24 heures à l'École d'entrepreneurship de Beauce

Publié le 20/07/2013 à 00:00, mis à jour le 18/07/2013 à 09:22

24 heures à l'École d'entrepreneurship de Beauce

Publié le 20/07/2013 à 00:00, mis à jour le 18/07/2013 à 09:22

Le fondateur de l'École d'entrepreneurship de Beauce, Marc Dutil, a invité notre journaliste Valérie Lesage à passer 24 heures dans cette école où les entraîneurs bénévoles s'appellent Laurent Beaudoin, Aldo Bensadoun ou Robert Dutton. Elle est allée à l'EEB en participante, pas simplement en observatrice. Comme pour les entrepreneurs-athlètes, cela voulait dire accepter de mettre au jour forces et faiblesses.

En 24 heures, je suis allée à la rencontre des autres et de moi-même. J'ai appris à me faire davantage confiance, j'ai compris que je pouvais aller plus loin que je ne l'imaginais. J'ai senti la force du groupe, sa capacité de vous tirer plus haut, comme son pouvoir de vous entraîner loin de vous-même. Et j'ai observé aussi la puissance de l'intuition.

Martin Gendreau, lui, a découvert qu'on écoute avec nos filtres et qu'il est important de porter davantage attention à ce que l'équipe remarque. Dominique Lacroix a vu que c'est bien l'écoute, mais que parfois, il faut aussi tenir son bout. Martine Saint-Arneault a trouvé éprouvant de tenter de convaincre la majorité. Mario Fortin a constaté qu'on peut rester aveugle à l'information qu'on a sous les yeux et Lisa Leblanc a été secouée de ne pas avoir entendu l'évidence.

Nous étions tous les athlètes de Marc Dutil, le fondateur de l'École d'entrepreneurship de Beauce, cette école où des entrepreneurs-entraîneurs remplacent les professeurs, où l'action prend la place des cours magistraux. Les athlètes se retrouvaient pour la 14e de 15 sessions de cinq jours, anticipant avec tristesse la fin d'une aventure qui les a liés et transformés.

Dans le groupe, il y avait une vingtaine d'entrepreneurs, des Y, des X et des boomers venus des quatre coins du Québec pour former la deuxième cohorte du programme. Avec eux, nous étions cinq «copains de 24 heures», c'est-à-dire des participants d'un jour, venus d'horizons divers, accueillis par la fidèle Carmen, qui connaissait nos prénoms dès l'arrivée. Le thème de la formation portait sur la prise de décision en situation d'incertitude. Nous avons tiré des leçons communes, mais aussi découvert comment nous nous comportions, individuellement, devant les doutes et les risques.

Une aventure riche en émotions

«Ça va être des montagnes russes d'émotions, mais c'est interdit de se fâcher contre l'entraîneur», nous a prévenus Marc Dutil peu après l'accueil le mercredi soir.

Assis confortablement dans de grands fauteuils en dégustant l'apéro, ça paraissait difficile alors de croire que nous allions déchirer nos chemises à partir d'une situation décrite sur papier et qui semblait ne reposer que sur des détails techniques, en plus d'être bien éloignée de nos sphères d'activité. Et pourtant... Nous allions rencontrer l'embarras, l'angoisse, la peur, la colère, la conviction, les froides analyses, le goût du risque, l'entêtement, l'étonnement, la déception, le déni, le repli, l'échec et la victoire.

Je ne vous raconterai pas les détails du cas à l'origine de notre prise de décision ; nous nous sommes tous engagés à garder le secret pour que d'autres entrepreneurs puissent vivre l'expérience et en tirer des enseignements. Je vous raconterai plutôt une aventure, un processus décisionnel.

Nous avons reçu les informations pertinentes avant notre arrivée à l'École et nous devions écrire notre décision et les raisons qui la motivaient. Sur place, nous avons partagé nos choix avec le groupe avant d'entamer toute discussion. Nous avons su que le cas s'était déjà produit dans la réalité, que nous allions en reconstituer le succès, ou l'échec, et découvrir si nous aurions pris la bonne ou la mauvaise décision.

Dix-neuf personnes voulaient prendre le risque, quatre le refusaient. Tout le monde se croyait capable d'influencer les autres, 90 % se disaient influençables. L'étions-nous vraiment ? Serions-nous capables d'écouter les arguments des autres et d'y adhérer ou chercherions-nous plutôt à convaincre ?

Nous allions dormir avec ces questions et bien d'autres en tête après avoir savouré sushis, steaks et mignardises.

