Silicon Montréal

Publié le 02/06/2012 à 00:00, mis à jour le 04/06/2012 à 15:37

Silicon Montréal

Publié le 02/06/2012 à 00:00, mis à jour le 04/06/2012 à 15:37

L'acteur Ashton Kutcher a investi dans plusieurs start-ups technos, et l'ancien joueur de basketball Magic Johnson s'est joint au fonds Detroit Venture Partners. C'est dire à quel point le capital de risque est sous les feux de la rampe. Et plus seulement dans Silicon Valley. Depuis la crise de 2008, plusieurs villes, telles que Chicago, Washington et Berlin, ont émergé en tant que villes de start-ups. Montréal n'échappe pas au phénomène, mais derrière son essor se trouve... le gouvernement.

«Ce que Montréal a, c'est une génération d'entrepreneurs ambitieux qui se dotent des moyens de leurs ambitions. À Montréal, les trois à cinq prochaines années seront les meilleures», annonce Chris Arsenault, associé directeur du fonds de capital de risque iNovia Capital, un investisseur majeur dans les technos au Québec.

La métropole québécoise se démarque grâce à l'esprit communautaire de son écosystème de start-ups. Depuis le début de l'année, Montréal a notamment accueilli Startup Weekend Montréal et trois «hackatons» (des marathons de programmation organisés autour de différents enjeux). Les prochains mois devraient être plus chargés encore, avec la tenue de PodCamp Montréal et de l'International Startup Festival : «À Montréal, il y a des périodes où des événements liés aux technologies se produisent presque tous les soirs», dit Patrick Tanguay, développeur Web et ex-organisateur du rendez-vous mensuel de blogueurs Yulblog.

Ces événements font davantage que susciter de l'intérêt pour l'entrepreneuriat. Ils permettent à la communauté montréalaise de développeurs et d'entrepreneurs de créer des liens : «Les start-ups, le plus souvent, ce sont au moins deux associés, explique Patrick Tanguay. Souvent, c'est grâce à ce genre d'événements qu'ils sont entrés en contact.»

De la même manière, la multiplication des locaux pour bureaux partagés (coworking) favorise les échanges dans le milieu. L'un des premiers, Station C, se trouve sur le boulevard Saint-Laurent, à Montréal. L'un des cofondateurs, Patrick Tanguay, explique : «Nous étions deux travailleurs autonomes et nous voulions partager un espace, mais en même temps, donner l'occasion à d'autres d'y avoir accès quelques jours par semaine». Depuis, d'autres locaux de ce genre, où le réseau Wi-Fi et le mobilier sont généralement compris, ont vu le jour à Montréal, dont RPM Startup Center, sur la rue Guy, et Communoloft, qui a cinq adresses à Montréal.

Aide gouvernementale, un atout

«Le plus important avantage de Montréal, en ce moment, ce sont les efforts du gouvernement du Québec, avec Teralys, pour supporter les fonds locaux», explique Jeff Grammer. Le partenaire du fonds Rho Canada Ventures (pendant canadien de l'américaine Rho Capital Parners) parle en connaissance de cause. Rho Canada II, un fonds de 100 millions de dollars établi à Montréal, recevait, le 23 mai dernier, une injection de 50 M$ de la part du fonds de fonds montréalais Teralys Capital.

Le même jour, Teralys annonçait également un investissement de 25 M$ dans Celtic House IV, un fonds ontarien de 105 M$ qui ouvrira un bureau à Montréal.

La création de Teralys en 2009 par le gouvernement du Québec constitue un moment décisif dans l'évolution du capital de risque ici. Le gouvernement du Québec, par l'intermédiaire de ses différentes sociétés d'État, est à l'origine de la plupart des fonds en capital de risque du secteur à Montréal.

Un moment d'autant plus décisif que la mise sur pied de Teralys coïncidait avec celle du fonds privé en capital de risque Real Ventures.

«Entre 2000 et 2004, au Québec, il y a eu des engagements de 1,2 milliard de dollars en capital de risque dans une douzaine de fonds, mais ces efforts auraient gagné à être mieux structurés», explique Jacques Bernier, qui a vendu l'idée de Teralys au gouvernement.

Le fonds qu'il dirige a d'ailleurs le poids nécessaire pour structurer l'industrie : en plus des 700 M$ qu'on lui a accordés pour investir dans d'autres fonds, il a hérité de la gestion des portefeuilles du Fonds de solidarité FTQ et du gouvernement, d'une valeur de 600 M$ supplémentaires.

Le gouvernement du Canada, par l'intermédiaire de la BDC Capital de risque, joue également un rôle dans la création d'un écosystème inspiré de la Silicon Valley à Montréal. Le 24 avril dernier, la BDC a annoncé un investissement en tout point similaire à celui qu'a fait le milliardaire russe Yuri Milner dans les start-ups de l'incubateur californien Y Combinator. La société investira ainsi dans au maximum 40 des start-ups propulsées par l'accélérateur d'entreprises montréalais FounderFuel (150 000 $ dans chacune des sociétés choisies).

