Quatre autres détaillants québécois au bord du gouffre

Publié le 21/07/2012 à 00:00

Quatre autres détaillants québécois au bord du gouffre

Publié le 21/07/2012 à 00:00

Par Marie-Eve Fournier

Après Jacob, Hart et Dumoulin, quatre autres chaînes québécoises ont des problèmes financiers assez graves pour procéder à une restructuration judiciaire. Les déboires de Manteaux Manteaux, Stylexchange, Lindor et Pentagone s'ajoutent à la faillite récente du magasin de meubles Esprit Nouveau à Laval. Même des géants bien établis comme Reitmans, BMTC et Le Château affichent des résultats décevants.

Ça fait 68 ans que les femmes québécoises achètent des vêtements chez Lindor. Mais ce n'est pas certain qu'elles pourront continuer de le faire encore longtemps. Le détaillant, qui exploite 77 boutiques dans 6 provinces, s'est placé à l'abri de ses créanciers le 13 juin.

Malgré des décennies d'expérience et de croissance, l'entreprise est aux prises avec des dettes de 4 millions de dollars. «C'est une entreprise qui fait face à des défis, tant pour renouveler sa marque que pour se lancer dans le commerce en ligne. Elle a réalisé qu'elle n'a pas les ressources financières pour s'adapter aux nouvelles tendances, c'est pourquoi elle doit réduire sa taille», explique le syndic responsable du dossier chez KPMG, Dev Coossa.

Ce n'est pas le genre de propos qui surprend Daniel Baer, associé et leader national des services au secteur du commerce de détail d'Ernst & Young. Les temps sont durs pour des raisons macroéconomiques (salaires stables, prix de l'essence et de la nourriture en hausse, contexte mondial incertain), mais aussi parce que l'industrie se trouve à un moment charnière. Elle doit rattraper son important retard technologique. «Les entreprises québécoises doivent beaucoup investir dans la logistique, le talent, les médias sociaux et le commerce électronique. Car l'avenir sera difficile pour ceux qui ne le font pas.»

Consommateurs plus avertis

«Les ventes de tout le secteur sont stables, car les consommateurs sont prudents. En plus, les détaillants sont plus nombreux à se partager la tarte», observe Marie-Claude Frigon, associée chez RSM Richter Chamberland. On compte en effet par dizaines les chaînes étrangères qui se sont établies au Québec au cours de la dernière décennie.

Ce n'est pas tout. À l'heure où l'information sur les prix est accessible en quelques secondes sur le Web et sur les iPhone, il est ardu, voire risqué pour les commerçants d'augmenter leurs prix pour compenser la faiblesse des volumes, ajoute l'experte du secteur. «C'est problématique, surtout si tu vends les mêmes produits que tes concurrents. Les consommateurs savent combien ils doivent payer pour tout. Les détaillants qui vendent leurs propres marques s'en sortent mieux, car les comparaisons parfaites sont impossibles.»

Salaires, prix de gros, loyers : tout grimpe

Autre épine dans le pied des commerçants : la hausse des coûts. Qu'il s'agisse des salaires ou du prix des produits manufacturés en Chine, tout augmente plus vite que les ventes. D'ailleurs, les problèmes financiers de Manteaux Manteaux ne s'expliquent pas par une baisse du chiffre d'affaires, mais plutôt par la flambée des dépenses, a précisé à Les Affaires le vice-président de l'entreprise montréalaise, Monte Perlman.

L'arrivée chez nous de détaillants étrangers comme Apple, H & M, Forever 21 et bientôt d'Aéropostale et Victoria's Secret est directement responsable du phénomène, croit le dirigeant. «Les centres commerciaux adorent ces concepts et ils veulent les attirer, mais ça met de la pression à la hausse sur le prix des locaux.»

Certains détaillants ayant renouvelé des baux vieux de 10 ans ont eu la surprise de faire face à des augmentations de 50 %.

Mince consolation, si les détaillants québécois souffrent, ceux qui viennent d'ailleurs ne réalisent pas forcément des ventes plus mirobolantes qu'eux. Mais l'impact est un peu différent, car les entreprises qui ont eu les moyens de prendre de l'expansion ici ont les reins assez solides pour traverser les tempêtes. Dans ce contexte, «les entrepreneurs du Québec doivent profiter de l'avantage qu'ils ont de connaître leur marché depuis longtemps, conseille Daniel Baer. Ils doivent en tirer profit».

MOINS DE MAGASINS POUR MANTEAUX MANTEAUX

Fondée en 1987, la chaîne Manteaux Manteaux, de Mont-Royal, s'est mise à l'abri de ses créanciers le 16 mai. Ses dettes dépassent les 7,6 M$. Les plus importants créanciers garantis sont la Banque de développement du Canada (1,1 M$) et HSBC Canada (1,57 M$). En salaires et vacances, 600 000 $ sont dus aux employés.

