», répond Martine Ouellet. (Photo: 123rf)

Nationaliser Internet? Le terme n'est pas sans faire sourciller. Après tout, on est en 2016, pas en 1966. Mais le réseau informatique a aujourd'hui un impact sur la société qui se compare à l'électrification, à une autre époque: il crée des inégalités entre ceux qui ont accès à la haute vitesse, et ceux qui ne l'ont tout simplement pas.

Évidemment, «nationaliser Internet» est un raccourci langagier permettant de faire le point sur l'accès au réseau, partout au Québec. De son coût et de sa disponibilité, très inégaux d'un endroit à l'autre de la province.

Oui, même en 2016. On en parle dans l'édition de cette semaine du journal Les Affaires. Un extrait: «À quelques mètres trop loin du village, on est privé d'une connexion à Internet fiable, constante et, en un mot, à haute vitesse. «Même le téléphone griche tout le temps.» Il existe aussi une disparité dans le coût de la bande passante, d'une région à l'autre, mais dans l'ensemble, ça coûte cher. Le Canada est le deuxième pays de l'OCDE où l'accès à internet, avec ou sans fil, coûte le plus cher (sans fil, c'est LE pays le plus cher).

Bref, comment réduire le prix d'un mégabit/seconde, l'unité de référence pour la bande passante? Ou l'uniformiser à l'ensemble de la province? C'est un enjeu national: en 2016, une entreprise qui n'est pas branchée, c'est un commerçant qui est pénalisé et qui peine à rejoindre ses clients: les grandes chaînes commerciales et le reste de l'industrie du détail, d'une part, les consommateurs qui veulent acheter directement du producteur, d'autre part. C'est la même chose pour les entreprises de nombreux secteurs désirant élargir leur clientèle à l'ensemble d'une région et de l'internet.

Les seuils souhaités par Industrie Canada ne font pas l'affaire. Au Québec, la Stratégie numérique promet de relever la barre, d'ici 2020, et il est question de créer un grand tableau de bord, très détaillé et accessible à tous, de l'état du réseau, région par région. Mais est-ce suffisant?

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Nationaliser Internet?

Il y a quelques semaines, exaspérée de les prix variables et une piètre qualité du service internet dans plusieurs régions de la province, Martine Ouellet, candidate à la chefferie du Parti Québécois, a suggéré, à tout le moins, de brandir le spectre de la nationalisation d'Internet pour faire bouger les fournisseurs de services Internet (FSI) de la province. Advenant sa nomination à la tête du PQ, puis son élection à la tête du gouvernement, elle songe à impliquer Hydro-Québec dans cet éventuel projet. «La nationalisation n'est peut-être plus un terme à la mode, mais Hydro-Québec, ça demeure le plus bel outil d'enrichissement du Québec», explique-t-elle.

Au début des années 2000, on l'imaginait déjà simplement: on utiliserait le réseau de distribution d'Hydro-Québec afin de déployer une infrastructure partout sur le territoire québécois. Fibre optique ou câble coaxial, peu importe. L'important est de brancher toutes les adresses de la province. Puis, céder la bande passante à des revendeurs, comme les FSI actuels, qui auront beau jeu d'offrir des forfaits sur mesure selon la clientèle ciblée.

N'ayant plus à gérer l'entretien du réseau, ces FSI pourraient offrir des tarifs harmonisés et plus avantageux à leurs clients. La location de la bande passante assurerait des précieux revenus au gouvernement, qui amortirait ainsi l'investissement initial, et assurerait la qualité du matériel. En combinant le réseau informatique au réseau électrique, on peut imaginer qu'une optimisation des dépenses d'entretien réduiraient la facture d'un peu tout le monde.

Il y a une portion de rêve, ici. Les chances sont minces que ce projet se concrétise: Mme Ouellet est troisième dans les sondages derrière Alexandre Cloutier et Jean-François Lisée. Elle est possiblement la plus combative des trois à l'heure actuelle, mais de là à devenir la deuxième première ministre dans l'histoire du Québec, il reste un (ou deux) pas à franchir…

En ce moment, le Québec est 9e sur 12, au pays, en matière de débit Internet. Pour une province qui veut développer son économie numérique, on part de loin. Surtout que le Canada est, lui-même, pas particulièrement en avance sur le reste du monde: le pays se classe 21e... 

Une bande passante identique pour tous

Le problème date (Les Affaires en parlait déjà en 2009). Aux prises avec le même problème, plusieurs communautés ailleurs dans le monde ont pris le contrôle public de leur infrastructure. Les résultats sont mitigés, mais vont généralement dans le bon sens: meilleur accès, prix moindre. Près de nous, le Vermont, pire État américain en la matière, a amélioré l'accès à la haute vitesse à coût raisonnable grâce à des projets de services internet communautaires.

Martine Ouellet est la seule candidate à la direction du PQ à faire une promesse allant en ce sens. En fait, c'est la première politicienne à mentionner sérieusement une telle notion depuis le début des années 2000. Sinon plus tôt: Hydro-Québec a commandé une étude sur le sujet au courant des années 90, qui a rapidement pris le chemin d'une tablette. Probablement la même où on trouve aujourd'hui les études sur la voiture électrique de l'époque…

Selon Mme Ouellet, ce geste faciliterait aussi la réalisation d'objectifs nationaux, comme celui d'une bande passante minimale à 1 gigabit/seconde. Réaliste? Ambitieux, dit-elle. Définitivement plus que la cible de la Stratégie numérique du gouvernement actuel, qui est de 30 mégabits/seconde pour tous en 2020…

Qu'aurait fait René Lévesque?

D'après vous, René Lévesque, père du PQ et grand acteur de la nationalisation d'Hydro-Québec, s'il était là en 2016, nationaliserait-il Internet? «Oui», répond la diplômée en génie mécanique. «C'est un service essentiel. René Lévesque a toujours cherché à corriger les inégalités sociales, et Internet, en ce moment, crée plus d'inégalités qu'il n'en résorbe. Réduire les inégalités, c'est le rôle du gouvernement, pas des entreprises.»

Les FSI seront probablement d'accord avec cette affirmation, sinon avec les moyens utilisés pour y parvenir. Analysant les résultats de son sondage sur l'accès à Internet dans les régions, Simon Gaudreault, économiste senior à la FCEI, admettait lui aussi que le dossier n'avancera pas sans l'intervention de Québec ou Ottawa. «Ce n'est pas dans nos habitudes de demander l'aide du gouvernement, mais dans le cas des services Internet, il le faut», disait-il en entrevue, plus tôt cet été.

Faut-il aller jusqu'à nationaliser? Le phénomène n'est certainement pas dans l'air du temps. Mais les projets de fournisseurs communautaires foisonnent ailleurs dans le monde: en Angleterre, aux États-Unis, etc. Et chaque année, on constate que le Canada est un des endroits où l'accès au grand réseaux, avec ou sans fil, coûte le plus cher sur la planète.

Alors qu'on n'a jamais autant entendu parler d'innovation et d'économie numérique, est-ce un projet qui mérite d'être dépoussiéré?

À propos de ce blogue

Autrefois, on appelait ça de l'électronique mais de nos jours, les nouvelles technologies vont bien au-delà des transistors et des circuits imprimés. Des transactions bancaires à l'écoute en rafale d'émissions de télé les plus populaires, la technologie est omniprésente. Et elle comporte son lot de questionnements. Journaliste spécialiste des technologies depuis bien avant l'avénement du premier téléphone intelligent, Alain McKenna a observé cette évolution sous tous ses angles et livre ici ses impressions sur le sujet.

Alain McKenna
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