Portland, une ville modèle

Publié le 28/09/2013 à 00:00, mis à jour le 26/09/2013 à 09:52

Portland, une ville modèle

Publié le 28/09/2013 à 00:00, mis à jour le 26/09/2013 à 09:52

On parle beaucoup de transport collectif actuellement au Québec. Notre journaliste s'est rendue à Portland, en Oregon, où l'aménagement urbain axé sur le transport en commun (transit-oriented development, ou TOD) a transformé la région en pôle d'attraction pour les employeurs et les créatifs.

Si vous craignez d'être en retard à une réunion à Portland, mieux vaut prendre le transport en commun que d'appeler un taxi. C'est nettement plus rapide. Autobus, trains légers et tramways tapissent la ville. Ils sont propres, fiables et fréquents.

Portland est devenue une agglomération modèle en Amérique du Nord en matière de transport en commun. Du centre-ville aux banlieues, un système de trains légers électriques couvre plus de 84 kilomètres (une distance supérieure à celle qui sépare Montréal de Saint-Jérôme) et compte 87 stations. Contrairement à nos trains de banlieue, ils sont en service plus de 20 heures par jour.

Non seulement les banlieues de Portland sont desservies par le train léger, mais elles ont été aménagées autour de stations de train, d'où l'expression transit-oriented development (TOD). Les plans de transport et d'aménagement du territoire sont réalisés conjointement.

TriMet, la société de transport en commun qui gère ce réseau, a acheté des terrains le long du tracé et les a revendus au rabais à des promoteurs immobiliers, dit Bob Hastings, architecte de projet chez TriMet.

Les promoteurs ont construit des habitations individuelles en rangée, des complexes comprenant quatre ou six maisons contiguës, des immeubles à logements à prix modique et des copropriétés de luxe. On s'est assuré ainsi d'avoir une certaine densité de population, et l'usage du transport en commun s'est répandu. Les commerces ont suivi et de petits centres-villes ont vu le jour. Les centres commerciaux sont accessibles directement en transport en commun, avec un stationnement relégué à l'arrière pour les autos.

«Le virage TOD n'est pas survenu du jour au lendemain», raconte Rex Burkholder, ancien conseiller de Metro (le nom de la communauté urbaine de Portland) et fondateur du Bicycle Transportation Alliance, un organisme qui fait la promotion du vélo. «ll a débuté dans les années 1970, lorsque la région a voulu mettre un holà à la croissance fulgurante des autoroutes qui créaient beaucoup de pollution et avalaient les terres arables, explique-t-il. Les écologistes et les cultivateurs ont convaincu le gouvernement fédéral de transférer les fonds prévus pour la construction d'une autoroute vers l'établissement d'un réseau de trains légers.» Le train léger MAX a été inauguré en 1986 - avec des wagons fabriqués par Bombardier.

L'État de l'Oregon a aussi imposé la Urban Growth Boundary, qui oblige les municipalités à limiter l'étalement urbain. «Si on n'avait pas fait cela, vous ne seriez pas en train de boire du Pinot noir de l'Oregon !» lance M. Burkholder. Résultat : les déplacements en auto à Portland ont chuté.

Un projet d'expansion de 12 km du train léger vient de démarrer, au coût de 1,5 milliard de dollars américains.

Au début, le fédéral a payé 83 % de la facture, mais sa contribution, qui n'a pas été facile à obtenir, a été abaissée à 50 %, dit Bob Hastings, de TriMet. «Mais comme nous avons démontré que nous sommes capables de nous entendre - municipalités, promoteurs immobiliers et société de transport - et d'atteindre nos objectifs, on l'a eue.» Une taxe sur la masse salariale contribue au financement du transport collectif.

L'année dernière, Portland a mis fin à la gratuité du transport en commun dans une zone de 1,5 km au centre-ville. Cette politique adoptée en 1975 a stimulé le tourisme et le secteur récréatif au centre-ville, souligne M. Hastings. «Mais nous n'avions plus les moyens ni le besoin d'offrir la gratuité», dit-il.

Un tramway financé par le privé

Portland a été une pionnière de la renaissance du tramway sur le continent. Une deuxième ligne a été inaugurée il y a un an, portant la superficie totale du réseau à 19,3 km. Une troisième est prévue pour 2015.

