Recruter des héros pour former votre conseil

Publié le 11/04/2009 à 00:00

Recruter des héros pour former votre conseil

Publié le 11/04/2009 à 00:00

Par François Normand

Les banquiers de Wall Street ne sont pas les seuls à subir les foudres de l'opinion publique en ces temps de crise : les conseils d'administration aussi sont pointés du doigt pour leur laxisme et leur propension à accorder des primes et des salaires faramineux aux patrons de grandes entreprises, qui sont loin d'être tous des Wayne Gretzky.

Et les exemples ne manquent pas dans l'actualité. Michael Sabia, aujourd'hui à la tête de la Caisse de dépôt et placement du Québec, a reçu une indemnité de 21 millions de dollars alors qu'il quittait BCE en laissant un bilan mitigé. Et que dire de la piètre performance de la Caisse de dépôt, en 2008, son conseil n'ayant pas su jouer son rôle de fiduciaire des déposants dans le désastre des PCAA.

Aussi, la crise mondiale suscite un mouvement de réformes, que ce soit du système financier mondial ou de l'industrie automobile. Et les conseils d'administration n'y échapperont pas.

Comment, dans ce contexte, bâtir le c.a. idéal ? Les sources d'inspiration abondent. Des spécialistes en gouvernance et anciens administrateurs ont des opinions bien arrêtées sur le sujet. Par ailleurs, la plus récente enquête annuelle sur la gouvernance au Canada, réalisée par Korn/Ferry International auprès de 287 conseils d'administration d'entreprises canadiennes, souligne des lacunes et fait des suggestions pour les corriger.

Des administrateurs au service des actionnaires, pas de leur carrière

Les administrateurs sont les fiduciaires des actionnaires des entreprises, tout comme les membres du conseil d'administration de la Caisse de dépôt sont les fiduciaires de déposants comme la Régie des rentes du Québec.

Or, selon Yves Michaud, le " Robin des banques ", trop d'administrateurs l'oublient : " Pour être un bon administrateur, il faut un bon jugement, le sens des priorités, et comprendre qu'on défend les intérêts des actionnaires et non pas ceux des dirigeants ! "

Pour l'ancien président et fondateur du Mouvement d'éducation et de défense des actionnaires (MEDAC), trop de personnes occupent des postes d'administrateur pour servir leur propre carrière. Certains en ont même fait un gagne-pain ou un revenu d'appoint, déplore Yves Michaud. " En siégeant à 6 ou 8 conseils, des administrateurs peuvent gagner 150 000 $ par an. "

Des empêcheurs de tourner en rond

Interrogés par Korn/Ferry sur les compétences essentielles que tout administrateur devrait avoir, les membres de conseils eux-mêmes soulignent en premier lieu l'intégrité et la fiabilité. Au Québec, c'est toutefois le courage qui est cité en première place.

Pour Ginette Legault, doyenne de l'École des sciences de la gestion de l'UQAM, sans ces compétences, un administrateur ne peut défendre correctement les actionnaires. " Il ne posera pas nécessairement à la direction les questions pertinentes et difficiles dans certains dossiers ", dit-elle. Par exemple, cet investissement cadre-t-il avec la mission de la société ? Votre politique de gestion du risque est-elle réaliste ?

Mme Legault estime que les conseils doivent prendre le temps de rechercher ce type de profil parmi les candidats à un poste d'administrateur. Et les écoles de gestion ont aussi leur rôle à jouer auprès des étudiants, selon elle : " Il faut les former, mais aussi leur inculquer des valeurs de courage et d'intégrité. "

Bien gérer le risque

Comme bien d'autres études avant elle, l'enquête de Korn/Ferry souligne que les conseils d'administration accordent peu d'importance à la gestion du risque. Il s'agit pourtant d'une de leurs " responsabilités primordiales ", selon le texte de l'étude.

Par exemple, parmi les 287 entreprises canadiennes sondées, seulement 9 ont un comité de gestion du risque distinct des autres comités.