À huit heures le lendemain matin, nous nous sommes retrouvés dans une grande salle aux fenêtres immenses, où les tables étaient disposées en U autour de notre entraîneur. Dominique Lacroix, entrepreneure et ingénieure de formation, a été la première à présenter un argumentaire pour convaincre la majorité d'éviter le risque. «Ma décision est fondée sur les statistiques». Son calcul montrait un risque de perdre trop élevé. Comme la majorité des athlètes qui s'opposaient au risque, elle faisait partie du clan des rationnels. Dans le groupe entier, presque la moitié s'identifiaient comme des émotifs, dont moi.

La discussion s'est amorcée, parfois enflammée. Nicolas Saint-Pierre, de la Fondation Mira, avait, comme moi, le goût du risque. Il secouait les «No Go» : «Vous êtes donc ben chicken !» Ils sont restés de marbre devant des émotions qui ne s'appuyaient pas sur des arguments factuels. «Pour moi, la décision courageuse, c'est de ne pas prendre le risque», a rétorqué le financier Marc Beausoleil, un des copains de 24 heures.

Tour à tour, les «Go» ont fait valoir qu'il y avait plus à perdre dans le statu quo que dans l'action. Il a été question de réputation, d'argent, de visibilité, de mission d'entreprise et un tout petit peu de sécurité des personnes. Jusqu'ici, disaient les «Go», nous avions une bonne feuille de route, alors pourquoi ne pas se faire confiance ?

Tout le monde restait campé sur ses positions. Alors, Marc Dutil a distribué de nouvelles informations et nous a envoyés réfléchir en petits groupes. Des statistiques que nous avons décortiquées pour mesurer notre risque.

«T'as vu le data ?» a demandé M. Dutil à Guylaine Niquet, de CO2 Zéro, prête à braver les probabilités. «Oui, a-t-elle répondu, mais j'ai choisi de l'ignorer.»

«Si tout le groupe veut prendre le risque, je n'ai pas de problème à me rallier, on va aller dans la même direction», a conclu Dominique Lacroix, qui ne semblait pourtant pas convaincue. Elle s'est donc jointe au clan des «Go», tandis que Martine Saint-Arneault, ne voyant plus aucune possibilité de gain, a reculé malgré le mur de contestations des adeptes du risque. Difficile de défendre un point de vue minoritaire.

Cinq kilomètres de réflexion

C'était le moment d'aller courir dans la fraîcheur d'un jour gris du mois de mai. Cinq kilomètres qui donneraient l'occasion de réfléchir et de refaire le plein d'énergie. Je me suis fait dépasser par des plus vieux, j'ai couru plus lentement que le record du monde des 85-89 ans, mais tout de même, je suis arrivée 13e sur 24 et j'ai couru presque tout le parcours alors que je pensais marcher. Les encouragements des uns et des autres y sont pour quelque chose. «Lâche pas, m'a dit Francis Pelletier, d'Artopex, c'est ce dont tu seras le plus fière cette semaine !»

Après un lunch santé pendant lequel j'ai écouté Martine et Philippe discuter de leur seuil de tolérance au risque, nous avons obtenu les derniers éléments utiles à notre prise de décision. Fallait-il se fier à cet avis de dernière minute d'un expert externe ? Pouvait-on changer d'idée au dernier moment sans perdre la face ?

Changer de camp... ou pas

«Se peut-il que la source d'une décision ne soit pas en haut des épaules ?» a demandé Marc Dutil.

Chaque fois qu'une opinion était émise, l'entraîneur confrontait la personne, la ramenait à ses contradictions, faisait voir un autre côté de la médaille, vérifiait l'assurance de chacun. J'ai été invitée à convaincre mon employé fictif de participer au risque de l'entreprise. Mais si j'étais ébranlée par l'avis d'expert et par la vison de l'humain derrière le risque, comment pouvais-je convaincre ? Hésitante, je n'ai eu aucune crédibilité.

M. Dutil a offert une dernière fois la possibilité de changer de camp. Je me tortillais sur ma chaise quand mon voisin, Francis, m'a dit : «Vas-y, change de bord.» J'avais mal au ventre, j'ai écouté ce signe.

«Tu vas rejoindre les peureux ? T'es prête à faire la girouette ?» m'a demandé M. Dutil.

Oui... À tort ou à raison, je ne vous le dirai pas pour ne pas compromettre les ateliers suivants. Mais à la fin, nous étions six «No Go», dont un seul depuis le début, Philippe Cholette. Que cet homme actif dans l'immobilier ait été peureux ou visionnaire, il faut lui reconnaître le courage d'avoir maintenu sa dissidence. La majorité est beaucoup plus confortable.

Quatre-vingt-dix pour cent des participants s'étaient crus influençables, la plupart ne l'ont pas été pourtant. Tous, nous nous estimions convaincants, mais très peu d'entre nous avons réussi à l'être. Ça donne à réfléchir.