Fait intéressant, le financement initial du tramway est venu du secteur privé, notamment de promoteurs immobiliers. «Le privé a financé 20 % du projet en échange de rabais de taxes foncières, explique Rick Gustafson, ancien maire de Metro et président de Portland Streetcar, qui s'occupe du développement du tramway. Cela valait la peine pour eux, puisque la valeur foncière de leurs propriétés construites sur le trajet du tramway a triplé, voire quadruplé.» Aujourd'hui, des commerces paient pour avoir leur nom sur les stations de tramway.

Grâce au tramway et au plan d'aménagement du territoire, un quartier en entier a été redynamisé, le Pearl District. On déploie actuellement la deuxième phase du tramway dans la zone du bord de l'eau, appelée South Waterfront. Le tramway est le véhicule idéal pour engendrer une circulation piétonnière - plus que le bus et le train léger, souligne M. Gustafson.

Autre innovation : les projets immobiliers axés sur le transport en commun combinent trois types de bâtiments : des résidences, des bureaux et des commerces. «Typiquement, nous installons les commerces au rez-de-chaussée, les bureaux aux étages du milieu et les résidences en haut», explique le promoteur Dennis Wilde, partenaire chez Gerding Edlen Sustainable Solutions. «Ce sont les commerces de détail qui attirent les gens et créent de l'animation, explique Micheal Armstrong, directeur de la planification chez Metro. Le tramway les incite à circuler à pied. Le reste suit.» Selon ses chiffres, le tramway a engendré des investissements de 3 G$ US depuis sa mise en service au centre-ville.

Lors du déploiement de la deuxième phase, sur le South Waterfront, un fabricant de barges a déplacé son usine pour laisser la place aux projets immobiliers. De son côté, le centre hospitalier Oregon Science and Health University a accepté de financer les frais d'exploitation du nouveau tramway aérien qui relie son complexe au South Waterfront.

Le vélo est roi

La nouvelle tendance est la construction d'immeubles résidentiels destinés aux cyclistes au centre-ville de Portland. Parallèlement à l'essor du transport collectif, l'usage du vélo s'est répandu avec l'aménagement d'un vaste réseau de pistes cyclables, financé entre autres par une taxe de 1 % sur l'essence. Ces immeubles n'offrent pas de stationnement pour autos. En revanche, ils fournissent des espaces communs pour ranger les vélos et les réparer. Le vélo est tellement populaire à Portland que plusieurs établissements, dont l'université, ont aménagé des bike repair rooms, visibles de la rue. C'est sans parler des bike bars - des bars où les cyclistes sont particulièrement bienvenus.

Les places de stationnement ont été rationnées : quand un promoteur bâtit un immeuble, on lui fixe un nombre maximum d'emplacements. Parallèlement, la Ville fournit gratuitement des supports pour stationner les vélos aux commerçants qui en font la demande.

Et voilà que Metro travaille à une autoroute cyclable reliant toutes les pistes de la région, qui couvrent plus de 482 km. «Il y a un changement de paradigme important : les jeunes adultes se désintéressent de l'auto», dit Lake Strongheart McTighe, gestionnaire de projet de transport à Metro. Les baby-boomers aussi, semble-t-il. Le promoteur immobilier Dennis Wilde, âgé de 72 ans, se déplace en vélo. «Ma femme et moi n'avons qu'une auto. Plus besoin d'une deuxième.» Tous les transports en commun - bus, trains légers et tramways - sont munis de support à vélos et les acceptent à toute heure.

Dans sa planification pour 2050, Metro veut étendre le concept de walkable city, où tous les services seront accessibles à moins de 20 minutes à pied sur tout le territoire.

Une belle surprise pour les détaillants

Les grands détaillants ont d'abord manifesté des réticences face à la diminution des places de stationnement pour auto. Mais ils ont été agréablement surpris par la hausse de l'achalandage résultant de la revitalisation du centre-ville et de la densification des banlieues, affirme Bob Hastings. Ainsi, le supermarché Safeway du Pearl District affiche un achalandage plus élevé par habitant qu'un Safeway en banlieue.

