Ils ont sauté dans le vide

Publié le 26/10/2013 à 00:00

Ils ont sauté dans le vide

Publié le 26/10/2013 à 00:00

Justin Kingsley et Diane Arseneau ne s'étaient jamais rencontrés. Lui était associé chez Sid Lee, elle était directrice générale des Événements Les Affaires. Par un drôle de hasard, ils ont quitté leur poste la même semaine. Lui, 42 ans, veut écrire des livres, travailler à des projets télé, explorer le monde du cinéma. Elle, 44 ans, projette d'organiser des conférences d'affaires à son compte. Je les ai réunis autour d'un verre pour discuter de la manière dont se prend une telle décision.

Les Affaires - Vous êtes tous deux nouvellement sans fonction. Stressés ?

Justin Kingsley - Pas trop, parce que je me suis préparé. Ce n'est pas la première fois que je fais un saut comme ça, c'est la quatrième. On devient meilleur à force de sauter !

Diane Arseneau - Pareil pour moi. C'est mon troisième vrai saut, et celui-là, je l'ai planifié. Les autres sauts étaient plus drastiques : je me levais et je démissionnais. Je ne referais plus ça. Cette fois-ci, j'ai une vision et je suis beaucoup plus sereine.

J.K. - La première fois que j'ai sauté, j'étais journaliste sportif pour La Presse Canadienne. J'avais 27 ans, j'allais aux Jeux olympiques, je faisais le tour du monde... Un jour, j'ai réalisé que j'avais fait tout ce que je pourrais faire dans cette job-là. Alors, j'ai décidé de sauter. Ce saut-là était un peu sans parachute !

D.A. - Je pense que le premier saut se fait comme ça.

J.K. - En effet. Les premières fois, tu passes moins de temps à te décider et ça te prend plus de temps à atterrir. La deuxième fois, tu y penses plus longtemps pour que l'atterrissage soit plus simple. Et encore plus la fois suivante.

L.A. - Vous sentez-vous extraterrestres, parfois ? Quand vous voulez bouger et que tout le monde autour semble heureux de son sort...

D.A. - Certaines personnes sont très bien dans le statu quo, et j'ai énormément de respect pour ça, mais ce n'est pas mon cas. Avec le temps, j'ai accepté le fait que j'ai un cycle de trois ans. J'aime bâtir et, quand c'est fait, je passe à autre chose. Maintenant, je veux bâtir pour moi. Être mon propre promoteur.

J.K. - Mon départ n'a rien à voir avec Sid Lee. Je vais d'ailleurs continuer de collaborer avec eux. C'est à propos de moi : je suis allergique à la routine ! Quand j'ai bien fait quelque chose une fois, que je me suis mesuré aux meilleurs, il faut que je fasse autre chose. Les derniers temps, je sentais une boule quand je rentrais le lundi matin. Ce n'était pas à cause de Sid Lee : je savais que quelque chose d'autre m'attendait. La question n'était plus de savoir si je devais sauter, mais quand. Et trouver la meilleure façon.

D.A. - Qu'as-tu fait pour te préparer, cette fois-ci ?

J.K. - Je me suis assuré d'avoir des projets intéressants. Là, je sais que je vais écrire un livre sur le leadership d'idées. Je travaille aussi sur la série 24CH, diffusée à RDS, sur le Canadien de Montréal. Ce sont de nouvelles choses, mais qui se rattachent à mes forces. Plus ma carrière se développe, mieux je comprends ce dans quoi je suis bon et ce que j'aime faire. Le défi, maintenant, c'est de dire non.

L.A. - Serez-vous capables de dire non ?

J.K. - Je l'ai fait récemment. J'appelle ça éviter les chemins de campagne. C'est le fun les chemins de campagne quand tu as le temps, mais si tu as un objectif, tu ne peux pas tous les emprunter.

D.A. - Il y en a à qui j'ai dit «non, je n'ai pas le goût» ou «ce n'est pas ça que je veux faire». Tu ne balances pas tout pour faire n'importe quoi ! C'est pour ça que j'ai moins de craintes qu'avant de réussir : parce que je vais y mettre toute mon énergie.

L.A. - Il y a quand même des considérations financières. Justin, vous étiez associé d'une grosse boîte. Diane, vous aviez un bon poste chez TC Media. Ça a dû peser un peu, non ?

