Prem Watsa à la défense des régimes de retraite

Publié le 16/06/2012 à 00:00, mis à jour le 14/06/2012 à 09:28

Prem Watsa à la défense des régimes de retraite

Publié le 16/06/2012 à 00:00, mis à jour le 14/06/2012 à 09:28

Dans une rare sortie publique, le pdg de Fairfax Financial Holdings, Prem Watsa, fait une sortie en règle contre les réductions de prestations dans les régimes de retraite, telles que celles envisagées chez Papiers White Birch, en restructuration. Ce serait un avantage déloyal aux dépens de son rival Produits forestiers Résolu, dont Fairfax est le principal actionnaire, dit-il. En exclusivité, Les Affaires vous présente ses vues sur les régimes de retraite et sur l'art d'investir dans une économie morose.

Les Affaires - Vous vous élevez contre les réductions des prestations versées aux retraités des grandes entreprises. Pourquoi ?

Prem Watsa - Quand AbitibiBowater (aujourd'hui Produits forestiers Résolu) s'est engagée dans son processus de faillite, il y a eu des discussions au cours desquelles des gens nous suggéraient de sabrer le régime de retraite. Mais dans nos négociations avec le gouvernement, nous avons dit : «Ce ne serait pas correct !» Ce n'est pas la bonne chose à faire. Quand vos retraités ont travaillé longtemps pour l'entreprise, elle doit faire un effort et faire en sorte qu'il n'y ait pas de réductions au régime de retraite.

Les retraités reçoivent 2 000 $ par mois, et tout d'un coup, ils ont 30, 40 ou 50 % de moins ? Sans compter qu'ils ont travaillé 35, 40 ans pour cette entreprise... Nous pensons simplement que c'est la mauvaise chose à faire, et nous ne l'avons jamais fait. Nous avons demandé une prolongation de 10 ans pour renflouer le fonds de pension. Les retraités reçoivent aujourd'hui les mêmes montants d'argent, et la compagnie garde ses obligations.

Nous avons fait ça dans des circonstances très dures, pour AbitibiBowater et Résolu. En tant que détenteurs de débentures convertibles, nous étions les seuls parmi toutes les parties prenantes à refuser de réduire les prestations versées aux retraités. Toutes les autres voulaient le faire. Et nous avons un régime de retraite couvrant 20 000 personnes, dont 17 000 au Québec !

L.A. - En quoi Résolu et Fairfax sont-elles touchées par d'éventuelles réductions des prestations de retraite d'autres entreprises ?

P.W. - Si vous réduisez les régimes de retraite, vous ne jouez pas à armes égales. Certains de nos concurrents réduisent, d'autres non... Ça provoque des déséquilibres. Si vous permettez à une autre société de réduire les prestations de 30, 40 ou 50 %, alors vous donnez aux autres entreprises un avantage déloyal, et ce n'est pas correct.

MISER SUR LE PAPIER

L.A. - Avec près de 20 % des actions en circulation de Résolu, Fairfax est le plus important actionnaire de la forestière. Pourquoi misez-vous sur un producteur de papier journal, un produit que d'aucuns considèrent sans avenir ?

P.W. - Vous avez là une entreprise qui n'a pas de dette nette, qui est un producteur à bas coût et qui a un pdg formidable, Richard Garneau. Nous pouvons certainement nous permettre de détenir ce titre dans une logique à long terme.

L.A. - Grâce à votre appui, Résolu a pris le contrôle du producteur de pâte à papier kraft montréalais Fibrek. En tant que premier actionnaire de Fibrek, pourquoi avez-vous préféré l'offre non sollicitée de Résolu à l'offre négociée de Mercer International, pourtant de 40 % supérieure ?

P.W. - En tant qu'actionnaires de Fibrek, nous avons eu deux offres. L'une de Résolu, l'autre de Mercer. Dans les deux cas, il fallait prendre la moitié du paiement en argent, et l'autre moitié en actions. Donc, la question était la suivante : quel titre voulons-nous prendre ? Et notre préférence, comme actionnaire, était le titre de Résolu, parce que nous pensions que, dans trois, quatre ou cinq ans, l'action grimperait. C'est aussi simple que ça. Nous pensions que le titre de Résolu offrirait un bien meilleur rendement que celui de Mercer. De notre point de vue, même si nous ne faisions pas d'argent avec Fibrek dans l'immédiat en revendant nos actions, étant donné que la moitié du paiement était fait en actions de Résolu, nous pensions qu'en trois, quatre ou cinq ans le titre offrirait un assez bon rendement pour bien rémunérer notre investissement dans Fibrek.

Mais de toute façon, l'offre de Mercer est arrivée après notre entente avec Résolu qui verrouillait nos actions pour les lui vendre, en décembre.

RESEARCH IN MOTION : PARIER SUR UN MAL-AIMÉ

L.A. - En janvier, vous avez doublé votre investissement dans Research In Motion pour devenir l'un de ses plus grands actionnaires. Pourquoi ?

P.W. - Je l'ai déjà dit dans notre assemblée annuelle... Il s'agit d'une compagnie qui n'a pas de dette, qui a plus de deux milliards de dollars en liquidités, avec un produit dont le nom est connu partout dans le monde : BlackBerry. Dans plusieurs professions, la plupart des gens continuent d'utiliser cet appareil. Ils ont quelque chose comme 80 millions d'abonnés dans le monde. Récemment je suis allé en Asie, et partout autour de moi, les gens utilisaient des BlackBerry. Et le cours de l'action est passé de 140 $ à 11, 10 $... Le titre a baissé de plus de 90 %. Les finances de la compagnie sont très saines. Et personne ne l'aime à 10 $, mais tout le monde l'aimait à 120 ou 140 $ !