«Ce qu'on perd en stationnement, on le gagne en aménagement paysager», dit Fred Bruning, chef de la direction de Center Cal Properties, propriétaire du centre commercial Cascade Station.

Le géant Ikea fait partie de ceux qui montrent la voie : il donne des titres de transport en commun à ses employés et un montant forfaitaire pour l'achat d'un vélo.

Il y a tout de même une ironie dans cette histoire : Portland a développé son transport en commun dans le but de revitaliser son centre-ville. Elle a remporté ce pari. Mais de plus en plus, ce sont dans les banlieues que se créent les nouveaux emplois. Par exemple, Nike a préféré installer son nouveau bâtiment dans la banlieue de Beaverton plutôt qu'au centre-ville. Et c'est à Hillsboro qu'Intel construira sa prochaine usine. Reste à savoir si elles auraient fait ce choix sans un tel système de transport en commun.

UN EXEMPLE POUR MONTRÉAL

La région de Montréal commence à adopter les pratiques innovantes de Portland. Des projets-pilotes d'aménagement immobilier axé sur le transport collectif sont en cours. Les sociétés de transport en commun commencent à munir leurs véhicules de supports à vélo. La ville travaille à relier les tronçons de pistes cyclables. On essaie de faire une meilleure planification.

En fait, la région a des décennies de retard, «et il n'y a pas d'argent», affirme Florence Junca-Adenot, professeure associée au département d'études urbaines et touristiques de l'UQAM et ancienne présidente de l'Agence métropolitaine de transport.

Difficile d'implanter la mobilité durable lorsque les transports en commun sont au maximum de leur capacité, qu'ils sont déficients et sous-financés, et où le peu d'argent disponible va au maintien des actifs, dit-elle.

À Portland, les gens ont eu une vision à long terme et ont travaillé sur tous les fronts. Et ils n'ont pas sous-investi, disent Suzanne Lareau, directrice générale de Vélo-Québec, et France Vézina, directrice de l'Association du transport urbain du Québec (ATUQ).

Pour Micheal Armstrong, directeur de la planification chez Portland Metro, les facteurs de succès sont les suivants : une bonne planification, la consultation publique et la culture de partenariat entre l'administration municipale, la société de transport en commun ainsi que les acteurs privés et institutionnels. Et bien sûr, l'intégration du transport et de l'aménagement du territoire dans une vision commune. «À Portland, essayer de nouvelles choses est dans notre ADN. On les implante tranquillement, et quand ça fonctionne, on les déploie à grande échelle.» Quant au retard de Montréal, «ce n'est pas irréversible», ajoute-t-il.

Les experts applaudissent la décision de Pauline Marois de confier au même ministre, Sylvain Gaudreault, les portefeuilles des transports et de l'aménagement du territoire. «Une première dans l'histoire du Québec ; il était temps !» lance France Vézina.

«Le transport a toujours défini les villes. On l'a oublié avec l'apparition de l'auto et on revient à cette idée», dit Mme Junca-Adenot. Lorsque cette dernière était à la tête de l'AMT, elle a été la première à proposer la démarche transit-oriented development (TOD, ou aménagement immobilier axé sur le transport en commun) au Québec, en 1998.

Griffintowm et Dix30 : des erreurs à ne pas répéter

Des erreurs importantes ont été commises récemment dans deux projets. Pour la revitalisation du quartier Griffintown à Montréal, d'abord, «il n'y a pas eu de plan d'ensemble. Le développement a été laissé aux promoteurs immobiliers, sans tenir compte du transport en commun, déplore Mme Junca-Adenot. J'espère qu'on apprendra de cette erreur pour le développement des terrains de Blue Bonnets.»

Pour ce qui est du Quartier Dix30, à Brossard, l'accès par transport en commun est déficient, ce qui engendre congestion et accidents. Il faut mettre fin au tout-à-l'auto, disent nos expertes.

Mmes Vézina et Junca-Adenot, à la direction de l'ATUQ, croient qu'il faut pallier le manque de financement du transport en commun par une taxe sur la plus-value foncière.

«Comme Portland l'a démontré, il est justifié de demander aux promoteurs immobiliers de financer en partie les transports en commun, car ils en bénéficient grandement», indique Mme Junca-Adenot. S.D.

suzanne.dansereau@tc.tc

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