Les «termites fiscaux» grugent les revenus des gouvernements

Publié le 26/05/2012 à 00:00

Les «termites fiscaux» grugent les revenus des gouvernements

Publié le 26/05/2012 à 00:00

Petit exercice. Demandez autour de vous quelles sont les causes de la crise des finances publiques qui frappe les pays développés. On vous répondra le gaspillage des fonds publics, les programmes sociaux trop généreux ou les coûts exorbitants de la santé. Mais il y a peu de risques qu'on vous cite les «termites fiscaux», ces anomalies fiscales qui privent les gouvernements de milliards de revenus. Or, ce sont eux, les principaux coupables.

C'est ce qui s'est dégagé d'un débat sur l'origine fiscale des crises financières, économiques et de la dette souveraine, organisé par la fiscaliste et auteure Brigitte Alepin, le 30 avril, à Montréal.

Sept panélistes ont déterminé les causes de ces crises et ont proposé une plus grande justice fiscale pour les enrayer, car elles menacent la cohésion sociale partout dans le monde.

Les termites fiscaux qui grugent les revenus des gouvernements sont les paradis fiscaux, la détaxation des fortunes personnelles et d'entreprise, les fondations privées et le commerce électronique (dont la taxation est déficiente).

Au Canada, la fiscaliste et auteure Brigitte Alepin estime que ces anomalies fiscales ont privé le gouvernement fédéral de 6 à 10 % de ses revenus en 2012-2013. Or, au cours de cet exercice, le déficit d'Ottawa représentait justement 10 % de ses revenus totaux.

Forcer les fondations privées à dépenser plus

Parmi les solutions proposées pour combattre ces anomalies et générer de nouveaux revenus pour les gouvernements sans toutefois taxer ou imposer davantage la classe moyenne et les PME, Brigitte Alepin suggère de relever le montant minimum que les fondations privées doivent investir dans la société.

Actuellement, en vertu des lois fiscales canadiennes, les fondations privées du pays n'ont l'obligation de dépenser que 3,5 % de leur capital par année. Aux États-Unis, ce seuil est de 5 %.

Or, le gouvernement canadien verse un crédit d'impôt de 48,2 % sur le capital de la personne qui met sur pied une fondation privée, indique Mme Alepin. «Cette situation crée un déficit fiscal pour la société», déplore-t-elle. Au seuil minimum d'investissement de 3,5 %, il faut de 20 à 25 ans au Canada pour rentabiliser l'avantage fiscal accordé aux fondations privées, précise-t-elle, proposant de relever le seuil à 8 %.

Mieux imposer les revenus

L'économiste indépendant Ianik Marcil affirme que les gouvernements peuvent augmenter leurs recettes fiscales en taxant le capital financier inactif (hormis les liquidités normales dans la gestion de la trésorerie des entreprises) ou les «liquidités dormantes». Autrement dit, il propose de punir (même légèrement) les actifs financiers qui ne sont destinés qu'à générer de nouveaux actifs financiers (une rente).

«Il est inadmissible que ce capital inactif ne soit pas mis au profit du développement économique», dit-il. Et ce, afin de créer des emplois, financer l'innovation ou investir en éducation.

Pour sa part, la consultante Rollande Montsion estime que les gouvernements devraient appliquer le principe de la progressivité sur toutes les sources de revenu, pas seulement sur les salaires. Par exemple, plus une grande entreprise aurait des revenus importants, plus elle serait imposée.

Relever l'impôt sur la super-richesse

Le débat fait rage aux États-Unis. Le célèbre investisseur Warren Buffett a dénoncé que son taux d'imposition (17,4 %) était inférieur à celui de 20 de ses employés (de 33 % à 41 %). Il réclame d'être imposé à un taux minimum de 30 %, la fameuse «taxe Buffett».

Des panélistes ont proposé qu'on relève aussi l'impôt sur la super-richesse au Canada. Au Québec (la province où le taux d'imposition des particuliers est le plus élevé après la Nouvelle-Écosse), le taux d'imposition combiné (en incluant le fédéral) des super-riches (terme utilisé par les panélistes pour désigner ceux qui gagnent plus d'un million de dollars par an) est de 48,22 %. Brigitte Alepin estime que le gouvernement pourrait le faire passer à 53,2% sans préjudice pour l'économie. «Je ne pense pas que Guy Laliberté quitterait le Québec.»

L'animatrice Isabelle Maréchal estime toutefois «qu'il ne faut pas se tromper de riches». Bref, il ne faudrait pas viser les PME qui créent la plupart des emplois au Québec. L'avocat François Therriault déplore d'ailleurs qu'Ottawa a surtout réduit le taux d'imposition des grandes sociétés au Canada depuis 2000, abaissant à peine celui des PME.

En 2012, le taux d'imposition au fédéral était de 15 % pour les grandes sociétés et de 11 % pour les PME (revenus inférieurs à 500 000 $), selon le ministère des Finances. En 2000, il était de 29,1 % pour les grandes sociétés et de 12 % pour les PME (revenus inférieurs à 200 000 $).

Limiter le recours aux paradis fiscaux

Les gouvernements se privent aussi de recettes fiscales en permettant aux citoyens et aux entreprises de transférer des revenus imposables dans des paradis fiscaux. «Ottawa pourrait fermer le corridor d'amnistie fiscale entre la Barbade et le Canada», suggère Alain Deneault.

En 2000, la vérificatrice générale du Canada avait estimé à 1,5 milliard de dollars l'argent qui a échappé au fisc canadien en raison de cette entente fiscale. Cela représente la somme dont se serait privé le fisc si 50 000 travailleurs n'avaient pas payé leurs impôts.

Cet évitement fiscal n'est pas un phénomène marginal. En date de 2005, l'Agence du revenu du Canada avait repéré 72 fiducies - dont les gains en capital s'élevaient à plus de 600 M$ - qui avaient été créées à la Barbade afin d'éviter de payer de l'impôt au Canada.

La richesse accumulée dans les paradis fiscaux est énorme, souligne pour sa part le réalisateur Harold Crooks, qui prépare un documentaire sur ce sujet. «En 2005, le Tax Justice Network (Réseau mondial pour la justice fiscale) a estimé la richesse qui y était accumulée à 11 500 milliards de dollars américains, soit l'équivalent du PIB des États-Unis.»

LES PANÉLISTES

Brigitte Alepin, fiscaliste et auteure (Ces riches qui ne paient pas d'impôt, La crise fiscale qui vient et Bill Gates, pay your fair share of taxes... like we do!)

Harold Crooks, réalisateur (coréalisateur de Surviving Progress, coauteur de The Corporation)

Alain Deneault, philosophe, professeur de sociologie à l'Université du Québec à Montréal et auteur d'Offshore : paradis fiscaux et souveraineté criminelle

François Therriault, avocat, fiscaliste chez Amyot Gélinas

Ianik Marcil, économiste indépendant

Isabelle Maréchal, journaliste et animatrice au 98,5 FM

Rollande Montsion, consultante et ancienne sous-ministre adjointe au ministère du Revenu du Québec (1997 à 2004)

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