Propriété de Harold Perlman (président) et de son fils Monte Perlman (vice-président), l'entreprise regroupait trois enseignes, soit Manteaux Manteaux, Manteaux Internationale [sic] et Coats Co, à Ottawa et Moncton. Jusqu'ici, on a fermé une douzaine de magasins et aboli l'enseigne Manteaux Internationale. Le sort de Coats Co n'est pas encore scellé. Une soixantaine de personnes ont perdu leur emploi.

«Le climat est difficile. Il y a beaucoup de compétition. Et même si ce n'est pas de la compétition directe pour nous, parce que nous sommes un détaillant spécialisé, les Zara, Forever 21 et H&M ont un impact, car les dépenses discrétionnaires ne sont pas élastiques», a raconté Monte Perlman à Les Affaires.

À l'avenir, le détaillant saisonnier misera notamment sur le concept de magasins éphémères (pop-up stores), encore peu utilisé au Québec mais très populaire aux États-Unis. «On travaille là-dessus. Ça a vraiment beaucoup de sens pour nous», dit le vice-président, qui veut repartir sur des bases solides pour «être encore en affaires dans 20 ans».

STYLEXCHANGE : EXPANSION TROP RAPIDE

Les 11 magasins Stylexchange tentent aussi d'éviter le pire. Conceptwear - c'est son nom officiel auprès des autorités québécoises - a déposé un avis d'intention de déposer une proposition le 24 mai en vertu de la Loi sur la faillite et l'insolvabilité. Le syndic responsable du dossier chez KPMG, Dev Coossa, raconte que l'expansion de la chaîne a été rapide, puisque 8 magasins ont été ouverts en trois ans. Les ventes étaient en baisse depuis 18 mois.

Les dettes du détaillant dépassent les 15 M$. Aldo, qui exploite des boutiques Little Burgundy dans certains Stylexchange, est l'un des plus importants créanciers, avec près de 676 000 $. Le détaillant doit aussi 4,7 M$ à la Banque Royale du Canada, 1,6 M$ à la marque de vêtements Diesel et 276 000 $ à Lucky Seven.

Le concept, qui existe depuis l'an 2000, s'adresse aux jeunes urbains en moyens avec ses marques réputées telles que True Religion, Miss Sixty, Canada Goose, Mackage, GSTAR et Michael Kors. Jusqu'ici, trois magasins ont été fermés et cinq autres le seront sous peu.

Le président, Mark Batchoun, n'a pas donné suite à notre demande d'entrevue.

BOUTIQUE PENTAGONE RACHETÉE

Moins de trois mois après avoir demandé la protection de la Loi sur les arrangements des créanciers des compagnies, Boutique Pentagone s'est trouvé un nouveau propriétaire. Au début de la semaine, l'offre du Groupe Nero Bianco a été acceptée par les créanciers à 99,8 %.

La transaction, d'une valeur totale de 5,3 M$, prévoit que le détaillant de chaussures et articles de cuir situé à Sainte-Catherine-de-la-Jacques Cartier, près de Québec, injectera au moins 1,75 M$ dans l'entreprise de Rimouski. Actionnaire majoritaire (88 %) de Pentagone depuis 2008, Capital régional et coopératif Desjardins obtiendra des actions privilégiées en échange d'une partie de sa créance.

Aux prises avec des dettes de 15,8 M$, la chaîne de magasins conservera 60 % des succursales (38 sur 64) et 300 employés.

Nero Bianco (qui exploite d'autres enseignes, dont Club Chaussures) avale donc une entreprise aussi grande qu'elle (47 magasins, 285 employés). Mais cela est loin d'effrayer son président, Jean-Luc Transon.

«Les employés de Pentagone sont très bons. C'est ce qui nous a allumés. Ce n'est pas parce que ça va mal qu'ils sont incompétents. Dans les magasins, ils sont incroyables. En région, ce n'est pas comme en ville où les gens changent tout le temps de boulot. Dans les Pentagone, les employés sont là depuis 15, 20 ou 25 ans», a-t-il confié à Les Affaires.

Synergies intéressantes

De plus, Jean-Luc Transon espère tirer profit des synergies possibles entre les deux entreprises dont les magasins se trouvent presque tous dans les mêmes centres commerciaux. En profitera-t-il pour vendre ses souliers dans les Pentagone ? La stratégie n'est pas exclue.

Depuis 38 ans, le nom Pentagone est bien établi dans les marchés secondaires et tertiaires du Québec ainsi qu'au Nouveau-Brunswick. L'entreprise regroupe trois enseignes : Pentagone, F-17 et LÖV. Pour l'exercice terminé à la fin de janvier, les ventes ont atteint 45 M$.

LINDOR SUR LA CORDE RAIDE

«C'est une entreprise qui fait face à des défis, tant pour renouveler sa marque que pour se lancer dans le commerce en ligne.»

- Dev Coossa, syndic chez KPMG, responsable du dossier de Lindor, qui s'est placée à l'abri de ses créanciers le 13 juin.

marie-eve.fournier@tc.tc

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