Trois architectes et leurs projets

Publié le 28/09/2013 à 00:00, mis à jour le 26/09/2013 à 09:52

Trois architectes et leurs projets

Publié le 28/09/2013 à 00:00, mis à jour le 26/09/2013 à 09:52

«Tu ne peux pas être un pion chez vous et une tour à l'étranger», répond Tudor Radulescu quand on lui demande pourquoi si peu d'architectes québécois se signalent à l'étranger.

«Jadis, le donneur d'ouvrage confiait à l'architecte le mandat de superviser tous les corps de métier sur un projet. Aujourd'hui, poursuit le cofondateur de la firme d'architectes Kanva, c'est l'entrepreneur qui contrôle tout. Et le seul souci de l'entrepreneur, c'est de faire des profits. Le rôle de l'architecte est réduit au choix de la couleur de la brique.»

Le jeune architecte de 37 ans admet que sa profession a peut-être sa part de responsabilité dans ce recul. «Les architectes ont de la difficulté à se vendre !» Il reste que la règle du plus bas soumissionnaire a eu l'heur de niveler par le bas.

«Les coûts de construction, c'est la main-d'oeuvre, pas la brique. Même si ça coûte un peu plus cher pour faire beau, ça met Montréal sur la carte. C'est aussi une question de fierté collective», estime l'architecte qui a choisi de se concentrer sur le marché de Montréal.

Convaincre les promoteurs

«C'est beaucoup de travail de convaincre les promoteurs. Au fil des années, ils ont développé une recette qui marche pour eux. Demander à un promoteur d'innover, c'est lui demander d'assumer un risque additionnel alors que son but quand il planifie un projet, c'est de réduire le risque au maximum.»

Kanva, que M. Radulescu a fondé en 2003 avec un ami d'enfance, Rami Bebawi, 38 ans, mène actuellement une douzaine de projets. Pour affirmer son indépendance face à des promoteurs qui font peu de cas de la qualité architecturale des immeubles qu'ils construisent, les deux complices ont décidé de se faire promoteurs eux-mêmes. «On trouve un immeuble à transformer ou un terrain à bâtir, on conçoit un projet et on trouve ensuite les investisseurs», explique M. Radulescu.

C'est de cette façon que Kanva a procédé dans le quartier Saint-Henri, angle Saint-Jacques et Irène ; une conversion d'immeuble industriel en copropriétés qui lui a valu le Prix d'excellence dans la catégorie Innovation en architecture de l'Institut royal d'architecture du Canada, en 2013. «Nous aurions pu faire en sorte que ce projet coûte un peu moins cher, mais c'est oublier qu'un projet bien conçu génère des économies à long terme.» Ce projet lui a aussi valu un Grand Prix du Design.

Et c'est également de cette façon que procédera Kanva dans son nouveau projet, dont la construction commence cet automne. Il s'agit d'une résidence pour 30 étudiants construite sur un terrain vacant, rue Université, juste en face de l'Université McGill. Kanva utilisera un procédé innovateur : la photogravure au laser sur béton. La façade présentera une image tirée d'un film tourné en 1902 par Thomas Edison dans la rue Cherrier, près du parc La Fontaine. Kanva a dû obtenir les droits de reproduction de la Bibliothèque du Congrès américain.

«On aurait pu réaliser des économies et vendre plus rapidement le projet à des investisseurs si on avait prévu une banale façade de pierre, mais je veux avoir le feu dans le ventre quand je fais un projet, explique M. Radulescu, avant d'ajouter : cette manière de fonctionner nous donne une plus grande liberté. C'est notre façon à Rami et moi d'embellir Montréal.»

Pour avoir ce feu au ventre, comme dit M. Radulescu, Kanva a renoncé aux contrats publics. Et de toute façon, la petite firme d'une dizaine d'architectes ne se qualifierait pas pour les gros projets ; son portfolio n'est pas encore assez garni. «Il faudrait nous associer à de plus gros cabinets d'architectes, mais nous voulons garder notre indépendance», explique-t-il.