À la fin du séjour, nous avons compris que beaucoup de facteurs peuvent altérer le jugement. Ils ne sont pas tous liés à la situation elle-même. Nous avons appris comment certains traits de notre personnalité peuvent nous aider. Ou nous nuire. Trop de prudence ou de témérité valent qu'on s'entoure de gens différents pour compenser nos propensions. Connaître nos forces et nos faiblesses, déjà, ouvre le chemin de la lucidité. Nous voilà donc déjà beaucoup plus solides.

«L'idée n'est pas de sortir d'ici en voulant gagner la prochaine décision, mais de prendre la meilleure décision pour votre entreprise», a conclu Marc Dutil, ajoutant qu'il serait toujours là pour ses athlètes. «On fait partie du même réseau, c'est au-delà de LinkedIn.»

UN PROGRAMME QUI PART DE LA BASE

Dans quel contexte retourneriez-vous à l'école ? Et qu'auriez-vous aimé apprendre avant de vous lancer en affaires ? C'est à partir de ces questions et d'autres posées à 70 entrepreneurs que le programme de l'EEB a été construit.

L'ENTRAÎNEUR MARC DUTIL

BILLET - La première fois que j'ai entendu Marc Dutil, président et chef de la direction de Canam, parler en public, c'était à l'occasion d'une conférence devant la Chambre de commerce de Québec. Tout le monde était suspendu aux lèvres de ce communicateur qui manie le verbe et les images d'une manière efficace et percutante, avec une bonne dose d'humour et un franc-parler rafraîchissant. Au moment des entrevues, j'ai été déstabilisée. Il n'avait pas de temps à perdre avec des précisions, il avait dit ce qu'il avait à dire et c'était aux journalistes de l'avoir bien écouté. C'est ainsi que j'ai interprété son attitude.

Tout le monde courait après lui, voulait le féliciter, lui serrer la main, comme s'il était une rock star. C'était pareil quand je l'ai revu l'hiver dernier lors d'une conférence sur les 50 ans d'exportation de Canam.

Ce soir de février, il m'a invitée à passer 24 heures à l'École d'entrepreneurship de Beauce. C'était l'occasion parfaite pour comprendre d'où venaient les étoiles dans les yeux des entrepreneurs qui sont passés par là et qui disent que ça a changé leur vie.

Une fois sur les lieux, il m'a rappelé que mon article ne devrait rien dévoiler du cas analysé dans la formation. J'ai proposé de faire une exception et de lui donner à relire le papier avant publication.

«Tu vas le sentir où elles sont, les limites», m'a-t-il répondu en me regardant droit dans les yeux. Au fond, il venait de me dire : «J'ai confiance, alors fais-toi confiance».

Ses athlètes disent de lui qu'il représente l'inspiration, la générosité, la communication, le leadership, la confiance, la performance et plus encore. Le genre d'homme qu'on veut suivre. À preuve, quand il m'a demandé si j'allais courir les cinq kilomètres, j'ai répondu que j'allais marcher parce que je n'étais pas très en forme - de plus, je déteste courir, je ne le fais que quelques fois par an, après les crocus, avant les jours de maillot. Il m'a jeté un regard dubitatif. Assis à mes côtés, l'entrepreneur-athlète Francis Pelletier m'a dit : «Les standards sont élevés ici. Il n'a pas aimé ta réponse, c'est sûr !» Et vlan dans mon orgueil ! Je me suis alors donné comme objectif de faire moitié course, moitié marche.

Puis, Marc Dutil a projeté sur l'écran les records du monde au 5 km dans chaque catégorie d'âge. Record absolu : 13 minutes 26 secondes. Ouf ! Il a pris part à la course, il a évidemment terminé premier. Deux fois, je l'ai croisé et j'ai eu ses encouragements. Je courais au lieu de marcher et j'étais fière.

Un leader inspirant vous invite subtilement à le suivre et à vous dépasser. Même si on sait qu'on restera à mille lieues de ses performances, on éprouve le désir de ne pas le décevoir, en gagnant sur nous-mêmes. Mieux que ça : on est animés par le désir d'être fiers de soi. Et c'est magique parce qu'on se découvre plus forts qu'on ne l'imaginait. J'ai même franchi la dernière pente à la course alors que j'étais certaine de tomber à bout de souffle.

Ce parcours, c'était une autre manière de me dire : «J'ai confiance en toi, fais-toi confiance».

«Il ne restera pas grand-chose de nous plus tard. Ce qui reste, c'est ce que tu laisses. C'est pas seulement un bâtiment, c'est de donner des valeurs à des gens. C'est extraordinaire de faire ça.»

- Marc Dutil, fondateur de l'EEB

valerie.lesage@tc.tc

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