Le centre-ville de Montréal fait face à de nouveaux défis de location, dont l'attrait grandissant de quartiers périphériques prisés par les travailleurs banlieusards.
Certains gestionnaires immobiliers de locaux pour bureaux appréhendent que le centre-ville se vide au profit des banlieues. C'est le cas de Michel Bouchard, vice-président exécutif au Groupe Redbourne, un gestionnaire immobilier qui gère près de 3,5 millions de pieds carrés d'actifs à Montréal (5 M au Canada) appartenant à des fonds de pension de grandes sociétés publiques.
Le Groupe Redbourne, qui compte parmi ses actifs les tours Telus, Bell Média et Transat, observe depuis quelques mois un ralentissement, voire un recul, dans la location de locaux pour bureaux au centre-ville. «Le marché est en mutation. Comme dans la plupart des marchés mondiaux, on assiste à une réduction de la superficie moyenne par employé. Ce qui se traduit par des réductions de 5 à 10 % de superficie locative», signale M. Bouchard.
À cette nouvelle tendance s'ajoutent des facteurs conjoncturels. À commencer par les contrecoups de la commission Charbonneau. Les entreprises touchées, dit M. Bouchard, effectuent d'importantes mises à pied qui se traduisent par une autre réduction de superficie. S'ajoutent la taxe sur les stationnements, les chantiers de construction qui nuisent à la circulation... «Rien pour favoriser la location de bureaux au centre-ville. Pourvu qu'il ne se construise pas d'autres tours au centre-ville. La situation pourrait devenir encore plus alarmante», soutient M. Bouchard.
Ce dernier n'a pas oublié le début des années 1990. Une époque où Montréal, déjà en récession, s'était retrouvée avec un surplus de 3 millions de pi2 par l'arrivée des tours du 1250 René- Lévesque Ouest, du 1000 De La Gauchetière Ouest et du 1501 McGill College.
Selon le dernier rapport de marché de Colliers International, le taux d'inoccupation du centre-ville de Montréal atteint 4,5 %, l'un des plus bas en 30 ans. «Mais attention, dit Andrew Maravista, directeur de Colliers, région de Montréal, la métropole affiche plus de 1 M pi2 en sous-location, du jamais vu depuis cinq ans. Ce n'est pas un bon signe.»
Chez Colliers, on remarque que les entreprises désireuses d'augmenter leur productivité et de faciliter l'accès des bureaux à leurs employés semblent être de plus en plus enclines à s'établir en banlieue. «On doit s'attendre à ce que cette tendance prenne de l'ampleur dans les années à venir», prédit M. Maravista.
Le Mile-Ex monte en grade
Chez Asgaard, une agence immobilière qui gère plus de 3 M pi2 de locaux pour bureaux à Montréal, le président Max Francischiello constate déjà un tel mouvement vers le... «Mile-Ex», zone qui comprend le Mile-End et Parc-Extension, au nord du mont Royal.
«C'est un secteur où les gestionnaires d'immeubles transforment actuellement les anciens bâtiments manufacturiers en locaux pour bureaux. Mais entendons-nous, ce ne sont pas les sièges sociaux qui y déménagent. Les grandes sociétés y aménagent plutôt leurs centres d'appels, leurs centres d'information. Quoique de plus en plus d'entreprises des TI y jettent l'ancre», note M. Francischiello.
Ces nouveaux locaux du Mile-Ex sont des endroits spacieux dotés de grandes fenêtres. Ils sont situés pour la plupart près des stations de métro. Tout ça à des loyers beaucoup plus abordables qu'au centre-ville, ajoute le président d'Asgaard. Ce dernier cite le groupe Mach, qui a ouvert le bal en réaménageant l'ancien local de CFCF, au 405 Ogilvy, de plus de 280 000 pi2.
Un compromis pour la main-d'oeuvre
Pour Richard Hylands, président de la firme montréalaise de gestion d'immobilier commercial Kevric, Montréal vit un phénomène identique à celui qui s'est produit à New York il y a 20 ans et à Toronto il y a 10 ans. «Les gens des banlieues souffrent de venir travailler au centre-ville. Les entreprises cherchent donc des solutions en optant pour un compromis entre le centre-ville et la banlieue. La Banque TD a justement loué dans le futur 7250 Mile-End, dont nous avons entamé les travaux de rénovation en juillet. Les bureaux de la TD étaient en banlieue et reviennent en ville», souligne M. Hylands.
Remarquez, les entreprises qui déménagent vers le Mile-Ex trouvent souvent mieux qu'au centre-ville. «La plupart des bâtiments sont rénovés selon les critères LEED. Et en plus d'obtenir de meilleurs locaux, le prix de location du pied carré est 50 % moins cher qu'au centre-ville», soutient Richard Hylands, dont l'entreprise gère plus de 3 M pi2 à Montréal et a construit la tour Aimia, certifiée LEED.
Pour conserver son attrait et maintenir ses taux de location, le centre-ville devra lui aussi se doter de bâtiments LEED ou BOMABEST. «Ceux qui ne suivront pas verront leur taux d'inoccupation augmenter, prévoit Richard Hylands. En offrant des tours LEED, on peut justifier un taux de location plus élevé que la moyenne.»