Selon Claude Béland, actuel président du MEDAC, connaître les risques auxquels font face les entreprises est essentiel, mais encore faut-il que les administrateurs aient les outils pour le faire : " Sans indicateurs ou tableau de bord mesurant le risque, on ne peut pas le gérer efficacement. "

Plus de spécialistes, mais pas trop

Dans des environnements d'affaires toujours plus complexes, cibler davantage de spécialistes dotés de compétences spécifiques (comptabilité, finance, gestion des ressources humaines, etc.) est un atout, recommande l'analyse de Korn/Ferry International.

Mais selon M. Béland, il ne faut pas donner préséance à des spécialistes au sein des CA. " C'est bien d'avoir des spécialistes, mais je préfère quelqu'un qui a une culture un peu plus générale. " Le danger de la surspécialisation, dit-il, c'est que les administrateurs n'ont plus de vision globale des enjeux; ils voient les arbres, mais pas la forêt...

Yvan Allaire, président du conseil de l'Institut sur la gouvernance d'organisations privées et publiques, précise pour sa part que l'expertise exigée des administrateurs doit dépendre du type d'entreprise que dirige le conseil auquel ils siègent. Une Caisse de retraite n'a pas besoin des mêmes spécialistes qu'un fabricant de meubles. Cela dit, il affirme que certaines compétences sont indispensables, comme la finance : " La vaste majorité des enjeux auxquels sont confrontées les entreprises concernent la finance. " Selon lui, la présence aux séances du conseil et le temps consacré à l'étude des dossiers sont aussi très importants pour faire un bon travail d'administrateur.

Plaidoyer pour un conseil de surveillance

Si le conseil d'administration est chargé de défendre les intérêts des actionnaires en surveillant la direction, qui surveille les administrateurs ? Personne.

" Il faut surveiller le surveillant ! " réclame Yves Michaud, qui propose que le Canada s'inspire de la France en créant des conseils de surveillance. Il s'agit d'organes sans pouvoir décisionnel qui veillent au bon fonctionnement d'une société et fait des rapports réguliers aux actionnaires. Le conseil de surveillance surveille non seulement le conseil d'administration, mais aussi la direction de l'entreprise.

" Une telle structure n'existe ni au Canada ni aux États-Unis ", déplore M. Michaud.

LES QUALITÉS ESSENTIELLES DES ADMINISTRATEURS

Gestion. La plupart des compétences requises ne s'acquièrent pas sur les bancs d'école.

Oubliez la bosse des maths, la connaissance des produits dérivés ou la maîtrise des règles comptables : les compétences que les administrateurs doivent avoir reposent davantage sur des qualités personnelles que sur une expertise technique.

Voici, en ordre d'importance, les qualités essentielles aux yeux des quelque 200 administrateurs, présidents de conseil d'administration et chefs de la direction sondés par la firme de gestion des ressources humaines Korn/Ferry International dans le cadre de son étude annuelle sur la gouvernance d'entreprises au Canada.

Fait étonnant, les administrateurs québécois sondés jugent que le courage est le trait de caractère qui prime, alors que, dans le reste du pays, cette qualité se classe au cinquième rang.

Le super administrateur est avant tout intègre

Digne de confiance; est perçu comme quelqu'un de direct et d'honnête; est capable de dire les choses telles qu'elles sont, de façon utile et appropriée; préserve la confidentialité; reconnaît ses erreurs; ne se présente pas sous un faux jour pour avancer.

Il fait preuve d'éthique

Adhère à des valeurs et agit en cohérence avec elles; reste fidèle à ses convictions en toutes circonstances; sait montrer son approbation aux personnes en harmonie avec ses valeurs et exprimer son désaccord aux autres; met en pratique les idées qu'il prône.