Voici comment le marché fonctionne. Tout le monde aime un titre quand il bondit, et personne ne l'aime quand il atteint le fond du baril. Alors, nous tâchons de faire notre travail et de prendre des décisions à long terme, exactement comme dans le cas de Produits forestiers Résolu.

L.A. - Mais le titre a perdu beaucoup de valeur depuis que vous l'avez acquis...

P.W. - Ce n'est pas inhabituel, quand nous achetons un titre, de le voir baisser ensuite. Je l'ai observé souvent. Dans notre rapport annuel, nous donnons l'exemple du producteur de charbon américain International Coal. Après notre investissement, le titre a baissé de 50 %. Et en 2010 et 2011, nous avons vendu nos actions pour environ trois fois le coût moyen de notre investissement.

L.A. - Vous venez d'annoncer votre intention d'acquérir 77 % des parts de Thomas Cook India. Pourquoi investir dans ce voyagiste ?

P.W. - Thomas Cook est en Inde depuis 130 ans. C'est un vieux nom, très bien établi là-bas. La moitié de son chiffre d'affaires est lié aux voyages et l'autre, aux bureaux de change, un secteur que l'entreprise domine en Inde. Thomas Cook a des comptoirs dans tous les aéroports du pays.

Elle a un excellent historique, produit un bon flux de trésorerie. C'est pourquoi nous l'aimons.

La partie la plus intéressante de Thomas Cook India est le voyage. Les bureaux de change sont très rentables, mais comme la classe moyenne continue de croître dans ce pays, les gens voyageront davantage en Europe, en Amérique du Nord, en Asie... Ils auront besoin des services de Thomas Cook.

UNE APPROCHE DÉFENSIVE DANS UN CONTEXTE MOROSE

L.A. - Vous ne vous en cachez pas : Fairfax est actuellement sur la défensive...

P.W. - Nous traversons une période très difficile. Il faut prendre de très grandes précautions en réalisant nos investissements. Ainsi, toutes nos positions dans des entreprises sont couvertes. Nous avons beaucoup de liquidités (1,9 G$ au 31 décembre 2011), mais aussi des obligations gouvernementales. Aux États-Unis, nous avons des obligations municipales garanties par Berkshire Hathaway... Alors, oui, nous sommes très prudents.

L.A. - Qu'est-ce qui vous inquiète plus particulièrement ?

P.W. - Il y a beaucoup de vent de face provenant d'Europe, de Chine, où la croissance ralentit. Plusieurs pays dans le monde ralentissent, et il reste très peu de munitions dans le système monétaire, avec des taux directeurs frôlant le 0 % à plusieurs endroits. Il y a déjà beaucoup de déficits, beaucoup de dettes dans le système financier. Il faut donc faire très attention.

L.A. - Dans ce contexte, comment espérez-vous réaliser des rendements intéressants en investissant dans les entreprises ?

P.W. - Depuis 26 ans, nous avons toujours pris des décisions en tenant compte d'objectifs à long terme. Tous les investissements que nous avons faits, que ce soit dans Résolu ou Thomas Cook India, sont tous des engagements à long terme. Sur cinq ans et plus, nous misons sur des titres de bonne qualité, comme Johnson & Johnson. Nous n'agissons pas sur des termes de trois ou six mois. Et notre stratégie a très bien fonctionné. Si vous examinez nos rendements, dans notre rapport annuel, vous allez voir que nous avons obtenu de bons résultats.

LES 10 PLUS IMPORTANTS INVESTISSEMENTS DE FAIRFAX

Johnson & Johnson 385 M$

Research In Motion 300 M$

Level 3 Communications 283 M$

Débentures convertibles : 97,88 US

Produits forestiers Résolu 206 M$

1,3 G$ Déficit de solvabilité du régime de retraite de Produits forestiers Résolu

The Brick 182 M$

US Bancorp 137 M$

USG Corp 113 M$

Dell 112 M$

Wells Fargo 95 M$

Torstar 86 M$

Sources : SEC, Bloomberg, en date du 8 juin 2012

«Le rendement des investissements de Fairfax Financial Holdings pourrait être mitigé en 2012, étant donné la forte allocation du portefeuille aux obligations et des liquidités qui augmentent.» - Paul Holden, analyste, Marchés mondiaux CIBC

QUI EST FAIRFAX FINANCIAL HOLDINGS ?

Fondée en 1985 par Prem Watsa, Fairfax Financial Holdings Limited est une société de portefeuille de services financiers qui oeuvre dans le domaine de l'assurance et celui de la gestion des investissements. L'entreprise située à Toronto emploie 5 000 personnes. Le holding canadien est souvent désigné comme un «mini Berkshire Hathaway», en référence au conglomérat du célèbre investisseur Warren Buffett.

8 470 000 000 $

Capitalisation boursière de Fairfax Financial Holdings au 8 juin 2012

«Nous entrevoyons des résultats volatils au cours des prochains trimestres, et les activités de réassurance de Fairfax risquent de pâtir de l'accroissement des pertes liées aux catastrophes naturelles au cours d'au moins une des cinq prochaines années.» - Morningstar

5,12 %

Pourcentage des actions de Research In Motion entre les mains de Fairfax Financial Holdings

18,48 %

Pourcentage des actions des Produits forestiers Résolu que possède Fairfax Financial Holdings

hugo.joncas@tc.tc

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