Les anges de plus en plus présents

Les anges financiers, qui sont partie intégrante de l'écosystème financier américain, constituent eux aussi un phénomène récent ici. Anges Québec, qui a été fondée en 2008, compte plus de 100 membres. Ces derniers apportent aux entreprises qu'ils prennent sous leur aile non seulement une aide en capital, mais aussi leur carnet d'adresses, généralement bien garni.

Bien qu'elle se compose d'investisseurs individuels, Anges Québec n'a pas été oubliée par le gouvernement. En effet, Investissement Québec a annoncé le 30 avril dernier un financement de 20 M$ dans Capital Anges Québec, un fonds en capital de risque dont Anges Québec assurera la gestion.

Si les start-ups financées aujourd'hui ont du succès, la proportion de capital privé injecté dans les jeunes pousses montréalaises pourrait croître. En effet, les investisseurs individuels en capital de risque sont principalement composés d'entrepreneurs ayant eu du succès : «Plusieurs de nos membres ont vendu leur entreprise avec de bons profits. Avec leurs millions, ils décident de s'investir. Ils ne veulent pas perdre d'argent, mais ils le font surtout parce qu'ils y croient», illustre François Gilbert, pdg d'Anges Québec.

Passer à la caisse... sans sortir du pays

Il y a un hic. Les start-ups technos qui connaissent le plus de succès quittent souvent le Québec. C'est le cas de la montréalaise Anomalous Networks. Le 26 mars, le fournisseur de solutions de gestion des dépenses de télécommunication, dans lequel des membres d'Anges Québec avaient investi, a été acquis par l'américaine Tangoe au prix de 9 M$.

L'effet de la croissance récente des investissements en capital de risque au Québec n'émergera pas avant quelques années, car le cycle normal d'un investissement en capital de risque est d'environ sept ans.

Une trop grande proportion de capital de risque consacré au financement d'amorçage pourrait se manifester dans quelques années : «Il y a du capital de départ au Québec, mais on ne va pas loin avec ça. C'est quand on a le plus besoin de financement qu'on ne trouve plus d'investisseurs... et ce sont les Américains qui ramassent nos entreprises», fait valoir Martin Ouellet, cofondateur de Taleo, un éditeur de logiciels de recrutement qui a dû déménager en Californie avant de s'inscrire au NASDAQ au début des années 2000.

Jacques Bernier, associé principal de Teralys, explique que la création du fonds de fonds qu'il dirige visait justement à éviter qu'un tel déséquilibre ne se reproduise : «Une des erreurs importantes qui s'est faite au Québec, c'est d'investir dans le démarrage d'entreprises sans penser au financement dont celles-ci auront besoin dans le futur. C'est pour cette raison que la première chose qu'on a faite après avoir fondé Teralys en 2009, c'est de créer le fonds d'expansion Tandem.»

Au-delà de l'enjeu du financement, la nature même de l'investissement en capital de risque pourrait pousser les start-ups québécoises dans les bras d'acquéreurs étrangers. En effet, une entreprise en démarrage qui accepte du capital de risque, si elle a du succès, n'a que deux options : entrer en Bourse ou trouver un acquéreur. Après tout, les fonds qui y investissent s'attendent à un rendement intéressant.

Or, le Québec manque d'acheteurs d'envergure dans le secteur des technos, comme l'explique Chris Arsenault, d'iNovia Capital : «On a besoin de créer des acquéreurs. Il faut que les entrepreneurs d'ici bâtissent des entreprises et non pas seulement des produits. Il faut qu'on passe en deuxième vitesse et qu'on réalise des acquisitions.»

549 M$

Au Québec, les investissements en capital de risque ont atteint 549 millions de dollars en 2011, en hausse de 48 % par rapport à 2010, selon Réseau capital.

78 %

Pourcentage des membres de l'Association canadienne du capital de risque et d'investissement estimant que le rythme des investissements au courant des six prochains mois sera égal ou supérieur qu'au courant des six précédents.

Source : Private Capital Pulse, CVCA Member Survey, 24 mai 2012

«Je pense que Montréal a un avantage à ce moment. On voit même des entrepreneurs qui viennent d'ailleurs pour se lancer.»

- Jeff Grammer, Rho Canada

Incubateur

Programme qui offre à des entrepreneurs des bureaux, du soutien ainsi qu'un capital d'amorçage minimal pour fonder une start-up. Les participants ont accès à des mentors et à tous les autres entrepreneurs ayant suivi le même programme. En échange, l'incubateur obtient une participation minoritaire au capital-actions des entreprises incubées.

Ange financier

Investisseur individuel, le plus souvent un entrepreneur ou un ex-entrepreneur, investissant dans des start-ups, tout en les conseillant. Ce type d'investisseur doit être qualifié, c'est-à-dire disposer d'actifs financiers d'au moins un million de dollars. Ils financent généralement des entreprises au stade de l'amorçage et du démarrage.

Fonds en capital de risque

Fonds réalisant des investissements spéculatifs dans des entreprises en croissance, aux stades d'amorçage, de démarrage et d'expansion. En règle générale, un fonds en capital de risque a une durée de vie de 10 ans et tire son financement d'investisseurs institutionnels et de particuliers fortunés.

julien.brault@tc.tc

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