Ses stratégies sont innovantes

Possède une vision claire des perspectives futures; décèle les tendances et prévoit les conséquences des actions présentes; analyse et voit les choses dans leur globalité; est orienté vers l'avenir; est capable de brosser un tableau clair des scénarios possibles et d'évaluer leurs chances de se réaliser; est capable de concevoir des stratégies innovantes et concurrentielles.

Il a le sens des affaires...

Sait comment fonctionnent les entreprises; possède une bonne connaissance des politiques actuelles et envisageables, des pratiques, des tendances, de la technologie et des données qui concernent son secteur d'activité et son entreprise; comprend l'environnement concurrentiel.

... du courage à revendre

Ne craint pas de dire tout ce qui doit être dit; n'hésite pas à prendre des décisions difficiles lorsqu'elles s'imposent; sait se faire entendre; n'a pas peur de prendre ses responsabilités; est fiable, même dans les moments difficiles; accepte d'être le seul défenseur d'une idée ou d'une position.

... et l'esprit large

Est capable de mettre en perspective une problématique complexe ou une situation difficile; a de nombreux projets et centres d'intérêt personnels et professionnels; se projette facilement dans l'avenir; est capable de comprendre les rouages de l'économie mondiale; peut analyser les multiples aspects d'un problème et d'en prévoir les impacts.

Il sait prendre les bonnes décisions

Prend tout le temps nécessaire pour arriver à la meilleure décision possible en se basant sur l'analyse, l'expérience et le jugement; la plupart de ses solutions et de ses suggestions s'avèrent bonnes et pertinentes dans la durée; ses collègues sollicitent ses conseils.

" IL FAUT RECRUTER DANS LE MILIEU UNIVERSITAIRE "

Journal Les Affaires - L'âge moyen des administrateurs s'élève à 61 ans (2 de plus qu'il y a 10 ans). Les entreprises ne se privent-elles pas de l'expertise des " forces vives de la nation " ?

Hugh Arnold - Il serait alarmiste de dire qu'un âge moyen de 61 ans est une menace pour les entreprises. Il y a beaucoup de personnes intelligentes dans la soixantaine ! Mais, c'est un fait, l'âge moyen des administrateurs est en hausse, notamment parce que les chefs de la direction refusent maintenant plus souvent ces postes. Les c.a. doivent donc chercher des candidats ailleurs que dans les entreprises. Aux États-Unis, on recrute davantage dans le milieu universitaire - des doyens d'école de commerce, des recteurs d'université ou des professeurs réputés - milieu où il y a d'ailleurs beaucoup de femmes. Les entreprises canadiennes devraient en faire autant.

JLA - Pourquoi les femmes ne représentent-elles que 9 % des administrateurs au Canada, comparativement à 16 % aux États-Unis ?

H. A. - C'est une très bonne question. Cet écart est surprenant et très fâcheux. Cela dit, 56 % des conseils au Canada comptent au moins une administratrice, comparativement à 66 % aux États-Unis. Mais finalement, ce qui compte, c'est qu'il y a presque deux fois plus femmes dans les c.a. chez nos voisins du sud. Je suis surpris et déçu, mais je ne vois aucune explication logique à cette situation. Les entreprises canadiennes doivent faire mieux; elles n'ont pas d'excuse !

JLA - L'étude de Korn/Ferry souligne que seulement 9 des 287 entreprises sondées (3 %) ont un comité indépendant de gestion du risque. Tout bon conseil d'administration devrait-il avoir ce type de comité ?

H.A. - Bien sûr, nous ne recommandons pas à toutes les entreprises de se doter d'un tel comité, mais je crois que nous en verrons de plus en plus. En revanche, tous les conseils doivent être conscients qu'ils ont une responsabilité quant à la gestion du risque pour leur entreprise et qu'ils doivent mettre en place des procédures pour évaluer ce risque au moins une fois par année. De plus, les administrateurs doivent lister les principaux risques auxquels fait face l'entreprise et réviser les stratégies de la direction pour les gérer ou les éliminer.

francois.normand@transcontinental.ca

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