« POURQUOI NE PAS SOUTENIR LES ARCHITECTES COMME LES ARTISTES À L'ÉTRANGER ? » GILLES SAUCIER, DE SAUCIER + PERROTTE

«Le Cirque du Soleil a ouvert la porte à une foule de troupes ou d'entreprises culturelles qui font honneur au Québec partout dans le monde. Robert Lepage fait la mise en scène d'opéras au Met de New York. Comme Céline Dion, ils ont un impact considérable sur l'image du Québec à l'étranger. Pourquoi n'encouragerions-nous pas nos architectes les plus talentueux à percer à l'international pour qu'ils en inspirent d'autres ?» demande Gilles Saucier, qui dit se retrouver régulièrement finaliste sur des projets avec les meilleurs du monde, même s'il n'a construit aucun projet à l'étranger.

«Nos architectes ont besoin d'ambassadeurs à l'étranger, mais ce n'est pas avec les PPP ou la règle du plus bas soumissionnaire qu'on va les développer», croit l'associé de Saucier + Perrotte. Les promoteurs, ajoute-t-il, devraient comprendre qu'un architecte de talent dépense mieux chaque dollar d'un projet qu'un architecte sans génie.

«Les gouvernements aiment pourtant bien parler d'excellence ; pourquoi alors, quand vient le moment de choisir un projet, se basent-ils uniquement sur le prix ? renchérit André Perrotte, son associé. C'est une offense à notre intelligence collective !»

Non seulement les architectes québécois ne sont-ils pas soutenus dans leur propre marché, mais ils doivent subir depuis quelques années la concurrence d'architectes européens, frappés par la crise sur le Vieux Continent.

«On est en train de compléter plusieurs quartiers de Montréal avec des immeubles en brique drabes ; on va en pâtir à long terme», croit M. Saucier, dont les bureaux sont installés dans une ancienne usine de textile du quartier Marconi, l'ancien secteur industriel de la Petite Italie, «dont le manque d'homogénéité ralentit l'embourgeoisement accéléré».

Saucier + Perrotte, qui compte 23 architectes ou stagiaires, a remporté près d'une centaine de prix, dont sept médailles d'or du gouverneur général du Canada. La firme, qui célèbre son 25e anniversaire cette année, a représenté le Canada à la Biennale de Venise, en 2004, et a été choisie la meilleure firme du Canada par l'Institut royal d'architecture du Canada, en 2008.

Le cabinet travaille présentement, entre autres, sur des projets de centre sportif à Saint-Laurent et de centre de soccer intérieur dans le quartier montréalais Saint-Michel. La firme, qui a un bureau à Toronto, construit en outre 2 000 logements dans la Ville reine.

On lui doit également l'immeuble de la Faculté des sciences pharmaceutiques de l'Université de la Colombie-Britannique, à Vancouver, et celui de l'Institut Perimeter pour la physique théorique, à Waterloo, en Ontario. La firme était également en lice pour le projet de l'Adresse symphonique (la Maison de l'OSM). Un contrat qu'elle n'a pas eu. «C'est nous qui avons obtenu la note la plus élevée pour le design. Autrement dit, notre projet était le plus beau. Mais il n'a pas été retenu parce qu'un autre était moins cher que le nôtre», raconte M. Saucier, un peu amer.

«Ils auraient pu venir nous voir et nous demander de réduire un peu nos coûts ; on est capables d'ajuster nos budgets, poursuit l'architecte. Mais ils ont préféré choisir le projet le moins intéressant des trois. Quand tu construis une salle de concert pendant que les gens attendent à l'urgence des hôpitaux, ça fait bien pour les politiciens de dire qu'ils ont choisi le projet le moins cher !» D.F.

«LES QUÉBÉCOIS NE SONT PAS ASSEZ ÉDUQUÉS POUR SE PAYER DE BEAUX PROJETS» - Claude Provencher, de Provencher Roy

«Depuis les années 1960, il ne s'est pas fait de projets intéressants au Québec, parce que personne n'accepte d'y mettre le prix. On n'est pas assez éduqués pour associer bonne architecture et prix plus élevé.»