D.A. - Comme je sais que j'ai tendance à être inquiète financièrement, j'ai pallié mon insécurité. J'ai travaillé avec une planificatrice financière pour accumuler un bon coussin. À plus long terme, je me dis que, dans le pire des cas, si mes projets ne lèvent pas, je me trouverai une autre job. Il y a toujours bien quelqu'un quelque part qui va m'embaucher !

J.K. - Je vais vous dire la vérité : j'ai la chienne en ce moment. Je suis propriétaire d'un superbe appartement, j'ai une conjointe avec qui je veux fonder une famille... Donc, oui, j'ai très peur. En même temps, si je ne le fais pas maintenant, quand vais-je le faire ? Il y aura toujours de bonnes excuses.

L.A. - Depuis combien de temps y pensez-vous ?

J.K. - Ça a commencé avec la critique positive du livre sur Georges St-Pierre, en avril-mai. Écrire des livres était un grand rêve ! La critique favorable m'a convaincu que j'étais capable d'en faire un deuxième. Ça s'est concrétisé cet été avec l'arrivée d'un nouveau mandat : je savais que je ne pouvais travailler dessus. Dire que ça ne me tentait pas est trop faible. J'étais rendu ailleurs.

D.A. - Moi j'y songeais depuis deux ans. En février, j'ai dit à mes patrons que je voulais faire autre chose. Ensuite, ça a été la torture de prendre la décision finale, de laisser une équipe que j'ai bâtie et que j'aime d'amour. Puis, il y a eu le temps de latence, avant de pouvoir l'annoncer à tous....

L.A. - Comment gère-t-on cette annonce ?

D.A. - Les premières fois, je faisais mon cheminement toute seule. Cette fois-ci, j'ai décidé de m'entourer, personnellement et professionnellement. Je peux me reposer sur des personnes qui me guident et m'appuient.

J.K. - Moi, j'ai choisi de m'isoler un peu là-dedans. J'en ai parlé à ma blonde et à ma famille, mais je ne voulais pas aller au-delà de ça. Une fois ma décision prise, par contre, j'ai été le plus ouvert et communicatif possible, parce que je souhaitais garder des relations personnelles et professionnelles positives avec l'équipe de Sid Lee. Bien sûr, quand tu annonces ça, il y a un choc initial. Puis, il y a la raison : les gens se rendent compte que tu fais la bonne chose. Ça ne veut pas dire qu'ils aiment ça, mais ils comprennent. C'est simple comme principe, mais ce n'est pas facile !

L.A. - Au début de votre emploi précédent, vous attendiez-vous à avoir encore ce goût de sauter ?

D.A. - Oui. À moins que quelque chose ne me fasse sortir de ma zone de confort. Sinon, je savais qu'après trois ans, ce serait assez. Mais je suis quand même restée cinq ans et demi !

J.K. - Ce genre de choses est impossible à prédire. C'est comme les «si» : pourquoi investir de l'énergie quand il est impossible d'arriver à une conclusion ? [Il montre un G tatoué en rouge sur son bras.] Ce G, c'est pour ma tante Ginette. Un soir, au début de ma vingtaine, on jouait aux cartes, au 500. À la dernière levée, j'avais le valet et ma tante, la dame. J'ai alors regardé ma grand-mère, avec qui je jouais, et je lui ai dit : «si j'avais eu le roi, on aurait gagné». Et ma tante m'a dit : «si matante avait des gosses, elle s'appellerait mononcle». Ce moment-là a changé ma vie : je me suis aperçu que les «si» ne servent à rien.

L.A. - Vous semblez bien sereins...

J.K. - Sais-tu ce qui est pire que de se faire claquer la porte au nez ? Se claquer soi-même la porte au nez. C'est ce que font trop de gens. Moi, je ne veux pas regretter de ne pas avoir essayé. Tu ne regrettes pas les choses que tu essaies de faire, tu regrettes de ne pas t'être donné la chance, de ne pas avoir cru en toi-même. Si tu ne crois pas en toi-même, personne d'autre ne le fera.

D.A. - J'ai confiance en moi, maintenant. Ça ne me gêne pas d'appeler du monde que je ne connais pas pour leur parler de mes projets. Je sais que s'ils n'embarquent pas, ce n'est pas un jugement sur ce que je vaux. Je suis en train d'élaborer un concept d'événement, qui sera très différent de ce que je faisais chez TC, mais qui reste en B2B. Je veux être mon propre promoteur. Si je ne le fais pas jusqu'au bout, je vais le regretter sur mon lit de mort.

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