Claude Provencher n'est pas tendre à l'égard de la culture architecturale des Québécois. «C'est le projet le moins cher qui l'a finalement emporté ; le pire des trois», affirme-t-il en parlant de l'Adresse symphonique, maintenant appelée la Maison symphonique de Montréal, projet pour lequel Provencher Roy a été l'un des trois finalistes.

Selon M. Provencher, le coût annuel pour exploiter un immeuble correspond à peu près à son coût de construction. «Si vous choisissez un projet parce qu'il coûte 15 % de moins à construire, sur la durée de vie du bâtiment, de 50 à 75 ans, vous sacrifiez la qualité pour des poussières, soutient l'architecte. Mais, comme Québécois, on n'est pas assez éduqués pour comprendre ça !»

Puis il ajoute : «Entre un bon projet et un excellent projet, la différence de coût est minime sur la durée de vie du projet. Et un excellent projet a un impact positif sur la qualité de vie des citadins et sur le tourisme. Prenez la Place-Ville-Marie : 50 ans après, c'est encore un must. Alors que le complexe Desjardins, qui était laid au départ, est de plus en plus laid.»

Fini les projets à l'étranger

M. Provencher a fondé la firme en 1983 avec Michel Roy, toujours en fonction. Avec ses 160 employés, celle-ci mène environ 90 projets de front, dont une dizaine en design et autant en urbanisme. Pendant 15 ans, la firme a été active à l'étranger. Elle a conçu notamment deux hôpitaux en Algérie et un en Inde, et réalisé d'autres projets au Pakistan, en France et dans les Émirats arabes unis. Provencher Roy avait même un bureau à Shanghai, mais a décidé de se recentrer sur le Québec il y a quelques années.

«Les projets à l'international, c'est bon pour l'ego et pour le CV, mais ce n'est pas rentable», dit M. Provencher.

Mais pourquoi des architectes mondialement reconnus comme Jean Nouvel, Frank Gehry, Zaha Hadid, Renzo Piano ou Richard Rogers courent-ils après les projets internationaux ? «Si vous êtes une vedette internationale, si vous faites partie du top 10 ou du top 20, vous pouvez imposer vos conditions, car il y a des promoteurs qui sont prêts à payer pour une signature de prestige. Mais pour tous les autres architectes, c'est une guerre de prix sans merci.»

Alors, pourquoi n'y a-t-il aucun architecte québécois dans le top 20 ? Les Québécois ne sont-ils pas réputés créatifs ? «On est bons, mais on en beurre épais sur la créativité des Québécois. Cela dit, pour être une vedette à l'international, il faut d'abord être une vedette chez soi, répond M. Provencher. Les vedettes internationales ont d'abord réalisé de grands projets dans leur pays. Mais au Québec, on ne valorise pas la grande architecture. Ici, la règle, c'est le coût le plus bas.»

On s'améliore, malgré tout !

Malgré tout, M. Provencher pense que Montréal s'est améliorée depuis 15 à 20 ans. «C'est une ville sympathique. Comme on s'est développé plus lentement, on a gardé une qualité humaine que Toronto a perdue. Montréal me fait penser à Copenhague, Buenos Aires ou Barcelone. On a le Vieux-Montréal, un fleuve, une montagne. Montréal a beaucoup de potentiel. Ce qui est fondamental, ce sont les grands espaces publics comme le Quartier international ou la Place des festivals, deux projets qu'on a bien réussis.»

Parmi les nombreux projets qui émaillent sa carrière, M. Provencher a un faible pour le nouveau pavillon Bourgie du Musée des beaux-arts de Montréal et la transformation d'une partie de l'hôtel Ritz-Carlton en copropriétés de luxe. Sa firme travaille aussi au projet du Red Light, qui consiste à redessiner le Quadrilatère Saint-Laurent, entre le boulevard René-Lévesque et la rue Sainte-Catherine. D.F.

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